Lycopa

Un nouveau type de lycée

d'Lëtzebuerger Land du 13.03.2003

Lycopa - un LYcée axé sur la COopération et la PArticipation. Tel est le nom d'un projet pour un nouveau type de lycée, qui aurait bien pu être réalisé au sein du lycée Aline Mayrisch. Cependant, le projet n'a pas abouti. Jeannot Medinger, fondateur de Lycopa et professeur de mathématiques, s'exprime sur son projet, les difficultés qu'il a rencontrées, et sur la situation actuelle de l'éducation nationale. 

 

Une situation déplorable

Jeannot Medinger, le fondateur du projet Lycopa, voit la situation actuelle de l'éducation au Luxembourg d'un oeil critique: «Les professeurs et les élèves sont habitués à travailler à la maison, seuls, de façon pénible à en entendre parler professeurs et élèves. On trouve cela déplorable. Comme si le temps passé à l'école servait surtout à récolter des données, à avoir des informations, mais sans pour autant participer d'aucune façon à l'école.» 

D'autre part, «les professeurs ce qu'ils entendent par une bonne classe c'est souvent une classe qui justement ne participe pas du tout, une classe qui ne parle pas, qui ne montre pas trop le doigt... Tout ceci n'est pas du tout centré sur les élèves et en fait les cours n'ont pas vraiment besoin d'élèves.»

D'autant plus qu'il y a «une très grande inégalité des chances bien évidemment. Pour l'instant, actuellement, ceux qui réussissent à l'école sont souvent ceux dont les parents ont aussi réussi à l'école. Et ce qui est demandé dans les devoirs c'est à nouveau surtout de la reproduction. C'est de l'apprentissage par coeur.» 

«Dans une telle constellation tout ce qui est interdisciplinarité n'a aucune place et les élèves se retrouvent avec une idée très disciplinaire de la réalité, très compartimée, ce qui d'une part ne les motive souvent pas et surtout ce qui n'arrive pas à répondre à la curiosité qu'ils ont, et dont ils font état ailleurs.» 

 

Le modèle Lycopa

Dans le lycée que proposent Jeannot Medinger et ses collègues, le travail se ferait à l'école. Ce serait une école à plein temps et il «n'y aurait plus que trois matières par journée, reparties autrement avec des espaces de temps pour leur préparation. Un élément essentiel en seraient des activités complémentaires qui, souvent, ne sont pas traitées à l'école et où même les professeurs ne sont pas experts. Donc dans le cadre de ces activités-là on amènerait les élèves aussi bien que les professeurs participant à leur travail de s'adresser à des experts se situant à l'extérieur de l'école.»

« Pour l'instant, l'école est vraiment close et totalement refermée sur elle-même. Et jeter des ponts vers l'extérieur, ça ne se fait pas en insérant simplement des éléments d'application dans les cours, mais cela se fait pratiquement, en s'adressant à des gens qui participent à une vie qui n'est pas l'école.» 

Dans l'état actuel des choses, l'école n'est pas un lieu égalitaire pour les différents acteurs impliqués dans l'éducation. «Pour l'instant, ce qui se décide à l'école ne dépend pas des élèves, ne dépend pas des professeurs, souvent ne dépend même pas de la direction. Donc en aucun cas on ne peut considérer l'école comme une microsociété. Les élèves et les professeurs se retrouvent là en train de fonctionner heure après heure, mais en fait, ils n'ont jamais le temps et l'occasion de nouer des contacts qu'on pourrait qualifier de sociaux... Quand la sonnerie retentit, au bout de trois minutes il n'y a plus personne dans l'école. C'est déplorable, car c'est justement à cet âge-là qu'il faudrait apprendre à connaître la diversité de toutes les personnes qui se retrouvent là, de tous les milieux, pour se forger quelques instruments de socialisation à utiliser plus tard dans la vie.»

D'autre part, Jeannot Medinger désapprouve également la situation concernant les enseignants. «Même ceux qui travaillent, ceux qui préparent tout à fait consciencieusement ce qu'ils vont faire en classe, le font de façon économiquement très inefficace. Parce qu'il y a des centaines de professeurs qui se retrouvent chaque soir dans leur bureau à faire exactement la même chose, à préparer la même matière, alors qu'un échange pourrait leur permettre non seulement de gagner du temps mais également de gagner en efficacité, de profiter des expériences des autres.» 

 

Des élèves plus actifs

Un modèle qui encourage la participation des élèves «est d'ailleurs la seule façon dont l'enseignant peut constater suite à ses explications ce qui a été reçu chez l'élève. Parce que les devoirs en classe très souvent ne le permettent pas. Les devoirs consistent à répéter ce qui est marqué sur le corrigé du professeur. Et c'est presque la seule façon de s'auto-évaluer, de se donner la chance de voir ce que savent fabriquer les élèves avec ce que leurs professeurs ont dit.» 

