Représentativité nationale

François est fier d'annoncer...

d'Lëtzebuerger Land du 13.02.2003

Ça pourrait être la bonne, même si les sceptiques disposent de bons arguments. Dans la nième tentative de reconstruire un troisième pôle syndical après la déchéance de la FEP, Aleba, NGL et Snep annoncent leur fusion : à temps pour les élections sociales de novembre et à temps pour influencer en leur sens la nouvelle loi sur les conventions collectives.

La création de la « Fédération syndicale Aleba/UEP, NGL et Snep » est devenue effective lundi 10 février. L'objectif premier est de présenter des listes communes lors des élections sociales de novembre, aussi bien au plan national que dans les entreprises. Même si « les composantes vont garder une identité propre », selon Marc Glesener de l'Aleba, le but est de fusionner à moyen terme les différents syndicats. La composition du comité exécutif de la Fédération reflète l'apport des syndicats fédérés : 12 000 membres pour l'Aleba, 5 000 pour le NGL, 1 500 pour le Snep et 600 pour l'UEP. En revendiquant quelque 20 000 membres, la Fédération syndicale s'estime en droit de réclamer la « représentativité nationale ». L'OGB-L affirme avoir 53 000 membres, le LCGB 36 000.

Les deux grandes centrales mises à part, les syndicats luxembourgeois entrent tous les cinq ans en pariade. L'explication est simple : lors des élections sociales, seule l'union fait la force. C'est surtout vrai en ce qui concerne les chambres professionnelles. La répartition des sièges entre une multitude de secteurs d'activité, représentés par des  groupes avec chaque fois entre trois et onze membres, bénéficie aux syndicats les plus grands. D'où l'intérêt pour les plus petits de s'allier sur des listes communes.

La dernière tentative d'une grande fusion date donc sans surprise d'il y a cinq ans. Elle avait échoué. Des cotisations et services trop différents ainsi que, surtout, la priorité donnée par l'Aleba à un syndicat sans allégeances politiques alors que le NGL a sacrifié depuis longtemps son appellation « neutre » sur l'autel de l'ADR, se révélaient être des obstacles infranchissables. En conclusion, le salarié avait en 1998 le choix entre pas moins de sept listes concurrentes sur les bulletins de vote pour la Chambre des employés privés.

Les temps ont changé depuis. Un premier élément sont les résultats du scrutin social de 1998. La Fédération des employés privés (FEP) y a définitivement été enterrée. Depuis que sa propriété la plus précieuse -- le statut de « représentativité nationale », qui l'autorisait à signer des conventions collectives -- est partie en fumée, plus personne ne s'intéresse au fait si oui ou non, la FEP existe encore.

Autre revirement important : la reconnaissance de la « représentativité nationale » de l'Aleba par les tribunaux administratifs, confirmée par l'Organisation internationale du travail (OIT). Le syndicat des banques et assurances avait définitivement remporté la bataille pour l'héritage de la FEP. La voie à suivre ne laissait alors plus de doutes pour les autres « spin-off » de la FEP, le Snep et l'Union des employés privés (UEP) -- une filiale non-bancaire de l'Aleba.

Un nouvel obstacle s'opposait toutefois à cette réunion des employés annoncée il y un an : François Biltgen. Sous la pression de la jurisprudence, le ministre du Travail a enfin proposé une réforme de la loi de 1965 sur les conventions collectives. Celui qui vient de fêter publiquement les vingt ans de son adhésion au LCGB y a introduit un nouveau critère en matière de « représentativité nationale ». Il exige des syndicats la présence à la fois chez les ouvriers et chez les employés. Même si Aleba et Snep commentaient le projet de loi encore seuls en novembre dernier, ils avaient donc bien des raisons à inviter à nouveau le NGL à la table de négociation.

Le syndicat des artisans de l'industrie lourde ne s'est pas trop montré en forme lors des élections de 1998. À la caisse de maladie des ouvriers, le NGL était tombé de 11,7 à neuf pour cent. Côté délégués dans les entreprises, les pertes étaient de même sensibles. La question, si l'association avec l'ADR n'y était pas pour beaucoup, devait au moins être posée. La surprise est venue en janvier. Ouvrant la voie à une alliance avec l'Aleba, Gast Gibéryen a annoncé, il y a un mois, être prêt à se retirer des organes du syndicat. L'autre député ADR du NGL, le secrétaire général Aly Jaerling, sera aussi forcé de choisir son camp.

L'Aleba se devait aussi de sortir de sa situation actuelle. Alors qu'elle venait enfin d'être reconnue dans la cour des grands, ses frictions internes ont provoqué en novembre dernier une scission. L'ensemble des délégués du personnel du syndicat à la Banque générale ont quitté l'Aleba en bloc. Avec la section de la BGL, le syndicat risquait de perdre jusqu'à 1 200 membres, donc dix pour cent du total, en faveur du nouveau Syndicat des employés du secteur financier (SESF), créé pour l'occasion par le LCGB. Selon les dires de l'Aleba, seulement la moitié de ses membres l'aurait quittée. Or, les résultats des élections anticipées de mercredi  démontrent que la perte est plus importante.1 

Comme on disait dans la « nouvelle économie » : les fusions sont pour les faibles. Une simple coopération au sein d'une confédération ne ferait pas l'affaire, selon la jurisprudence sur la « représentativité nationale ». 

