Le DP tente de s’ériger en défenseur des classes moyennes, majoritairement fonctionnaires. En 1999, cette stratégie avait marché

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d'Lëtzebuerger Land vom 24.06.2010

Étonnement dans la salle – ou du moins sur le banc des journalistes. Après la vingtaine de points statutaires à l’ordre du jour de ce congrès national ordinaire du parti libéral, samedi 19 juin à Mamer, tous discutés au grand galop, il y a une intervention de la salle, alors que d’habitude, tout est joué d’avance, les congrès du DP étant les moins animés du spectre politique. Deuxième étonnement, c’est Henri Grethen, l’ancien ministre de l’Économie et actuel membre de la Cour des comptes européenne, qui avait promis ne plus s’immiscer dans la politique nationale, qui prend le micro pour dire tout le bien qu’il pense de son parti, de ses idées et de son équipe rajeunie depuis la défaite aux législatives de 2004.

« Depuis que je fais de la politique, j’entends toujours les mêmes salades sur mon parti. Comme le reproche que nous n’aurions pas de bon personnel politique. Or, cela on l’a déjà dit quand nous étions jeunes, Lydie (Polfer), Ännchen (Brasseur) et moi, que nous ne valions pas grand chose par rapport à nos illustres prédécesseurs comme Gaston Thorn. Mais pourquoi est-ce qu’ils nous appellent alors maintenant, comme ils viennent de le faire, pour nous dire que si nous revenions, nous, les anciens, qu’avec des gens comme moi, ils feraient tout de suite une nouvelle coalition... ? Moi je dis : nos politiciens sont bons. Ils sont meilleurs que ceux des autres. Et je suis fier d’eux ! » Applaudisse-ments enthousiastes dans la salle.

En réalité, c’est une petite bombe qu’il vient de lâcher, en confirmant qu’au faîte de la crise politique qui a fait voler les consultations de la tripartite en éclats il y a deux mois, les leaders du CSV, furieux d’être publiquement désavoués par le partenaire de coalition socialiste, ont effectivement appelé Henri Grethen pour lui demander de revenir dans la politique nationale, ce qui lui aurait valu un poste de ministre en cas de changement au vol du partenaire de coalition. Les mandataires des Verts ont reçu des appels similaires de la part du CSV. Si donc la coalition a survécu l’épreuve du printemps dernier, c’était seulement par dépit, parce que les autres ne voulaient pas.

Sur la petite scène de la salle des fêtes bondée de 272 délégués au dernier étage du Mamer Schlass pourtant, les officiels du DP, assis en V sous des palmiers et derrière des fougères de location, font triste figure. Le congrès s’ouvre sur une série d’adieux, à Georges Gudenburg, l’ultra-dynamique secrétaire général depuis quatre ans, qui avait opté pour une stratégie d’attaque virulente du CSV dans une langue parfois guerrière, parfois corsée dès son entrée en fonction, « et j’ai eu la satisfaction de constater que les militants du parti adhéraient à mon acception de la politique, qu’ils aiment une ligne politique claire, qui a des contours. Vous m’avez toujours soutenu, merci pour ça, » dit-il, ému, parce que d’arrêter comme secrétaire général aurait été « la décision la plus difficile que j’aie eue à prendre dans ma vie ». Il arrête pour raisons de santé : surmené, il a eu deux malaises en quatre mois.

Depuis qu’il a appris la décision de Georges Gudenburg, avec lequel il avait commencé le processus de rajeunissement du parti après l’échec cuisant aux législatives de 2004, Claude Meisch, en faiseur de roi, passait son temps au téléphone pour essayer de constituer sa nouvelle équipe. « Quand Claude m’a demandé de me porter candidat..., » était d’ailleurs la formule commune à tous ceux qui se présentèrent pour un poste de décision interne. L’homme le plus important, le secrétaire général, y joue un rôle majeur : Fernand Etgen, député-maire de Feulen, élu haut la main (243 voix sur 272 possibles) a 18 ans de plus que Claude Meisch et est en de nombreux aspects son opposé. Élu du Nord, il est maire d’une petite commune rurale et fonctionnaire en retraite de l’Administration de l’enregistrement et des domaines. Relativement peu connu sur le plan national – il se classe en dixième position du dernier Politbarometer Tageblatt/TNS Ilres (du 17 juin 2010), où 41 pour cent des sondés seulement souhaitent qu’il joue un rôle plus important et seize pour cent disent ne pas le connaître –, il avait repris le mandat de député d’Emile Calmes, démissionnaire, en 2007 et a été réélu en 2009. Très actif, il concentre ses questions parlementaires sur tout ce qui concerne la gestion de l’administration de l’État, taxes, impôts, et tout ce qui touche le Nord du pays. Selon les derniers sondages, toujours Tageblatt/TNS Ilres, le DP se disputerait un deuxième siège au Nord avec le LSAP.

