Théâtre

Que veux-tu ?

d'Lëtzebuerger Land vom 10.11.2017

L’audace semble avoir été le mot d’ordre pour la rentrée des théâtres de la Ville de Luxembourg, à l’instar du Grand Théâtre avec le 887 de Robert Lepage ou encore du Centaure avec sa Mission si bien accomplie. Le Théâtre ouvert Luxembourg a quant à lui misé sur ce qu’il sait d’habitude bien faire : une combinaison habile entre dramaturgie et vaudeville emmenée par Jérome Varanfrain à la mise en scène... Il en résulte malheureusement une pièce tiède, adaptée – Dieu sait pourquoi – d’un texte de 1995 de l’auteur britannique David Hare croisant sombres retrouvailles amoureuses et fracture sociale.

Le pitch est pourtant potentiellement prometteur : quelques années après que la femme de Tom ait découvert la liaison qu’entretient ce dernier avec Kira – patronyme qui sera prononcé de toutes les façons possibles pendant les deux longues heures de cette production – le businessman londonien fait irruption dans la vie de celle qui a décidé à présent de donner aux autres en enseignant dans un des lycées les plus difficiles de Londres. Un fait qui peut sembler anodin mais Alice, femme et partenaire en affaires dévouée, est décédée depuis un an d’une longue et pénible maladie qui a fait de Tom et de son fils Edward un vieux couple improbable miné par les non-dits et les affrontements perpétuels... Alors que Kira s’est exilée dans les quartiers les plus populaires du nord londonien, père et fils vont se succéder pour grapiller les dernières bribes de sagesse que peut leur apporter celle qui a partagé leur vie familiale comme collaboratrice « with benefits » pendant toutes ces années.

Un soir en particulier va faire voler en éclats la retraite de Kira : Tom, veuf depuis un an, débarque à chauffeur rompu dans cette cité accablée de froid par le poids de l’hiver pour tenter de trouver la rédemption qu’il cherche depuis si longtemps... Elle sort de son bain, enfile les quelques bouts de chiffons qui lui servent de tenue domestique, balance les clés au dehors et attend que celui qu’elle aime toujours, mais qui ne comprendras jamais ce pour quoi elle l’a quitté, se hisse jusqu’à son repaire frigide. Kira – interprétée par Véronique Fauconnet – est sans voix ou presque, et elle prétend préparer un plat de spaghettis pour deux alors que son ancien amant, incarné par Denis Jousselin, n’a de cesse que de psalmodier, d’éructer sa haine contre ceux qui se mettent en travers de son chemin. Un téléfilm de Noël sur une chaîne câblée gratuite n’aurait pas fait mieux...

S’en suit un interminable règlement de compte entre un grand patron riche comme Crésus grâce à un éventail de restaurants « fancy » installés dans le quartier très huppé de Chelsea, où Kira a rencontré Tom et Alice, et une enseignante d’âge moyen, qui passe chaque jour des heures dans les transports en commun, un livre à la main, pour rejoindre son sinistre lieu de travail et qui refuse de transiger avec la condescendance que les puissants britanniques affichent à l’égard de ceux qui, comme elle, tentent de mettre leur potentiel au service de ceux qui en ont le plus besoin.

Dans le rôle de ces deux personnages autrefois liés par une passion sans borne, les deux acteurs n’auront de cesse que de répéter, encore, toujours, encore plus et toujours plus ce qui les éloigne à présent : l’opposition on ne peut plus cliché entre l’entrepreneur capitaliste avide de succès personnel et la figure sociale autoconsacrée et figée dans sa bien-pensance. Un schéma ennuyeux comme rarement vu au Tol, à l’image de ce texte insipide. La question se pose : pourquoi avoir choisi l’ennui sidéral d’un amas d’archétypes des années 1980 sans le mettre en adéquation avec ce qui se passe aujourd’hui ? Jérôme Varanfrain, qui d’habitude régale le public du Tol, ne parvient cette fois pas à répondre à cette problématique avec une mise en scène a minima et toute en gestuelle, parfois adéquate, parfois non. On notera toutefois un moment de félicité lorsque Kira et Edward partagent, en toute fin de spectacle, un « breakfast » cathartique, et que le noir scène se fait sur le doux souffle de Véronique Fauconnet et Brice Montagne...

Skylight, texte de David Hare mis en scène par Jérôme Varanfrain ; scénographie et costumes : Jeanny Kratochwil ; avec : Véronique Fauconnet, Denis Jousselin et Brice Montagne ; au Théâtre ouvert Luxembourg encore les 16, 18, 22, 23, 25 et 30 novembre et le 1er décembre à 20h30 ; tol.lu/spectacles/skylight.

Fabien Rodrigues
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