Les élèves, «quand on les fait travailler en classe, ils n'ont pas vraiment d'autre choix non plus, surtout par rapport à leurs collègues. Si, en plus, on a le regard du voisin, qui est dans la même situation que vous, je crois que c'est beaucoup plus motivant et beaucoup moins pénible à travailler. Donc créer une dynamique de travail en classe, c'est essentiel. Et d'ailleurs - une remarque qui revient souvent - les élèves qui sont confrontés à une telle manière de procéder ne voient pas le temps passer. Souvent ils sont étonnés que la fin des cours soit déjà là.»

 

Réactions et difficultés rencontrées

Selon Jeannot Medinger, le projet Lycopa «n'a pas abouti pour la simple raison que la ministre a changé et que la ministre actuelle n'est pas du tout intéressée au modèle qu'on a voulu appliquer.»

Les difficultés, les réactions qu'a rencontrées le projet, de la part des autres enseignants, de la part des syndicats (qui s'y opposent parce que, d'après eux, les enseignants doivent être interchangeables d'une école à l'autre), des politiques, des parents et des élèves ont été considérables et souvent inattendues : «Parce qu'effectivement on rencontre des réactions qu'on n'aurait pas imaginées, une grande adversité de la part des collègues, qui manifestement prennent pour acquis de ne pas se mettre en question, des choses qu'on ne peut pourtant pas considérer comme luxe… Dès qu'il y a une innovation, chacun se met en cause lui-même - ce qui est un bon réflexe en fait - il se sent attaqué dans sa pratique passée. Souvent, on entend : mais si c'est vrai ce que vous dites, alors ça signifie que tout ce que j'ai fait dans le passé est faux.» 

«On a au Luxembourg une idée d'uniformité du système scolaire qui est extrêmement ancrée dans les moeurs. Personne n'arrive à s'imaginer un système plus diversifié. Politiquement c'est l'autonomie scolaire qui est en jeu, l'autonomie des établissements. Et la plupart des professeurs de l'éducation luxembourgeoise n'arrivent pas à imaginer qu'une école puisse fonctionner de façon différente d'une autre. Cependant, il faudrait penser à des offres différentes, diversifiées, parce que tout le monde n'est pas pareil. Les élèves ont des passés très différents, ont des talents différents, et il est absurde de miser toujours sur ce dont était capable une minorité il y a quelques dizaines d'années… 

Même les politiques sentent bien qu'on ne peut pas continuer selon ce modèle, mais ils ne savent pas comment s'y prendre pour faire face à un système extrêmement rigide et ancré.»

 

Trouver un terrain favorable

La réalisation d'un modèle comme Lycopa «peut seulement se faire par des expériences pratiques, mais non pas par des expériences pratiques au sein d'un établissement. Fréquemment, avec les projets d'établissement ou les projets-pilotes, les enseignants impliqués sont très vite marginalisés. Et très vite, au lieu d'éveiller la curiosité de leurs collègues, ces enseignants passent pour des éléments un peu exotiques de la faune scolaire… On devrait à mon avis essayer des choses nouvelles dans un établissement à part, même si c'est un petit établissement de quelques centaines d'élèves seulement, mais surtout pas rattaché à un autre lycée, parce que d'avance cela ne laisse aucune chance aux idées de se développer. Donc il faudrait effectivement essayer de trouver un espace protégé avec des enseignants et des élèves qui auraient choisi ce modèle.» 

Jeannot Medinger regrette qu'il y ait «des tonnes d'expériences originales qui se font dans les différents établissements, mais qui malheureusement ont presque toujours la destinée de durer deux ou trois années et puis de disparaître - même pas dans les tiroirs, parce que souvent il n'y a même pas des traces qui restent.»

En ce qui concerne la recherche au Luxembourg, «une recherche pédagogique proprement dite n'existe pas. D'où l'idée de créer non seulement un lycée expérimental, mais de créer en même temps un département de recherche pédagogique qui pourrait d'ailleurs s'échanger avec d'autres départements, avec d'autres universités étrangères.» 

 

Vers une analyse de Lycopa

Jusqu'à présent, le projet Lycopa n'a donc pas encore aboutit. Et on peut se demander sous quelles conditions il pourrait être accompli dans un futur proche. Néanmoins, toutes ces réactions négatives ont aussi eu l'avantage d'avoir dévoilé le fonctionnement - souvent implicite - de l'Éducation nationale. C'est dans cette perspective que Jeannot Medinger considère l'éventualité d'analyser les expériences qu'il a faites au cours des dernières années sous forme d'une thèse de doctorat. Celle-ci pourrait, le cas échéant, être réalisée à l'Université Paris VII, sous la direction du professeur Baudouin Jurdant. «Maintenant j'ai effectivement un matériel très intéressant pour faire une thèse de sociologie. Intellectuellement ça peut être intéressant.»

 

L'auteur, étudiant en Sociological Studies à l'université de Sheffield, est actuellement en train de préparer une thèse de doctorat qui explore les dimensions socioculturelles et philosophiques des sciences à l'exemple de visiteurs des musées d'histoire naturelle.

 

Morgan Meyer
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