Bâtiments des institutions au Kirchberg

Tetris

d'Lëtzebuerger Land vom 20.11.2003

Le budget n'était pas important. En tout cas, il ne constituait pas vraiment une donnée essentielle parmi les critères de choix du jury, qui délibérait les 13 et 14 novembre derniers sur les projets d'architectes ayant participé au concours «pour la réalisation d'une extension de l'immeuble Konrad Adenauer à Luxembourg-Kirchberg». Contrairement à d'autres concours d'architectes récents, notamment celui des Archives nationales, où le non-respect du budget était même une raison suffisante pour l'exclusion d'un dossier. Au Kirchberg par contre, il s'agit d'institutions européennes, et leur présence au Luxembourg est primordiale pour le poids politique et la visibilité du micro-État en Europe. Le gouvernement met donc les bouchées doubles pour enfin résoudre les problèmes de pénurie de place et de vétusté des immeubles. Et ne dit-on pas que qui aime ne compte pas?

C'est n'est qu'après avoir insisté que Fernand Pesch, administrateur général du ministère des Travaux publics et président du Fonds Kirchberg, répondit aux questions des journalistes: le budget du projet de construction se situera aux alentours de 200 millions d'euros (8 milliards d'anciens francs) pour une surface totale de plus de 150000 mètres carrés, devant accueillir quelque 2800 fonctionnaires du secrétariat général du Parlement européen. Le projet gagnant a été dessiné à Stuttgart, par Heinle, Wischer [&] Partner, et fut sélectionné surtout grâce à son «interprétation pertinente du schéma urbanistique», grâce à la forte identité visuelle que lui attribue sa tour, et grâce au sentiment d'unicité du site qui se dégage surtout d'un énorme toit sur de fines colonnades qui regroupe tous les bâtiments du site. 

Le projet de construction est le fruit de longues et difficiles négociations entre le Parlement européen et le gouvernement luxembourgeois. Politiquement, après des mois de querelles dues aux désagréments causés aux fonctionnaires par l'énorme chantier de la Place de l'Europe notamment - on se souviendra de l'échange d'amabilités entre les syndicats et l'administration luxembourgeoise -, le dossier s'est débloqué cet été, lors de la visite de Pat Cox, le président du Parlement européen. Ce 8 juillet-là, «le président a en tout cas répété que l'engagement du Parlement européen envers le Luxembourg en matière d'institutions resterait inchangé,» selon le communiqué officiel.

L'accord sur l'immobilier retient une solution à court et une autre à moyen terme. En un premier temps, dès que les deux nouvelles tours, A et B, de 19 étages chacune, à gauche et à droite de l'avenue J.F. Kennedy, à l'entrée du Kirchberg, seront achevées, et cela pourrait être dans les prochains mois, le gouvernement luxembourgeois les louera pour quelque 13,25 millions d'euros par an, pour les mettre ensuite à la disposition des services du Parlement européen. Ceux-ci pourront alors libérer le bâtiment Tour, d'Héichhaus, déjà transformé actuellement en énorme chantier en vue de l'extension de son Centre de conférences pour l'Europe élargie, ainsi que le bâtiment Robert Schuman adjacent, dans lequel le gouvernement luxembourgeois veut installer sa Bibliothèque nationale. Comme dans un ménage qui s'agrandit mais manque de rangements, le PE doit également bien s'organiser entre les situations extraordinaires et les solutions transitoires pour pouvoir continuer à travailler.

Le projet pour l'extension du bâtiment Konrad Adenauer (Bak) doit encore être affiné, puis articulé sous forme de projet de loi, discuté et adopté au parlement luxembourgeois. Mais l'essentiel était maintenant cet acte symbolique de début des procédures, marquant ainsi la volonté du Luxembourg de rester compétitif dans la concurrence acharnée des autres sièges européens, Bruxelles et, pour le parlement, Strasbourg. Le maître d'oeuvre du chantier sera le gouvernement luxembourgeois, mais Pat Cox a confirmé cet été que, comme la Commission européenne, le Parlement européen veut se porter acquéreur des immeubles. Pour le nouveau complexe Konrad Adenauer, le PE passera donc une sorte de contrat de location-vente, ou leasing, qui lui permettrait d'en devenir propriétaire au bout d'une vingtaine d'années. 

