La Grèce après les législatives

Dépolitisation et déception comme les grandes gagnantes

d'Lëtzebuerger Land du 25.09.2015

Démocratie en ruines ? « Imaginez que vous soyez tellement occupé à soigner l’image de votre maison que vous oubliez d’en prendre soin ; imaginez vous réveiller un matin et que votre maison, les efforts de toute une vie, tombent tout d’un coup en ruines. Vous serez d’abord choqué et déçu. Puis, vous vous rendrez compte qu’indépendamment de votre volonté, vous n’aviez pas utilisé les bons matériaux pour la construire, que vous étiez tellement occupé à espérer vivre dans cette maison que vous en avez oublié le soin des fondements. Cela est aussi bien valable pour la Grèce que pour l’Europe. Il ne faut pas se leurrer ».

Voilà la description la plus vivante de ce qui est arrivé en Grèce lors du dernier scrutin, ce sont les paroles d’un monsieur « d’un certain âge » à l’arrêt d’un autobus. « La décision d’Alexis Tsipras, de signer un mémorandum malgré le ‘non’ – qui a reçu 62,5 pour cent des votes grecs le 5 juillet au référendum –, décision justifiée par le fait qu’autrement, le pays aurait dû faire face à une sortie chaotique de la zone euro et à une faillite violente, n’a pas encore été digérée par le peuple grec, continue-t-il. Nous sommes un peuple d’idéologues, de passionnels, nous avions cru en ce qu’il promettait en janvier 2015. Comment voulez-vous aller voter après ? »

Selon les points de vue, en effet, il y a plusieurs lectures possibles du scrutin qui a eu lieu le 20 septembre en Grèce et dont les résultats chiffrés sont les suivants (ne suivent que les partis qui entrent au Parlement) : 35,46 pour cent des voix et 145 sièges au Parlement pour Syriza ; 28,10 pour cent et 75 sièges pour la Nouvelle Démocratie ; 6,99 pour cent et 18 sièges pour le parti néo-nazi Aube Dorée (troisième parti du parlement encore une fois !) ; 6,28 pour cent et 17 sièges pour Pasok-Dimar (l’Union des socialistes-centristes) ; 5,55 pour cent des voix et quinze sièges pour le Parti communiste ; 4,09 pour cent des voix et onze sièges pour le Potami ; 3,69 pour cent des voix et dix sièges pour Anel (le parti souverainiste des « grecs indépendants ») et 3,43 pour cent des voix et neuf sièges pour l’Union des centristes (le parti de Vassilis Leventis). Or, cette description chiffrée des résultats des élections, cache les réels gagnants de dernières élections grecques en date.

L’abstention La dépolitisation et la déception sont en effet les grandes gagnantes de ces élections : 44,1 pour cent des inscrits n’ont pas voté et 2,45 pour cent des bulletins étaient blancs ou invalides. L’abstention a en effet augmenté de 7,5 pour cent par rapport aux élections du mois de janvier 2015. « Cela n’est pas très étonnant, puisque nous savions tous que, quel qu’eut été le locataire du Palais de Maximou (les bureau du gouvernement grec), nous sommes engagés dans ce mémorandum qui régit chaque détail de notre vie quotidienne et sur lequel nous n’avons aucun pouvoir, ni nous, ni notre Parlement. Nous savons que tout cela est une mascarade. Nous avons donc un gouvernement, iconiquement similaire au précédent, mais aussi un Vassilis Leventis au Parlement avec neuf députés que personne ne connaît1, Panagiotis Lafazanis et Zoé Konstantopoulou en dehors. Le pourcentage des fascistes a augmenté. Tout comme l’assassin ‘je m’en fous’ de notre part. Mes enfants, Kostas, Natalie et Julia ne sont pas allés voter. Et avec eux, un Grec sur deux », explique Madame Maria, mère de famille qui prend part à la même conversation. « L’indifférence a été officialisée par des chiffres très clairs. Je ne veux plus entendre quelqu’un se plaindre, pour rien ! Nous avons ce que nous méritons ! Et le néolibéralisme aussi : des citoyens qui abandonnent leur citoyenneté car ils sont déçus ».

Le « Tina » There is no other alternative. Ce fût l’argument de Tsipras pour justifier le fait qu’il ait signé le mémorandum. C’est aussi l’une des raisons de la grande déception de la gauche grecque, qui vit cet argument comme une capitulation face au capital et à l’Europe néolibérale. Tsipras, pour des raisons qui ont déjà étés décrites au sein du Carnet grec, a tout de même ses électeurs et pas seulement parce que la majorité des Grecs ne veut plus voir l’« establishment » de l’ancienne classe politique au pouvoir. « Il a gagné parce qu’il est fin stratège, certes, mais aussi parce qu’il est sincère. J’ai voté pour lui car même s’il a changé de direction lors de son dernier mandat, il n’a jamais caché ses intentions et ses convictions. Il ne pouvait aller contre toute l’Union, nous connaissons ses convictions, nous savons qu’il en a et qu’il fera tout ce qui passe par son pouvoir pour les défendre. Nous devons lui donner du temps, les autres ont eu des années. Il a droit à une prolongation. Sinon, où irait-on ? », explique Madame Stella, professeure des Universités, qui participe à la discussion.

Agir local La volonté d’agir localement, dans les quartiers, de mettre en place de petites initiatives plutôt que le cynisme absolu, mais aussi plutôt que le fanatisme que nous avons vécu lors le référendum et qui a séparé le pays en deux camps ; telle est l’option choisie par les jeunes. Alexis, jeune manager culturel d’une initiative locale explique : « Les initiatives indépendantes des partis et de l’euro sont la seule chose qu’il nous reste à faire, c’est notre devoir. La prise de conscience de ces derniers mois est dure. Nous avons compris que nous sommes responsables, qu’il faut se calmer, qu’il faut rêver, croire mais ne pas avoir d’illusions fanatiques, pas nous laisser aller dans une fascination religieuse pour un parti. Notre seule option ? Faire notre politique au quotidien, à petite échelle, collectivement, de manière créative, autrement. Nous sommes, pour la plupart d’entre nous, en phase de recherche, nous devons comprendre ce qui définit le devenir politique du pays. Avec beaucoup d’interrogations et moins de croyances naïves. Il nous reste les scrutins prochains au Portugal et en Espagne. Si le sud de l’Europe vote à gauche, peut-être que nous aurons plus de force pour renégocier ».

1 Ce parti centriste dirigé par un certain Vassilis Leventis, qui est devenu célèbre par des émissions télévisées nocturnes, est un paradoxe « à la grecque ». L’entrée du parti au Parlement grec donne le ton de ce scrutin, car en effet, la majorité de ses électeurs sont des gens déçus, qui ont voté pour lui en guise de « blague ». Exemple : les supporters de l’équipe de foot Aris à Thessalonique avaient voté pour lui lors des élections précédentes également, car il fait rire les foules tellement il est caricatural d’une Grèce des années 1950.
Sofia Eliza Bouratsis
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