S’il ne correspond donc pas au profil d’un rajeunissement du parti, il pourrait représenter cette partie de l’électorat que le DP convoite tant : les fonctionnaires, qui avaient contribué à sa victoire en 1999. « Je vais me battre pour que ce parti reconquière la place qui lui revient : au gouvernement ! » s’emporte-t-il, avant de se montrer combatif et volontariste (« je suis un homme impatient avec des objectifs clairs »). Il est aussi aux antipodes de son prédécesseur, qui concevait la politique sur un plan idéologique d’abord. Fernand Etgen veut prioritairement remporter les élections communales de 2011, pour lesquelles les préparations sont déjà en cours, sur le terrain, « proche des gens ». Pour motiver les troupes, il veut faire le tour des sections durant les semaines à venir. Claude Lamberty, enseignant, président sortant de la Jeunesse démocrate et libérale, ancien animateur d’émissions de télévision (Tango TV) et actuel échevin à Hesperange, le secondera en tant que secrétaire général adjoint, poste pour lequel il n’y a pas eu d’élections.

« Il n’y a pas d’alternative au renouveau, » estima Fernand Etgen samedi. Et que le DP devait se présenter uni. « Claude, tu as choisi la bonne voie, tu peux toujours compter sur moi, » avait assuré Anne Brasseur en guise d’adieu du poste de première vice-présidente, pour lequel elle ne voulait plus présenter sa candidature, « cette responsabilité, je l’ai assumée pour faire la transition entre l’ancienne équipe et les plus jeunes. » Elle est remplacée par Guy Daleiden, conseiller communal à Steinsel et ancien secrétaire général, qui voudrait que son parti fasse « sa propre politique, une politique qui n’est pas basée sur des préceptes idéologiques » et pour qui l’esprit libéral consiste surtout dans le respect du « projet de vie » individuel de chacun.

Mais quel est donc le « projet » du DP ? Une critique bon enfant de la majorité CSV-LSAP certainement, qui aurait menti aux électeurs en excluant des hausses d’impôts en juin 2009, alors que « ce qui nous attend maintenant, c’est une véri­table ‘bombe fiscale’ » (Claude Meisch). Un gouvernement qui, faute d’être préparé pour les discussions du comité tripartite, a augmenté la crise au lieu de concilier les intérêts opposés des partenaires sociaux, qui agresse les classes moyennes et leur pouvoir d’achat et freine le dynamisme des entreprises, avec un Premier ministre qui veut régir son pays à mi-temps... Et d’ailleurs, si le gouvernement voulait vraiment faire un cadeau au pays, qu’il démissionne ! lança le président du parti sous les applaudissements nourris de la salle.

Le président du groupe parlementaire Xavier Bettel, toujours frais à ce poste, « plein de respect pour ces grands hommes qui ont occupé cette fonction avant moi », s’en prit lui aussi avant tout aux « mensonges » de la majorité, qui aurait caché l’état désastreux des finances publiques – système social, impôts, retraites – aux électeurs l’année dernière et qui bloquerait l’avenir du pays par son immobilisme et ses querelles internes. « Je suis un mec plutôt impatient, dit-il lui aussi. Et : Je ne supporte pas l’hypocrisie, le DP n’a de leçon de morale a recevoir, de personne ! » Source de l’agacement : les idées de la majorité pour freiner l’exportabilité des services sociaux aux frontaliers, volées au DP sans droit d’auteur...

Or, des idées concrètes au DP ? Une autre approche de la crise ? Il n’y en eut guère. Mais peut-être que le DP a changé de stratégie, du top down, la conception d’un programme par les organes de direction du parti, au bottom up : la campagne Dat kannst du dir spuere, Lëtzebuerg, enquête par voie d’Internet sur les propositions des internautes où on pourrait faire des économies en serait alors une expression parmi d’autres. Tout comme le Café politique mensuel que Xavier Bettel vient de lancer via Facebook pour « discuter des sujets politiques à un endroit décontracté » – et, au passage, recruter de nouveaux membres ?

L’idéologie libérale serait alors incarnée par la somme des personnes qui représentent le parti, de Xavier Bettel en passant par Fernand Etgen et Guy Daleiden à Claude Meisch. Comme leurs électeurs, ils ont surtout à perdre dans le contexte actuel. Ainsi fragilisés, ils sauront doublement apprécier le soutien des anciens.

josée hansen
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