Pourquoi et comment enseigner l’histoire luxembourgeoise ?

Au-delà de l’amour de la patrie

d'Lëtzebuerger Land vom 17.11.2017

En septembre 2017 la chaire d’histoire luxembourgeoise transnationale à l’Université du Luxembourg est devenue vacante. En attendant le recrutement d’un nouveau professeur, nous ne voulons et ne pouvons pas interrompre le cours d’histoire luxembourgeoise transnationale, offert en troisième année de Bachelor en Cultures européennes – section histoire, mais ouvert à tout auditeur libre. D’ailleurs, cet enseignement semble être une des raisons pour lesquelles les étudiants s’inscrivent à notre programme d’études. Sur quoi cette hypothèse se fonde-t-elle ? Sur une source qui doit bien évidemment être traitée avec prudence : les lettres de motivation. Depuis cette année académique, il ne suffit pas d’avoir un diplôme de fin d’études secondaires et de déclarer comprendre les trois langues d’usage pour être admis au Bachelor, il faut également soumettre une lettre de motivation. Environ deux tiers de ces lettres (environ 70 au total) mettent en avant un fort désir d’en apprendre davantage sur l’histoire du pays – désir parfois associé au regret de ne pas l’avoir fait au lycée. Cet intérêt est souvent exprimé par un adjectif possessif à la première personne du singulier (mon pays, mon histoire) ou du pluriel (notre pays, notre histoire). Et il met souvent en avant le mélange des cultures, la mixité caractéristique du Luxembourg.

Une critique en bonne et due forme des sources montrerait bien sûr qu’une lettre de motivation est le type même d’un document écrit pour plaire : il exprime moins un véritable engouement pour l’histoire luxembourgeoise que l’estimation – largement partagée par les candidats – que pour être admis au cursus d’histoire de l’Université du Luxembourg, il vaut mieux affirmer son intérêt pour l’histoire du pays. Ceci pourrait être lié au contexte de ces derniers mois, où la presse s’est faite l’écho de notre insistance sur le remplacement de la chaire en histoire transnationale. Cela ne doit pas exclure pour autant un enthousiasme sincère de la part de certains étudiants. Néanmoins, l’intérêt de la part des étudiants (présents et futurs) n’ayant pas été empiriquement prouvé, quelle est la légitimité de ce cours ? Pourquoi enseigner l’histoire luxembourgeoise ? Est-ce qu’elle revient à faire de l’histoire nationale, régionale ou territoriale ? Chacune de ces trois approches comporte ses risques, ses effets secondaires et ses contre-indications, comme nous le montrerons.

De nos jours l’histoire transnationale est perçue comme une sorte de rédemption ou de sortie de secours. Nous verrons ce que cette approche implique concrètement et en quoi elle est différente du concept d’« histoire métanationale », terme qui a été proposé par Michel Pauly. Ensuite, nous examinerons ce paradoxe qui consiste d’un côté à s’émanciper du cadre national et d’un autre côté à se focaliser sur l’histoire de l’espace dans lequel on vit. Le lien entre nous et nos ancêtres (ou les personnes ayant occupé ce même endroit il y a des siècles) doit être problématisé. Ce cours permet donc aussi une auto-réflexion sur la manière dont les historiens produisent le savoir, et notamment dont on aborde les sources dites primaires.

Au XIXe siècle, l’histoire comme discipline s’institutionalise, des académies se forment, des revues scientifiques sont créées. La discipline a l’ambition positiviste d’être une science, de tenter de reconstituer des événements du passé tels qu’ils se sont réellement produits – selon le dictum de Leopold von Ranke (wie es wirklich gewesen). Parallèlement à un engouement pour l’histoire universelle (Universal-geschichte ou Weltgeschichte), on voit émerger au XIXe siècle l’écriture de l’histoire nationale. La première est très eurocentrique et considère l’histoire européenne comme le plus bel achèvement de l’histoire des civilisations. L’histoire nationale devient de plus en plus patriotique vers la fin du XIXe siècle, avec les unifications italiennes et allemandes, et en France sous la IIIe République, où l’école joue un rôle important dans un processus que Eugen Weber a résumé sous la formule Peasants into Frenchmen (1976). Selon Weber, l’école – mais aussi le service militaire et l’intensification des échanges, qui découle de l’industrialisation, de l’urbanisation et de la percée du chemin de fer et des routes dans la « France profonde » – font que les gens ont de plus en plus conscience d’une appartenance nationale commune. Cette construction nationale s’accompagne de la création de sociétés savantes qui se dédient à la recherche d’un passé commun. Au Luxembourg, on assiste aussi à une institutionalisation de l’histoire à travers la création de la Société pour la recherche et la conservation des monuments historiques en 1845, qui devient en 1868 la Section historique de l’Institut grand-ducal.

