Lëtzebuerger Filmpräis

Pedro n'a pas pu venir

d'Lëtzebuerger Land du 16.10.2003

« Mais siiii, Josiane, il faut que tu dises quelque chose ! » chuchote-t-on à la table ronde, juste à côté de celle de la Grande-Duchesse, du maire de la capitale et de deux ministres. Josiane Peiffer se lève, monte sur scène, murmure quelque chose à l'oreille de François Biltgen, ministre délégué aux Communications, sourires gênés des deux. L'actrice était la présidente du jury du premier Lëtzebuerger Filmpräis, le ministre venait de lancer une boutade comme les lancent les politiciens habitués à animer des congrès, des réunions et des parlements. « Bien qu'il ne fut pas composé politiquement, ce jury a néanmoins pris une décision très politique pour l'attribution du prix du meilleur film, » sourit le ministre en annonçant que ce prix était attribué ex æquo à L'homme au cigare d'Andy Bausch et à J'ai toujours voulu être une sainte de Geneviève Mersch. Il pensait probablement politique au sens de « diplomatique, sage », le jury comprenait l'adjectif dans le sens de « politicienne » et Josiane Peiffer de souligner qu'il s'agissait là d'une décision « purement artistique ».

Ce petit interlude qui clôturait une cérémonie s'étant jusque-là déroulée dans une ambiance plutôt bon enfant n'est peut-être qu'un détail, mais il est néanmoins significatif pour la distance qu'il y a entre les deux mondes, celui de la politique et celui du cinéma ou des arts en général. Le Lëtzebuerger Filmpräis fut créé par François Biltgen, à l'aide d'une brassée d'intervenants étatiques et associatifs, certes, mais grâce à sa seule volonté politique. Et un politique, c'est comme ça que ça parle, c'est son métier. Plus souvent dans les salles obscures ou les salles de montage que devant Chamber TV, les professionnels du cinéma étaient visiblement méfiants devant cette incursion du politique dans « leur » fête. D'autant plus que le politique venait de couper 500 000 euros sur le budget 2004 du Fonds de soutien à la production audiovisuelle (d'Land 40/03).

Même si une semaine plus tôt, lors de la séance d'ouverture de la semaine du film luxembourgeois, le ministre avait désamorcé la menace de protestations de la part des professionnels en parlant franchement de ces coupes nettes, en en expliquant les raisons (restrictions budgétaires pour tout le monde !) et en assurant que, comme il s'agit d'un crédit non-limitatif, il pourrait à tout moment être ajusté à la demande, qu'aucun film n'en ferait les frais. Une chose est sûre : pour l'image du président du CSV, l'opération est tout bénef'. Pourtant, il y en avait, des politiques ce soir-là pour se bousculer dans la Rotonde, parmi quelque 700 invités triés sur le volet. Paul Helminger, maire libéral, attribuant deux lions d'honneur pour l'occasion à Andy Bausch et à Fred Junck, le fondateur de la Cinémathèque. 

Viviane Reding aussi, CSV, infatigable commissaire européenne à la culture, donc au cinéma, amie avec tout le monde, à l'entendre, qui excusa « Pedro » (Almodóvar), il aurait tellement aimé venir chercher son prix du « meilleur film européen » pour Hable con ella, que la critique luxembourgeoise lui a attribué, mais hélas !, il est en tournage, nous dit Viviane (Reding). Non sans avoir fait au préalable quelques tours de magie avec David Goldrake, « gentleman of magic ». On a dû voir ça à la télé, qu'à Hollywood, il y a des magiciens pour toutes les occasions et comme il y en a un de jeune et beau qui nous vient de Bascharage, comme la bière, ça tombait bien. Et David Goldrake sait faire comme les grands, le tout en anglais, comme Siegfrid et Roy, mais sans les tigres blancs, trop dangereux. L'anglais, cela fait tout de suite plus classe, Please switch off your mobile telephones... ou : Mister Bausch, your taxi is waiting for you ! 

Le palmarès fut la plus grande surprise du soir, jalousement gardée par le jury. Sa décision la plus sage fut probablement celle d'attribuer le premier prix ex æquo à deux films très différents, un long-métrage de fiction et un documentaire, en l'absence de deux catégories distinctes. Car le documentaire est actuellement passionnant au Luxembourg. Andy Bausch, surtout connu pour ses films de fiction, ne fut pas récompensé pour Le club des chômeurs mais pour un documentaire intelligent, bien fait, divertissant et informatif sur Fred Junck ­ et les membres du Ciné-Club 80 qui, parce qu'ils ne s'entendirent pas avec lui partirent quelques centaines de mètres plus loin fonder l'empire Utopia. Probablement son meilleur film jusqu'ici. Geneviève Mersch a fait le chemin inverse, venant du documentaire social, où elle excelle, elle fut récompensée pour son premier long-métrage de fiction, l'histoire de l'émancipation d'une adolescente.

Le club des chômeurs d'Andy Bausch, succès populaire, était quant à lui indirectement récompensé par le prix de la meilleure « contribution artistique » (à défaut de prix du meilleur acteur et de la meilleure actrice) attribué à Thierry van Werveke, personnage principal du film. Visiblement averti trop tard, il ne fit qu'un saut, une blague avant de retourner route de Hollerich pour présenter le nouveau CD His bastard's noise de son groupe Nazz Nazz. Choix courageux aussi que celui de désigner Une part du ciel de Bénédicte Liénard meilleure coproduction, car le film exigeant et militant, loin du divertissement qui est habituellement promu à pareilles occasions.

Si Bady Minck partait injustement les mains vides - son moyen-métrage Im Anfang war der Blick est pourtant à la fois audacieux, poétique et complexe -, Dan Wiroth était, à l'opposé, le grand gagnant de cette soirée : prix du Jeune espoir et prix du meilleur court métrage pour son très beau film de danse If not, why not ? sur une chorégraphie d'Akram Khan. Et le prix du regard le plus perplexe allait à Thierry Faber, récompensé pour son montage du documentaire Les Luxembourgeois dans le Tour de France de Paul Kieffer, tellement il n'en revenait pas de se retrouver sur scène.

 

josée hansen
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