Peu avant la proclamation des résultats du concours d'architectes, ce lundi, le ministre du Trésor et du Budget, Luc Frieden (CSV), a déposé le projet de loi n°5230 «autorisant l'aliénation, par voie de vente de gré à gré, d'une propriété domaniale située à Luxembourg-Kirchberg». Il s'agit du contrat de vente pour les 64000 mètres carrés actuels du Bak au Parlement européen, pour une somme totale de 60,4 millions d'euros. Le terrain sur lequel le bâtiment est construit est cédé pour un euro symbolique de droit de superficie, pour une durée de 49 ans, renouvelable une fois, «conformément à la politique de siège du gouvernement», comme le note l'exposé des motifs du projet de loi. La première idée pour l'aménagement du Kirchberg, dans les années 1950, avait jadis même été de mettre gratuitement à disposition des institutions européennes, alors en gestation, tout le quartier, d'y créer une sorte d'extraterritorialité.

Avec les extensions entamées ou encore en projet de quasi toutes les institutions européennes installées au Kirchberg - quatrième extension de la Cour de justice des Communautés européennes par Dominique Perrault, troisième extension de la Banque européenne d'investissement par la bureau Ingelhoven, extension de la Cour des comptes par Jim Clemes (une deuxième extension est déjà à l'étude), agrandissement du Centre de conférences international, nouveaux bâtiments sur le site Bak -, devenues nécessaires pour répondre aux nouveaux besoins créés par l'élargissement de l'Union européenne dès mai 2004, le Kirchberg risque de devenir encore plus fortement marqué par ces bâtiments administratifs impersonnels. Et transformé en ville-fantôme le soir et le week-end. Pour le piéton, le gigantisme des immeubles est déjà flagrant aujourd'hui. Ceci est une des raisons pour lesquelles la mixité des fonctions est désormais imposée quasi d'office pour les grands projets de construction. Comme pour le Bak, dont le cahier des charges imposait aussi de prévoir une place publique, une rue piétonne et des commerces aux rez-de-chaussées. 

Or, toutes les études urbanistiques réalisées au Fonds Kirchberg vont dans le sens d'une densification encore accrue du tissu urbain. Ainsi, tous les bâtiments devront désormais être alignés sur le front de rue de l'axe principal du Kirchberg, l'avenue J.F. Kennedy. Ce qui fait qu'on a parfois, en y roulant en voiture, l'impression d'être dans un jeu vidéo. Le mythique jeu Tetris, datant de la fin des années 1980, dépassé depuis lors par la technologie, permettait de remporter une partie en remplissant le plus judicieusement tous les espaces blancs de son écran de formes géométriques diverses tombant à une vitesse de plus en plus grande du haut de l'écran. Parfois, on a l'impression que l'aménagement du Kirchberg est comme un jeu Tetris justement: des formes géométriques tombent de plus en plus vite du ciel, et le joueur n'a qu'à réagir vite pour remplir tous les blancs qui lui restent. 

Et parfois, c'est comme si les éléments arrivaient trop vite, alors le joueur n'y est pas préparé, comme ce pénible épisode, cet été, de l'installation en catastrophe d'une salle de réunion provisoire pour les Conseils des ministres européens - qui, selon les traités européens, ont lieu en avril, en juin et en octobre au Luxembourg -, dans les halls 4 et 5 des Foires internationales pour un coût total de 18,6 millions d'euros. Outre le détail pénible que les locaux n'aient pas été prêts pour le premier des Conseil des ministres du mois d'octobre, et au-delà même de son coût élevé et disproportionné, cette solution provisoire laisse présager qu'elle risque de durer, i.e. que le Centre de conférences international ne sera pas prêt pour le premier trimestre 2005, lorsque le Grand-Duché assurera à nouveau la Présidence de l'Union européenne, cette fois d'une Europe élargie. On parle de 2006, voire même de 2007 pour son achèvement.

Et ce alors même que les procédures de recrutement des ministères en vue de ces six mois aux charges extraordinaires furent lancées le mois dernier et que le programme pluriannuel des dépenses en capital prévoit un investissement de cinq millions d'euros pour le poste «Présidence de l'Union européenne: location de salles, travaux d'aménagement, acquisition de mobilier et d'équipements spéciaux, dépenses diverses» en 2004. 

Le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) répond personnellement aux questions parlementaires au sujet des immeubles européens. Au ministère des Affaires étrangères, une cellule de coordination tente de planifier un peu mieux que ces dernières années les besoins à venir - comme la construction d'une deuxième école européenne à Mamer. Désormais, le petit Luxembourg veut prouver qu'il est à même d'assurer toutes les charges européennes qui lui incombent. Et donc qu'il est un membre à part entière de l'Union, avec les mêmes droits aussi, et ce malgré sa taille réduite. Dans ce contexte, la visite officielle du Grand-Duc Henri sur les grands chantiers de la Place de l'Europe donne un coup d'éclat symbolique à ces efforts d'investissement. Un soutien bienvenu.

 

 

 

 

 

 

josée hansen
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