Les époques qui intéressent ce club d’érudits sont surtout celles où reluit la gloire de cette « nationalité autonome » que le Grand-Duc Guillaume II aurait soi-disant sauvé du naufrage. Un des buts avoués de la Société est de créer un « lien de piété filiale » entre les Luxembourgeois et leurs ancêtres en dégageant des caractéristiques constantes qui leur seraient inhérentes : « Quand, après l’extinction de la lignée de nos princes et après une réunion éphémère à la Bourgogne, le duché de Luxembourg fut devenu l’apanage de la couronne d’Autriche, le culte de nos ancêtres, valeur et loyauté, s’est perpétué de génération en génération. Semblable au chêne séculaire de nos forêts, le caractère luxembourgeois est resté debout au milieu des orages, qui ont grondé sur le pays »1. C’est l’image d’un peuple stable, au caractère monolithique, soudé, qui résiste au temps et aux intempéries. L’homme ici n’évolue pas, ce sont les circonstances qui changent. Cette vision du monde et du temps appartient encore à ce que François Hartog a appelé l’ancien régime d’historicité. Il se distingue d’un régime d’historicité plus moderne qui se développe au XIXe siècle. Cette nouvelle vision de l’histoire n’est plus orientée vers le passé, mais vers le futur. C’est une vision plus pédagogique : il faut éduquer le citoyen ou le sujet monarchique et lui faire aimer son pays. Cet amour et cette identification passent cependant aussi par l’histoire. Jean Engling l’exprime de manière succincte : « Ohne Vaterlandsgeschichte keine Vaterlandsliebe »2.

Même à l’époque cette histoire nationale patriotique très fébrile ne se retrouve pas chez tous les historiens. Elle est de moins en moins présente dans les revues historiques comme Ons Hémecht (fondée en 1895) ou les publications de la Section historique, mais elle reste perceptible, notamment dans les manuels scolaires jusque dans les années 1970 et dans des ouvrages populaires jusqu’à aujourd’hui encore. Avant les années 1990, les critiques sont très rares. Mais elles existent. Après la Première Guerre mondiale, l’année même où est construite la Gëlle Fra, un enseignant du secondaire s’insurge contre l’histoire patriotique : « Les maîtres et manuels [de la vieille école] glorifient trop tout ce que la patrie a fait et dénigrent l’œuvre de l’étranger. Souvent l’histoire ne sert qu’à exalter le patriotisme, le sentiment national. Ouvrez les manuels de Welter introduits dans les classes inférieures de nos gymnases et vous constaterez que c’est une dépréciation systématique de tout ce qui est étranger, français surtout, un hymne à la gloire de l’Allemagne… Il est à craindre que [cela] ne contribue trop à exciter dans les cœurs le chauvinisme, à y entretenir l’injustice et la haine de l’étranger, germes de guerres futures »3. Il est intéressant de noter que l’Allemagne est ici conçue comme la patrie culturelle et que la Première Guerre mondiale ne constitue pas nécessairement une rupture, contrairement à ce que l’on pense habituellement.

En plus de comporter le danger de virer au nationalisme et à la xénophobie, on reproche – dans le contexte de la construction européenne – à l’histoire nationale de succomber à la téléologie et à ce vice scientifique appelé « nationalisme méthodologique ». De quoi s’agit-il ? La téléologie est une vision très linéaire de l’histoire où tout mène vers la situation telle qu’elle existe aujourd’hui. Telos en grec signifie la fin, le but, l’achèvement, le point culminant. La téléologie, c’est donc l’écriture du passé sous cette optique : elle doit expliquer le présent. L’histoire nationale est une téléologie positive : elle a comme point culminant la nation et, dans cette perspective, tous les chemins mènent vers la nation luxembourgeoise. Les impasses sont ainsi ignorées, même si à l’époque rien n’indiquait qu’elles fussent des impasses. Par exemple le Mouvement pro-belge dans les années 1830 aurait-il pu s’imposer si la capitale n’avait pas été contrôlée par une garnison prussienne, opposée à la Révolution belge ? Ce type de réflexion contrefactuelle (What if... ?) permet de repenser l’histoire : Que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu cette garnison ? Si, en 1815, le Luxembourg avait été traité comme une province belge, comme c’était le cas pendant des siècles ? On ne le sait pas, bien sûr, mais ce type de réflexion met en évidence la contingence propre au passé : il y avait différents futurs possibles et pas un seul bien tracé.

