Gestion de crise transfrontalière dans le secteur bancaire

Une petite révolution s’annonce

d'Lëtzebuerger Land vom 16.06.2011

Depuis de nombreuses années, une évolution s’est fait sentir dans le secteur bancaire européen : celle de la constitution de grands groupes européens et internationaux. De par la liberté d’établissement garantie par le marché intérieur tout comme de par des fusions et acquisitions, les banques tendent à s’établir dans plusieurs États membres et même au delà de l’Union européenne. Des noms connus au Luxembourg se retrouvent tout aussi bien dans nos pays voisins comme dans d’autres pays européens ou même au-delà.

Le revers de la médaille est que si jamais, pour une raison ou une autre, un groupe bancaire transfrontalier rencontre des difficultés accentuées et entre en crise, des entités juridiques dans plusieurs États membres, c’est-à-dire le siège et ses filiales et ses succursales, sont concernées. Et avec ces entités, les autorités de résolution des différents États membres comme les ministères des Finances, les systèmes de garantie des dépôts ou les banques centrales entrent en jeu. Les crises bancaires de l’automne 2008, qui ont touché par ricochet également la place financière luxembourgeoise, mais également des crises plus récentes dans d’autres parties de l’Europe, tout comme une volonté d’éviter que les États membres ne doivent soutenir financièrement et massivement les banques touchées, ont amené la Commission européenne à commencer à élaborer un cadre de gestion de crise européen.

Les premières réflexions et travaux datent d’avant la plus récente crise. En mai et octobre 2010, la Commission a publié une communication sur le sujet, qui fut suivie par un document de travail plus poussé au début de cette année. Les grandes idées peuvent se résumer en six points clés que nous allons analyser de plus près ci-dessous.

D’abord, il s’agit de préparer un groupe bancaire à une situation de crise avant même que le problème ne se pose. En temps normal et dans le cadre de la supervision quotidienne du groupe, un plan de résolution devra être préparé au cas où le pire devrait arriver. En effet, ces plans de résolution établiraient les mesures qu’un groupe devrait prendre dans différents scénarios en vue de résoudre des problèmes de liquidité, renforcer les capitaux propres ou réduire le risque. Par ailleurs, ces plans prévoiraient des scénarii en vue de transférer une partie du groupe ou de ses activités tout comme une faillite ordonnée sans avoir recours aux deniers publics. Ces plans de résolutions seraient requis à la fois au niveau du groupe et de ses entités.

Dans la phase de supervision quotidienne, la Commission propose une utilisation plus poussée des pouvoirs d’inspection sur place dans les banques et une supervision plus anticipatoire et plus intrusive. Autre élément important, notamment pour une place financière comme le Luxembourg : l’instauration d’un cadre pour les transferts de liquidités au sein d’un même groupe. En effet, et souvent dans la gestion quotidienne d’une banque, les liquidités sont transférées d’une entité vers une autre d’un groupe. Par exemple, la filiale luxembourgeoise transfère des fonds vers le siège établi à l’étranger. Afin de protéger la stabilité financière de l’État membre et les créditeurs et actionnaires de l’entité d’origine de ces transferts, un cadre de la gestion des transferts de liquidité intra-groupe est envisagé.

La deuxième idée phare de la Commis­sion est de prévoir dans une phase d’intervention précoce, entre autres, une administration spéciale, c’est-à-dire de remplacer le management d’une banque et ceci avant qu’elle ne tombe en faillite. Le rôle d’un administrateur spécial serait d’aider le management en place ou de le remplacer au cas où une banque ne serait plus en mesure ou risquerait de ne plus respecter les obligations qui lui sont imposées par la directive européenne sur les fonds propres, plus connue sous son abréviation anglaise CRD (capital requirements directive).

Le troisième grand axe d’idées de la Commission se décline à travers un cadre de résolution proprement dit. En effet, il faudra permettre à une banque de faire faillite de façon ordonnée, sans mettre en danger la stabilité du système financier ni faire appel à l’argent du contribuable. À cette fin, un certain nombre d’instruments de résolution seraient à la disposition de l’autorité de résolution. Parmi ces derniers, il y a par exemple la possibilité de vendre la banque ou une partie de celle-ci sans l’aval des actionnaires. Un autre instrument serait le transfert de tous les actifs ou seulement d’une partie des actifs vers une banque relais. Aussi, l’autorité de résolution aurait la possibilité de transférer des actifs dits « toxiques » vers une bad bank.

Le dernier outil de résolution figure comme autre idée clé de la Commis­sion dans son cadre pour la gestion de crise. Il s’agit de ce qu’on appelle généralement dans le jargon le bail-in. De quoi s’agit-il ? Le but du bail-in est que les pertes d’une résolution de banque soient d’abord portées par les actionnaires, mais au-delà également par les créanciers d’une banque et ceci à travers la transformation d’obligations en actions. Dans un discours qu’il a tenu en avril de cette année, le Commissaire européen Michel Barnier, en charge notamment des services financiers, a affiché son soutien convaincu à l’introduction d’un tel outil. La question des modalités n’est cependant pas encore résolue. Est-ce que la transformation de la dette en actions se fera automatiquement à travers une clause contractuelle précisant les conditions de déclenchement ou sera-t-elle laissée à la discrétion de l’autorité de résolution et donc dépendante d’une décision de cette dernière ?

