Luxemburgensia

Délicieuses loufoqueries

d'Lëtzebuerger Land du 22.08.2014

La dame à la mise en plis mauve est le premier recueil de nouvelles de Laurence Klopp. Une fée a dû se pencher sur son berceau, car la jeune femme réalise tout ce qu’elle entreprend dans la vie avec brio. Des premiers pas littéraires qui ne riment donc pas avec essai ou balbutiements ou prometteur ; les quatre nouvelles du recueil, « L’homme sans histoires », « La dame à la trottinette », « La dame à la mise en plis mauve » et « Le monde à l’envers », parfaitement abouties, ne méritent aucune retouche. On les qualifierait même de maupassiennes à ceci près qu’ici l’optimisme prend le pas sur la noirceur, la folie est dénuée de morbidité et le style regorge de naïveté et couleurs.

En guise d’introduction à cette œuvre pas banale, une citation. Pas de Guy de Maupassant, mais de Boris Vian – tiens donc, un protéiforme et un architecte du loufoque. « Cette histoire est entièrement vraie puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre » (L’écume des jours). Une citation qui sonne presque comme un avertissement.

Car dès les premières lignes de La dame à la mise en plis mauve, les frontières entre réel et irréel se brouillent et nos certitudes passent à la centrifugeuse, chaque histoire confrontant des personnages tout à fait normaux, voire communs, et bien ancrés dans notre époque à des hurluberlus ou des situations abracadabrantes.

Imaginez une variante d’un jeu des 7 familles, réduites à 2 : la famille normale et la famille zinzin. La première serait plus réduite que la seconde, imagination de l’auteure fertilisée à l’engrais oblige. La première donc serait constituée d’un célibataire bercé par la routine de sa petite vie qui, en guise de divertissement, épluche les petites annonces, d’un père de famille dont le quotidien rime avec travail, mais avec un sens aigu de l’observation et une imagination débridée, et d’une jeune sorteuse. Dans la deuxième, il y aurait un dealer d’histoires philanthrope, un propriétaire de poisson rouge en mal de reconnaissance, un largué opportuniste, une emprunteuse de fruits, une première vieille dame en salopette et à trottinette, une deuxième vieille dame aux cheveux mauves qui change d’un coup de pinceau le cours du monde, deux Claire qui n’en font qu’une, une schizophrène et une amie fantomatique... Pour ne citer que les personnages principaux.

Des personnages inclassables, un peu foldingues, « drôle(s), loufoque(s) et attachant(s) », mais dont on peut deviner qu’ils sont tous nés du même côté de la barrière, dans un monde pas du tout science-fictionnel, mais normal, et qu’ils n’ont jamais séjourné en hôpital psychiatrique. Et si l’un des thèmes de réflexion était là, sur la folie ? De la folie créatrice qui nous fait défaut à la folie aliénante qui nous entrave. De la folie dont on veut nous débarrasser pour mieux nous faire entrer dans le moule à la folie provoquée par un formatage excessif. La dame à la mise en plis mauve en comporte d’autres coups de dents à notre société cléricale, du métro-boulot-dodo, où inaction rime avec ennui, du politiquement correct, des frustrations familiales, de l’alcoolisme social, du reniement des personnes âgées, du harcèlement au travail, etc. Des pichenettes discrètes, car La dame à la mise en plis mauve est avant tout un moyen de locomotion dans le passé, au temps où nos capacités de croire étaient inébranlables, celles d’imaginer inépuisables et celles de créer, dont d’inventer son propre langage, sans limites. À quand le prochain voyage ?

Laurence Klopp : La dame à la mise en plis mauve, Kremart Edition, Luxembourg, 2014 ; ISBN 978-99959-830-6-2.
Lore Bacon
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