Et il n’est pas besoin de faire seulement de l’histoire politique pour risquer de tomber dans le « nationalisme méthodologique ». Même en étudiant par exemple les relations économiques ou l’histoire du sport ou de l’éducation, on a tendance à se limiter au cadre national, d’un côté parce que les données, les statistiques, les sources sont nationales (ceci vaut pour les périodes récentes) ou parce que les archives sont nationales et que les sources les plus facilement accessibles concernent le pays. Ou encore parce qu’on est habitué à penser dans un cadre national. Ce risque est peut-être moins grand au Luxembourg qu’en France ou en Angleterre, parce qu’on est plus habitué à recourir à la littérature spécialisée internationale et à adopter une approche comparative. Néanmoins, les travaux systématiquement comparatifs restent très rares. La plupart du temps la comparaison est asymétrique et réserve au Luxembourg la part du lion.

Pour contourner cet anachronisme qu’est le cadrage national, tout en continuant à faire l’histoire de l’espace dans lequel on vit, des terminologies alternatives ont été proposées, telles l’histoire régionale, en allemand Landesgeschichte. Or, elle peut être tout aussi patriotique et téléologique à une échelle spatiale plus réduite. Ainsi, le Comité d’Histoire Régionale de Lorraine, mis en place en janvier 2003, « a pour mission de renforcer l’identité lorraine, de permettre aux Lorrains de s’approprier leur histoire et leur patrimoine. Il participe aussi à la création d’un réseau d’acteurs, professionnels ou non, qui œuvrent dans les domaines de l’histoire et du patrimoine »4. Au Luxembourg, ce type d’histoire régionale n’existe pas, il y a de nombreuses associations d’histoire locale, souvent très actives et impliquées notamment dans la protection des monuments, et fières du patrimoine, mais l’écriture de l’histoire se limite souvent à un épisode ou une période (de gloire) particulière ou permet – à travers l’histoire généalogique – d’ajouter sa contribution à des questions plus larges et, de fait, transnationales.

Quant à l’Histoire territoriale, elle permet d’un côté une ouverture pour réfléchir à d’autres formes historiques d’organisation de l’espace, comme l’urbanisation au temps des Celtes ou au Moyen Âge par exemple. Mais la notion est trop centrée sur l’espace pour aborder tous les aspects de l’histoire économique, sociale et culturelle. L’histoire de la vie quotidienne (Alltagsgeschichte) racontée dans de nombreux musées locaux (comme par exemple le Musée Thillenvogtei à Rinschleiden ou le Musée du moulin à eau d’Asselborn) ne se résume pas à l’histoire territoriale, même si les moulins banaux jouaient un rôle important pour l’affirmation du pouvoir territorial d’un seigneur féodal, sans parler des avoueries (Vogteien). Or, pour l’histoire des flux et échanges, le cadre de l’histoire régionale ou territoriale peuvent apparaître assez rigides. L’histoire croisée ou entrelacée semble plus appropriée pour décrire certains phénomènes et a l’avantage de se défaire de toute référence, même linguistique, au terme de « national ». Mais comment cerner alors un phénomène précis comme les migrations et flux de marchandises dans un espace concret ?

En 2006, Michel Pauly montre, à partir de nombreux exemples paléoarchéologiques – notamment un collier de coquillages provenant de la côte atlantique ou méditerranéenne, mais trouvé à Waldbillig – qu’il y a eu des mouvements d’hommes depuis la préhistoire5. Comment qualifier ces études d’interaction, de circulation, de relations pour une époque où le concept de nation n’existait pas encore ? Certains historiens refusent d’utiliser la notion d’histoire transnationale avant que le concept de nation ne prenne son sens moderne, au XVIIIe et au XIXe siècle avec l’émergence des États-nations. Utiliser le mot « transnational » pour l’Antiquité ou le Moyen Âge serait un anachronisme. D’autres historiens – et parmi eux Michel Pauly – se prononcent au contraire pour l’emploi du terme, en insistant sur le fait que les migrations et échanges ne commencent pas avec l’industrialisation et ce qu’il appelle l’ethnogenèse luxembourgeoise (c’est-à-dire le processus de formation nationale) au XIXe siècle. Le mot transnational est problématique. Le préfixe Trans signifie littéralement : de l’autre côté, au-delà. Il a donc une signification purement spatiale, qui renvoie au fait de passer outre le cadre national. Or si ce cadre national n’existe pas encore, le terme est impropre. C’est pourquoi Pauly préfère utiliser cle terme de métanational, Méta ayant une acception non seulement spatiale mais aussi chronologique (avant, après) et exprimant le changement d’état, ainsi que – c’est important – la réflexion. En effet Méta est souvent utilisé dans le vocabulaire scientifique pour indiquer l’auto-référence (réflexion), ou pour désigner un niveau d’abstraction supérieur : métalangage (système ou langage permettant de décrire d’autres langages), métalivre (livre à propos d’un livre) et cetera. L’approche métanationale permettrait donc de faire l’histoire avant et après la nation, d’analyser l’évolution du concept de nation et de proposer une réflexion sur l’écriture nationale. La solution semble parfaite, non ?

