Lëtzebuerg, du hannerhältegt Stéck Schäiss

Impertinents

d'Lëtzebuerger Land vom 25.09.2015

Les acteurs bégayent, la mise en scène est dilettantiste, et pourtant que c’est jouissif… Lëtzebuerg, du hannerhältegt Stéck Schäiss, de Richtung 22, un collectif de guérilla provo 2.0, dépièce avec une féroce impertinence la campagne de nation branding. La pièce repose sur un minutieux travail de documentation, une approche qui a fait la force d’émissions satiriques américaines comme The Colbert Report, The Daily Show et Last Week Tonight. Quasiment tous les dialogues et monologues sont extraits de brochures ou de discours officiels publiés et tenus par divers ministres, associés de Big Four, communicants et fonctionnaires patronaux.

En piochant dans ce vaste corpus, Richtung 22 remonte de précieuses pépites de Realsatire. Mais, au-delà de l’anecdotique, le collectif réussit à déconstruire un discours qui combine mysticisme jungien, novlangue de la communication, simulacre « participatif » et brochures de PWC dans un ensemble aussi grandiloquent que branlant. Lorsqu’éclate le scandale Luxleaks, on voit les Big Four s’enfuyant de la scène en criant : « Tous aux abris ; les politiciens au front ! » Le pastiche de citations de Xavier Bettel, Pierre Gramegna et Francine Closener qui suit est anthologique.

Le cabaret de Richtung 22 ne se moque pas de la coupe de coiffure de Maggy Nagel ni ne s’indigne des voitures de service « vun onse Politiker ». En se confrontant à la place financière, il ouvre un nouvel espace de réflexion. Car, en rétrospective, le fait que parmi les artistes et intellectuels luxembourgeois il ne se soit trouvé quasi personne pour oser thématiser le plus encombrant non-sujet de la société luxembourgeoise, ne pourra être jugé que comme un stupéfiant échec collectif. Dans ce sens, les pièces des amateurs de Richtung 22 ont un effet salutaire et cathartique.

L’année dernière, lors d’une représentation de Freeport – Culture’s Safe, l’actrice qui incarnait le rôle de David Arendt, le directeur du Freeport, s’était soudain retrouvée face à face avec le « vrai » David Arendt, qui assistait ce soir-là comme spectateur à la pièce. (Un des acteurs venait de prononcer sa ligne : « David Arendt peut-il monter sur scène ? » ; et ce dernier avait pris l’injonction à la lettre.) Si Carlo Thelen (Chambre de commerce), Nicolas Mackel (LFF), Pierre Gramegna (DP) ou Francine Closener (LSAP) avaient pris un billet pour le spectacle, s’y seraient-ils reconnus ?

Lëtzebuerg, du hannerhältegt Stéck Schäiss sera visible sur www.richtung22.org d’ici peu. En attendant, on peut y (re)voir Freeport – Culture’s Safe
Bernard Thomas
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