Cinéma

Les sommets de la gloire

d'Lëtzebuerger Land du 29.08.2014

L’une est dans la réalité, deux portables en main, t-shirt à l’effigie douteuse et débit verbal accéléré. L’autre préfère croire qu’elle est au-dessus de tout ça et davantage dans la réflexion. Elle prépare même un discours, mais la mort de l’auteur a qui elle souhaitait rendre hommage, Wilhelm Melchior, va tout chambouler. Maria Enders (Juliette Binoche) fût happée par le théâtre, le cinéma et la gloire grâce à lui. Son assistante Valentine (Kristen Stewart) gère la vraie vie, celle des contrats et du divorce qui se prépare. Peu après la mort du dramaturge, les deux femmes se réfugient dans sa maison suisse, sur le plateau de Sils Maria, pour préparer une nouvelle adaptation de Maloja Snake, la pièce qui révéla Maria. Cette fois, elle devra jouer Helena, la femme laminée par sa maitresse Sigrid, qu’elle avait jouée il y a vingt ans, rôle repris par l’arriviste Jo-Ann Ellis (Chloe Grace Moretz).

Présenté en compétition au dernier festival de Cannes, Clouds of Sils Maria, du cinéaste français Olivier Assayas, est un jeu de miroirs sur l’art dramatique et un magnifique portrait de comédienne. La relation entre Maria, qu’on ne voit véritablement exercer son métier qu’au dernier plan du film, et son assistante reflète à tout moment celle des personnages de la pièce. Bourreau et victime à la fois sans s’en apercevoir, Maria accepte mal le temps qui passe et plus concrètement ici, la roue qui tourne. Elle compte sur la jeune Val, mais n’écoute rien de ses conseils qui, sous l’apparence de réflexions psychologiques bien légères, résonnent différemment en fonction du paysage...

Car Sils Maria, c’est d’abord cet endroit perdu, une étendue de lacs au milieu des sommets et qui parfois se retrouve terrain de jeu de nuages si bas qu’on croirait voir ce fameux serpent. Refuge de l’auteur, puis de son actrice à la recherche de l’inspiration, du souffle nouveau, Sils Maria est à la fois un exutoire physique (on y marche, on s’y baigne) mais aussi intellectuel et livre peu à peu les secrets de la dramaturgie de la pièce et du scénario. Olivier Assayas filme l’endroit avec une déférence parfois pompeuse, comme un cérémonial. Mais ces séquences arrivent toujours comme des respirations quand les scènes d’intérieurs se font trop oppressantes.

De la légèreté soudaine à la recherche de sa place, cette Maria-là est loin d’être aussi sereine que son homonyme. La caméra filme tout, de ses gestes d’énervement à ses prises de consciences. Assayas a le goût du fugace, de l’instant saccagé par une émotion trop forte, sans jamais tomber dans une analyse forcée ni dans le culte du fragment. Ici et maintenant, la réaction de Maria. Et il faut entendre le rire de Juliette Binoche, la résignation et l’interrogation sur son visage pour comprendre à quel point cette actrice représente les contradictions de ses consœurs à elle seule. Magnifiquement dirigée, comme l’ensemble du casting, elle est la raison d’être du film, probablement le meilleur d’Olivier Assayas à ce jour.

Marylène Andrin
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