On peut reprocher au terme que la référence au « national » n’a pas été évacuée et que tout le reste se définit par rapport à cela, mais justement ce renvoi provoque la réflexion. Pourquoi alors le concept de métanational n’est-il pas utilisé plus souvent ? Pourquoi l’histoire transnationale s’est-elle imposée ? Pas seulement pour l’intitulé de la chaire de Michel Pauly et pour l’intitulé de ce cours, mais aussi pour la revue d’histoire luxembourgeoise Hémecht. En 2011, lorsque Michel Pauly, Paul Dostert, Norbert Franz et moi-même avons repris le comité de rédaction, nous avons ajouté la devise « transnationale, locale, interdisciplinaire ». Par ailleurs, nous avons gardé le titre Hémecht dans son orthographe ancienne au lieu de Heemecht. Ceci pour éviter de l’actualiser dans le sens d’une écriture de l’histoire patri(e)-otique, sans gommer pour autant le contexte historique de la fondation de la revue Ons Hémecht par l’abbé Martin Blum en 1895. Cette décision est le produit d’une réflexion métahistorique. Alors, pourquoi avoir choisi la formule Trans au lieu de Méta ? Par souci de compréhension : le mot Trans est devenu à la mode. Les transgressions sont excitantes ; les personnes transgenres et transsexuelles une minorité à défendre ; les transports publics sont à promouvoir et les « transferable skills » la clef de voûte de l’éducation… Trans s’est imposé dans la langue de tous les jours, tandis que Méta reste un terme plus scientifique, assez indigeste, qui fait penser à la métaphysique et à une sorte de sublimination du national.

L’histoire transnationale met l’accent sur l’histoire croisée. Cette idée de fluidité, qui rythme si bien notre époque, qualifiée par Zygmunt Bauman de « liquid modernity », revient aussi dans le terme de transculturalité, qui est surtout utilisé dans les études littéraires. En fait, une discussion assez similaire a opposé les tenants du terme Interculturalité (notamment les germanistes à l’Université du Luxembourg, qui éditent la Zeitschrift für interkulturelle Germa-nistik) et les adeptes du terme de Transculturalité, notamment Wolfgang Welsch. Ce dernier met l’accent sur l’hybridisation qui aurait tendance à mélanger deux cultures au point d’en faire une troisième, et qui accuse les utilisateurs du terme d’interculturalité de garder toujours en tête cette idée de deux cultures bien définies qui interagissent sans pour autant changer. En effet, l’interculturalité met plutôt l’accent sur la diversité et la manière de gérer cette diversité, sans taire les tensions, anxiétés et hostilités que ce mélange culturel peut provoquer. Les deux termes sont en fait complémentaires6. Leur application aux champs historiques pourrait être intéressante.

Le sentiment d’étrangeté que l’on peut ressentir dans des interactions avec autrui, on peut aussi le transposer à la relation entre présent et passé. Ce que propose David Lowenthal dans son livre The Past is a Foreign Country, dans lequel il décrit le commerce voire l’industrie du patrimoine qui s’est développée depuis le XVIIIe siècle. Cette patrimonialisation se base parfois sur une « invention of tradition » : Au XIXe et au XXe siècles on a réactualisé des traditions tombées en désuétude et on en a inventé d’autres n’ayant jamais existé sous cette forme. Ainsi, le kilt écossais n’a jamais été porté par les Highlanders ; c’est une invention de la cour anglaise du XIXe siècle, abreuvée de romantisme. La procession dansante est passée sous le crible de Tom Becker en tant que lieu de mémoire transnational justement, à la construction duquel participent aussi les villages de Waxweiler et Prüm7. Récemment une controverse a éclaté sur le bienfondé d’abolir un jour de congé scolaire et l’importance de ce patrimoine inscrit depuis 2010 au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco. Cela est révélateur du sentiment identitaire qui est attaché à cette fête, moins national que local probablement, mais pas pour autant moins vif.