Le bail-in est cependant un outil controversé. En effet, la création d’un risque de bail-in pour le détenteur d’obligations d’une institution de crédit renchérit automatiquement le titre en question et, par delà même, les coûts d’une levée de capitaux pour les banques. Ce renchérissement du capital vient à un moment particulièrement inopportun. En effet, les nouvelles règles de fonds propres édictées sous l’accord de Bâle III imposent à de nombreuses banques justement un renforcement de leurs capitaux propres…

La cinquième idée clé régulièrement évoquée par la Commission concerne le financement des ces mesures. Si le principe de base est que les pertes des banques et le financement de la résolution seraient supportés par les actionnaires et les créanciers, il y a des circonstances dans lesquelles ces fonds ne pourront pas être suffisants. Dans ces cas, un fonds de résolution par État membre et financé par les acteurs du secteur entrerait en jeu.

Loin d’avoir comme mission de sauver des banques en difficultés, ce fonds serait essentiellement utilisé pour financer les outils utilisés dans la résolution d’une banque comme par exemple une banque relais ou une bad bank destinée à absorber les titres toxiques.

Dans un souci de bonne utilisation des ressources disponibles, l’interaction et les synergies entre ces fonds de résolution encore à créer et les systèmes de garantie existants seraient à analyser de plus près. En effet, les deux fonds entrent en action dans le cadre d’une résolution bancaire et sont alimentés par le secteur bancaire. Une structure commune fonds de résolution/système de garantie de dépôt ou une utilisation des ressources de la dernière pour des missions du premier ne sont pas à exclure. L’idée est en train d’être creusée au Luxem­bourg par la Banque centrale tout comme elle l’est par la Commission européenne à Bruxelles.

La dernière brique dans le cadre de gestion de crise que la Commission européenne est en train préparer est la création de collèges qui regrouperaient les autorités de résolution des États membres dans lesquels le groupe est actif. Les collèges soulèvent cependant la question délicate des relations entre les différentes autorités nationales et notamment entre celles des États membres du siège (États membres d’origine ou home) et celles des Etats membres des filiales (États membres d’accueil ou host). Plus précisément il s’agit de savoir qui a quel pouvoir de décision. En effet, un État membre home, pourra-t-il lier un État membre host en prenant à lui seul la décision de constater un état de crise dans un groupe et d’enclencher un plan de résolution ? Qu’en est-il dès lors si l’État d’accueil doit participer au financement de cette opération sans avoir eu son mot à dire au moment de la décision ?

Afin d’éviter ce genre de problèmes, le principe pourrait être le suivant : À l’exception des plans de résolution, en phase de supervision ordinaire et d’intervention précoce, les décisions au sein d’un collège devraient se prendre à l’unanimité et, en cas de désaccord persistant, avec l’aide de la médiation de la nouvelle Autorité bancaire européenne. Sont concernés en particulier l’élaboration, l’évaluation et la mise en place des plans de sauvetage. En mode gestion de crise, les décisions doivent pouvoir être prises de façon rapide, afin d’éviter que la situation ne s’aggrave tout en empêchant le dilemme mentionné ci-dessus. Dès lors, un travail en collège devrait être favorisé, mais en cas de désaccord avec l’autorité home, l’autorité host devrait pouvoir prendre ses propres décisions en ce qui concerne la filiale située dans sa juridiction. La Commission semble être sur la bonne voie en proposant un tel opt-out, donc que la décision d’appliquer un plan de résolution pour le groupe ne serait pas contraignante. En effet, les autorités nationales d’une filiale qui ne seraient pas d’accord avec le plan seraient libres de prendre des mesures différentes si elles considèrent une telle approche nécessaire pour des raisons de « stabilité financière nationale ». D’un point de vue politique, cette solution semble également la seule qui puisse convaincre la petite vingtaine d’États membres qui se trouvent de façon structurelle dans une situation d’État membre d’accueil de grands groupes bancaires. En tout cas, une fois la proposition de la Commission officialisée, cette question se révélera être une question clé dans les négociations entre États membres et au Parlement européen.

La Commission a annoncé sa proposition législative pour l’automne. Après des législations comme celle sur la nouvelle architecture de supervision en Europe, l’AIFMD, CRD II, III et puis IV, la réglementation des agences de notation, etc., le cadre de gestion de crise bancaire constituera une des dernières mesures directes en réponse à la crise financière. Commenceront alors les négociations entre les deux branches du législateur, le Conseil et le Parlement européen. Vu la portée politique des mesures qui se dessinent, le suivi promet d’être intéressant à plus d’un égard.

L’auteur est chargé des affaires européennes auprès de l’Association des banques et banquiers du Luxembourg
Antoine Kremer
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