Entretien avec le réalisateur Donato Rotunno

Caméra militante

d'Lëtzebuerger Land du 19.04.2001

d'Lëtzebuerger Land : Ton documentaire André et les voix dissidentes, un portrait d'André Hoffmann, mais surtout aussi un questionnement de l'engagement politique des jeunes, a été présenté en juin dernier à Esch, puis il est sorti en cassette vidéo, a été programmé à des festivals et nous revient dans le cadre de la Semaine du documentaire luxembourgeois à l'Utopia. Est-ce que cette présence t'importe encore, ou est-ce que tu lâches les films une fois qu'ils sont terminés ? 

Donato Rotunno : Ah non, certainement pas, il est très important que le film existe, qu'il soit présent, que le public puisse le voir. Pour cela, je suis très content aussi que mon film précédent, Terra Mia, sera projeté demain soir à la télévision luxembourgeois, cela permet de toucher encore un nouveau public, c'est essentiel pour moi de pouvoir montrer mes oeuvres. D'ailleurs les deux films ont aussi été montrés en novembre au Festival d'Amiens, et j'ai eu beaucoup d'échos très positifs. Je crois que ce sont des films qui donnent à réfléchir, les questions qu'ils posent ne sont liés ni à un pays ni à une époque spécifiques.

 

Depuis que Tarantula, votre boîte de production existe, cela fait cinq ans, le Luxembourg a un deuxième producteur de films documentaires... Pourquoi choisissez-vous cette forme plutôt que la fiction par exemple ?

En fait, cette question comporte deux parties. La première concerne Tarantula, qui ne se borne pas forcément aux documentaires : nous avons produit le court-métrage de Dan Wiroth, Ere Melà Melà, et nous sommes en train de produire notre premier long-métrage de fiction, Une part du ciel de Bénédicte Lienard. C'est un film très fort, très engagé, qui parle de l'amitié entre deux femmes, l'une étant en prison, l'autre travaillant dans une usine ; il pose des questions essentielles, sur la liberté par exemple (sortie prévue : janvier 2002). Donc même en changeant de style, nous ne changeons pas nos convictions pour autant. Je trouve que c'est très enrichissant aussi de travailler avec d'autres réalisateurs.

La deuxième partie me concerne moi, personnellement, en tant que réalisateur. Et là, je dois dire que j'ai beaucoup de chance d'avoir cette structure, Tarantula, qui produit mes films. D'ailleurs le rôle du producteur, Eddy Géradon-Luyckx, qui est aussi mon ami, est au moins aussi important dans mes films que le mien ; il me soutient fortement.

Pourquoi avoir choisi le film documentaire pour m'exprimer ? C'est très personnel, je savais depuis toujours que je portais trois films en moi, qui concernent les questions que je me posais dans la vie. Le premier était Terra Mia, pour lequel je partais à la recherche de mes racines italiennes, de l'immigration au Luxembourg. Le deuxième concernait l'engagement politique, l'interrogation de ce que le militantisme peut encore aujourd'hui, ce qu'il vaut, c'est André et les voix dissidentes. 

Et le troisième est celui que je suis en train de réaliser en ce moment, La mesure du rectangle, un documentaire sur l'idéal du football comme jeu, et les perversions que ce jeu inoffensif subit actuellement parce qu'il est récupéré par l'argent et la politique. Pour illustrer cela, je prends l'exemple de la querelle qui oppose actuellement les clubs de football portugais au Luxembourg et la FLF. Soudain, ce jeu qui a fait ma jeunesse n'est plus inoffensif mais est détourné par tellement de pouvoirs. Ce film me permettra d'aborder plein de thèmes que je trouve très importants, comme l'intégration, comme la communauté portugaise au Luxembourg, le comportement de la politique face aux revendications, et ainsi de suite. 

Mais en ce moment, je n'ai pas de quatrième sujet de documentaire en gestation, je pense qu'après cela, je ferai un court-métrage, j'ai très envie de retravailler avec des acteurs. De toute façon, je fais aussi des commandes, de publicités, des reportages... 

 

Ce qui étonne quand même, c'est le nombre de documentaires qui vont sortir là, trois en même temps, plus ceux, récents, qui viennent étoffer la programmation au Limpertsberg... Est-ce qu'on peut interpréter cela comme une fascination des réalisateurs luxembourgeois pour le documentaire ou serait-ce s'avancer trop loin ? 

Je ne sais pas, c'est peut-être une question de générations. C'est une chance inouïe de pouvoir se poser des questions, de traiter de thèmes importants, et cela non seulement pour soi, mais de façon à ce que cela touche d'autres gens, que les spectateurs puissent s'identifier à ces questions. Prenez André et les voix dissidentes : ce film s'adresse à tous ceux qui se posent des questions sur ce que vaut l'engagement politique aujourd'hui, donc plein de gens s'y sont retrouvés, et non pas seulement ceux de la gauche. Ce n'est facile pour personne de trouver sa place dans une société en perte de repères. 

 

Ou La mesure du rectangle : il parlera des enjeux qui furent soudain liés au football, lorsqu'il ne s'agissait plus uniquement du jeu - économiques, politiques, voire même bientôt juridiques... Il faudra que je trouve une structure qui me permette de garder l'innocence du jeu, je veux garder la notion de l'enfance, et puis aussi une place pour m'exprimer moi. 

Tes films ont toujours une certaine mise en scène, une histoire, bien qu'il ne s'agisse pas de fiction. Comment définirais-tu ton style de documentaire ? 

Je fais une distinction très nette entre des « documentaires de création », à la Chris Marker par exemple, qui, par une vision très personnelle, s'inscrivent dans la vie, qui revendiquent une part de subjectivité, et le documentaire qui n'est que la prolongation du reportage journalistique, comme on en voit en permanence à la télévision, et qui revendique la vérité absolue. Personnellement, je m'inscrirais plutôt dans la première mouvance, je crois que c'est plus intelligent, même si cela prend plus de temps pour s'informer et pour rechercher. Pour mon projet actuel, par exemple cela fait neuf mois que je fais des repérages, il faut se faire accepter avec la caméra pour pouvoir par la suite tourner en toute confiance. 

 

Tes films sont toujours aussi très engagés, militant politiquement plutôt à gauche. Le film documentaire serait donc aussi un prolongement ou une forme de militantisme politique ? 

J'ai cherché longtemps une voie pour exprimer mes idéaux, militer au Clae, assister au Festival des migrations, devenir membre d'un parti ne m'auraient pas suffi. Cette dimension qui me manquait, oui, je la trouve sans aucun doute dans mes films.

 

 

josée hansen
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