Lowenthal énumère ce sentiment identitaire parmi une liste de « past-related benefits : familiarity and recognition, reaffirmation and validation, individual and group identity, guidance, enrichment, and escape », et il ajoute « no sharp boundaries delimit these benefits : a sense of identity is also a mode of enrichment, familiarity provides guidance »8. Comment le passé peut-il servir de guide ? Cela varie : parfois c’est une boussole morale, parfois une valeur esthétique, parfois une leçon de patriotisme ou de stoïcisme, de relativisme. En fait cela dépend, pense Lowenthal, de ce dont nous avons besoin au présent. Car c’est nous qui, en racontant le passé, lui donnons un certain sens, une interprétation. Une narration est convaincante seulement si sa structure est bien construite, s’il y a un dénouement, une leçon à retenir ou, du moins, un sens qui en découle. Le mode narratif fait qu’on ne peut échapper en tant qu’historien à l’interprétation. D’autres historiens – même des théoriciens très radicaux comme Hayden White – ont avancé que cette dépendance de la narration renforce le poids qu’on doit accorder à une critique rigoureuse des sources. Le cours d’histoire transnationale luxembourgeoise propose donc – à travers une série de conférences d’experts reconnus et de jeunes chercheurs – de se pencher sur des sources concrètes (archéologiques, manuscrites, iconographiques et autres). D’un côté, ces sources montrent la mobilité humaine sur la très longue durée : Saviez-vous par exemple que le code génétique du squelette trouvé à Loschbourg a joué un rôle-clé dans l’identification de trois grands mouvements de population préhistoriques ? Ou que l’oppidum celtique du Titelberg n’était pas seulement la capitale des Trévires avant Trèves, mais abritait aussi un comptoir commercial romain ? D’un autre côté, les questions qu’on pose à ces sources ont changé à travers le temps, tout comme les techniques permettant de les interroger. La « transnationalité » est dans l’air du temps et aiguillonne certainement nos sensibilités et notre regard. Elle ne rend pas obsolète la question de la spécificité régionale, mais permet de mieux comprendre les relations interrégionales. Enfin, l’histoire luxembourgeoise transnationale permet de réfléchir sur nos propres motifs et narrations, tout en historicisant ceux des historiens du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, leur quête des origines et leur amour de la patrie.

Sonja Kmec est assistant-professeur en histoire et études culturelles à l‘Université du Luxembourg.

1 Antoine Namur et François-Xavier Würth-Paquet, « Appel », in : Publications de la Société pour la recherche et la conservation des monuments historiques dans le Grand-Duché de Luxembourg 1 (1846), p. 36-45, ici : p. 37

2 Jean Engling, La philosophie des monuments historiques. Discours prononcé à la séance publique de l’Institut le 19 novembre 1874. Luxembourg [1874], p. 10

3 Nicolas Neiers, « Autour de l’enseignement de l’histoire », in : Programm herausgegeben am Schlusse des Schuljahres. Athénée de Luxembourg (1922-23), p. 3-24, ici : p. 8-10

4 Comité d’histoire régionale, www.lorraine.eu/accueil/conseil-regional/dynamique-des-territoires/culture/le-comite-dhistoire-regionale.html [20.09.2017]

5 Michel Pauly, « Questions autour d’une parure en coquillages trouvée à Waldbillig. Plaidoyer pour une perspective trans- ou métanationale de l’histoire luxembourgeoise », in: Hémecht. Revue d’histoire luxembourgeoise 58/1 (2006), p. 9-33

6 Peter Kirsch Fritz, « L’Interculturalité – une notion périmée ? », in : Revue germanique internationale 19 (2014), p. 57-64

7 Tom Becker, « Springprozession », in : Sonja Kmec / Pit Péporté (éds.), Lieux de mémoire au Luxembourg, vol 2. Luxembourg : Saint-Paul, 2012, p. 235-240

8 David Lowenthal, The Past is a Foreign Country Revisited, Cambridge : CUP, 2015 (1ère éd. 1985), p. 38

Sonja Kmec
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