La présentation de listes communes sera dès lors le premier défi pour la Fédération syndicale, au plan national mais aussi dans les entreprises où ses composantes se concurrençaient jusqu'ici. Mais même les élections passées, la réussite de la fusion sera loin d'être acquise. En 1998, le Snep présentait ainsi des listes communes avec la « FEP légaliste » sous le nom de Confédération des employés privés (COEP). Par après, les partenaires du Snep ont de nouveau fait cavalier seul. 

Lundi, Marc Glesener (Aleba/président de la Fédération syndicale), Guy Vitali (NGL/secrétaire général) et Jos Lutgen (Snep/vice-président) n'ont pas caché que beaucoup de labeur les attend encore avant que la fusion ne soit effective. Après l'élaboration d'un programme électoral, il s'agira d'aligner les services offerts aux membres et, surtout, les cotisations versées en retour. Aujourd'hui, le NGL est le plus cher des trois, l'Aleba la moins chère.

À terme, l'essentiel sera toutefois le rapprochement entre les cultures des différents syndicats, en premier lieu entre le NGL et les autres. L'ensemble des syndicats d'employés privés sortent d'une tradition dans laquelle il ne fallait pas seulement défendre ses adhérents mais aussi leur statut spécifique et, surtout, les réserves de leur caisse de pension. La Fédération syndicale restera d'ailleurs le seul des trois grands syndicats à représenter en majorité des employés. Cet héritage restera donc présent, même si les dirigeants de la Fédération reconnaissent que les différences entre ouvriers et employés sont devenues -- à part le système de caisse de maladie -- infimes.

Le but de la Fédération syndicale doit avant tout être de créer une structure suffisamment forte pour faire face aux défis qui se posent aux syndicats. Avant de parler de négociations tripartites, il s'agit du soutien quotidien aux affiliés. Surtout l'Aleba a dû se rendre compte, avec le retournement de conjoncture, que l'efficacité d'un syndicat se mesure surtout quand cela va mal. Négocier un plan social (ou, mieux, l'éviter) est plus exigeant que de gérer la croissance. La Fédération syndicale devra par ailleurs éviter, en matière de transparence et de gestion financière, d'être rattrapée par les démons à l'origine de la récente scission à la BGL. 

La question cruciale de la « représentativité nationale » de la Fédération syndicale se posera probablement qu'après les élections de novembre. Le projet de loi de François Biltgen prévoit qu'un syndicat doit représenter en moyenne vingt pour cent des salariés au Luxembourg et au moins quinze pour cent aussi bien chez les ouvriers que chez les employés. La référence est le scrutin pour les chambres professionnelles, même si le taux de participation ne dépasse souvent pas 40 pour cent. Compte tenu des résultats de 1998 et en faisant abstraction des défections intervenues en cours de mandat, la Fédération syndicale devra se soucier surtout de son ancrage chez les ouvriers.

À la Chambre des employés privés, la Fédération syndicale aurait pu revendiquer en 1998 onze sièges sur les 32 réservés au secteur privé. Au scrutin pour la caisse de maladie, les composantes de la Fédération comptaient près de 43 pour cent, sans les 7,50 pour cent obtenus par la FEP.

À la Chambre du travail, la situation est plus précaire. Le NGL n'y compte qu'un seul siège sur 32. Plus représentatif est toutefois le résultat obtenu à la Caisse de maladie des ouvriers avec quelque neuf pour cent. Mais on reste loin des quinze pour cent prévus par Biltgen. 

Une des grandes interrogations que pose la création de la Fédération syndicale est dès lors de savoir si elle réussira à se faire reconnaître par les nombreux délégués du personnel sans attaches avec un syndicat -- ainsi que par leurs électeurs -- comme leur refuge naturel lors d'élections au plan national. Le slogan de neutralité politique pourrait aider. Que Jos Lutgen soit maire de Schieren ne devrait pas trop gêner. Que Guy Vitali ait été candidat sur la liste ADR en 1999 dans la circonscription sud peut-être déjà plus.

Il reviendra cependant avant tout à l'Aleba et au Snep de faire jouer, malgré toute leur neutralité affichée, leurs liens avec le DP pour revoir les seuils prévus par François Biltgen à l'octroi de la « représentativité nationale » en leur faveur. Ils ont au moins un argument : bon nombre d'organes du « modèle luxembourgeois » ont été conçus avec de la place pour trois syndicats du secteur privé. Rien que pour que la parité avec le patronat soit de nouveau respectée, alors que la FEP n'est depuis des années plus invitée, la Fédération syndicale tombe à pic.

 

Jean-Lou Siweck
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