Chronique Internet

YouTube, indécrottablement radicalisateur

d'Lëtzebuerger Land du 07.09.2018

Dans la discussion sur le rôle des grandes plateformes du Net dans la propagation de contenus clivants, le projecteur s’est surtout porté ces derniers temps sur Facebook, dont on a analysé en détail la propension à favoriser les infos bidon en les amplifiant dans les chambres de résonance où règne en maître l’effet de tunnel, et sur Twitter, dont les pilules de news servies notamment par des robots tendent à favoriser les discours de haine en tous genres.

Mais dans ce domaine, YouTube, de loin la plus grande plateforme de clips vidéo au monde, qui tend à remplacer la télévision comme source de nouvelles chez beaucoup de jeunes, n’est pas en reste, comme l’ont constaté ceux qui ont essayé de percer le fonctionnement de ses algorithmes de recommandation carburant à l’intelligence artificielle. C’est le cas notamment pour un grand nombre de clips qui accusent le mouvement pour les droits des LGBTQ, et même les féministes et le mouvement #metoo,de faire le lit de la pédophilie. Certains d’entre eux accumulent plusieurs centaines de milliers de vues et restent accessibles, alors que des clips défendant les droits des minorités sexuelles sont fréquemment censurés.

Lorsqu’il s’agit d’identifier des clips anti-LGBTQ qui font appel au repoussoir de la pédophilie, les exemples en manquent pas. The Paedophile Agenda, un clip d’une quinzaine de minutes, qui agite le spectre de la « confusion sexuelle », signe de décadence, comme favorisant la pédophilie, a accumulé près d’un demi-million de vues. Une vlogueuse opérant sous le titre « The White Rose » a obtenu 628 000 vues sur son clip The Left’s Push for Pedophile

Acceptance qui veut faire croire que la défense de l’égalité des droits et l’athéisme ont pour corollaire la revendication d’une légalisation des relations sexuelles entre adultes et enfants.

Malgré ses protestations de bonne foi quant à ses efforts de filtrage des contenus inacceptables, la filiale de Google reste laxiste dans ce domaine. Selon des journalistes qui se sont penchés sur ce phénomène, ce n’est pas la négligence qui est en cause, mais un calcul cynique : le trafic généré par ces pamphlets colportant la haine sous couvert de bien-pensance est trop tentant. Que l’algorithme d’une plateforme de clips tende à favoriser les contenus les plus extrêmes s’explique aisément : il s’agit de générer de l’empathie et de l’engagement pour déclencher des likes et des commentaires, et pour encourager les internautes à passer le plus de temps possible sur la plateforme. Comme l’a constaté une journaliste du New York Times, qui en 2016 cherchait à revoir sur YouTube des extraits de discours de Donald Trump pour des citations, la plateforme a bientôt commencé à lui proposer des brûlot suprémacistes ou négationnistes.

Pour en avoir le cœur net, elle a alors créé un autre compte et commencé à regarder des clips ayant trait à Hillary Clinton et Bernie Sanders. Peu après, YouTube lui proposait des clips conspirationnistes suggérant que le gouvernement américain était à l’origine des attaques du 11 septembre. « Comme dans le cas des clips sur Trump, YouTube recommandait des contenus qui étaient plus extrêmes que l’orientation politique mainstream avec laquelle j’avais commencé », écrit Zeynep Tufekci.

Hors politique, même phénomène : une recherche sur les régimes végétariens débouche sur des clips prônant une diète vegan, une autre sur la course à pied aboutit à des films montrant des marathons extrêmes. Tufekci mentionne une enquête menée par le Wall Street Journal avec l’aide de Guilaume Chaslot, un programmeur qui travaillait chez Google sur l’algorithme de recommandation et qui fut remercié en 2013 parce que, selon lui, il exigeait que l’entreprise modifie celui-ci. Là aussi l’enquête concluait au caractère radicalisant de la plateforme, citant comme exemple une recherche sur le vaccin contre la grippe qui vaut à l’internaute concerné de se voir proposer des clips conspirationnistes anti-vaccination. « Avec environ un milliard d’utilisateurs, YouTube pourrait être un des instruments les plus radicalisateurs du XXIe siècle », conclut Zeynep Tufekci.

Jean Lasar
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