Luxemburg, USA

My Community My Heritage

d'Lëtzebuerger Land du 11.10.2007

«In fact, he could be my son ! » s’exclama lundi soir la très enthousiaste ambassadrice américaine au Luxem­bourg, Ann L. Wagner en parlant de son homonyme, le réalisateur Chris­tophe Wagner, qui, selon elle, a réalisé un « charming film » sur le Middle West, la région dont elle est originaire. Aucun lien de parenté pourtant entre eux, juste ce projet de film remontant à une idée du producteur belge Willy Perelsztejn, qui s’est découvert une passion pour les documentaires luxembourgeois au plus tard depuis Heim ins Reich de Claude Lahr, qu’il a coproduit en 2004. À tel point qu’il a même fon- dé une société de production ici, Nowhere Land Productions. L’avant-première du dernier film de Christophe Wagner (Doheem, Lignes de vie, Un combat…) lundi à l’Utopolis donc, avait un caractère très officiel, un arsenal impressionnant de policiers et autres personnel de sécurité, beaucoup d’Américains vivant au Luxembourg, quelques fonctionnaires culturels, journalistes et professionnels du cinéma locaux, un grand-duc, une secrétaire d’État à la Culture, quelques discours et des sucreries après la projection. Et pour cause : Luxemburg, USA est une commande officielle de la très officielle asbl Luxembourg et Grande-Région, Capi­tale européenne de la culture 2007, majoritairement financée par l’asbl et passée à côté de toutes les structures usuelles de financement du cinéma – ni le Filmfund et ses comités de lecture et technique ni son conseil d’administration n’ont été sollicités, ce qui a bien fait jaser dans le milieu. En tant que coproducteurs du film, on trouve le CNA et la société Telesparks (BCE/RTL Group). Lorsque de si grands moyens sont mis en œuvre, que tout ce qui entoure un projet culturel revêt un caractère si représentatif, il s’agit forcément d’un enjeu politique, d’une priorité d’État en quelque sorte. Le film s’inscrit en fait dans une série d’actions visant à promouvoir une mythologie selon laquelle il y aurait une diaspora d’émigrants luxembourgeois dans le monde, sur un axe qui irait – au moins – du MidWest américain à Sibiu en Roumanie. Au moins, car les livres et films de portraits sur les filles et fils du pays qui ont réussi un peu partout à l’étranger se multiplient dernièrement aussi. Certes, l’émigration luxembourgeoise du XIXe siècle vers les États-Unis, vers ce « promised land » qui devait permettre d’échapper à la pauvreté et à la famine dans leur patrie, mais où la vie s’avérait bien plus difficile que prévue, s’inscrit pleinement dans l’axe thématique de Luxembourg 2007, celle des migrations. Et depuis les reportages de télévision ronronnants de Jean Octave dans les années 1980 sur les Luxembourgeois de Rolling Stone sur RTL Hei Elei Kuck Elei, ce fait historique était connu et thématisé au Luxembourg. Mais pour cette année culturelle, les efforts pour la promotion de ce soi-disant héritage culturel des descendants d’émigrants luxembourgeois a pris des dimensions assez impressionnantes – participation de l’État luxembourgeois, à hauteur de 500 000 dollars, au Roots [&] Leaves Museum dans le Wisconsin ; exposition, cet été, à Ellis Island ; exposition, au Mudam, des photos florales d’Edward Steichen, le plus célèbre de ces « enfants perdus ». En comptant tous les descendants des Urhausen, Oberweis, Krier, Meyers, Ernster et autres Hastert au États-Unis, on aurait probablement allègrement dépassé la barre symbolique des 700 000 Luxembourgeois, chère à Jean-Claude Juncker. Conscient de ces prémisses et de cette surcharge symbolique, on ne pouvait assister qu’avec le plus grand scepticisme à l’avant-première du film : Attention, propagande ? Mais Christophe Wagner, dont on a pu admirer la sensibilité et le sens politique dans ses précédents documentaires, sur les exclus de la société ou sur les enfants placés dans des foyers, contourne ces pièges avec dextérité et intelligence. Il ne voulait pas faire de documentaire historicisant, basé uniquement sur des archives, mais un film vivant, raconte-t-il dans une interview. Luxemburg, USA est finalement un film hybride : Road movie, il retrace le périple de l’équipe de tournage (Carlo Thiel, directeur de la photographie et Carlo Thoss, ingénieur du son) dans cette Amérique profonde, qui frappe par sa nature paisible et ses villages provinciaux. Documen­taire, il retrace les histoires de quelques-uns de ces 70 000 émigrants – la ressemblance des photos de famille accrochées dans les arrière-salles avec les photos que gardent les familles luxembourgeoises est frappante – et s’intéresse à leur quotidien, mais aussi à leur idéologique, leurs opinions politiques, leurs pratiques commerciales (avec le très douteux projet immobilier de New Luxem­bourg). Portrait d’un grand pays un peu perdu, il regorge de moments délicieux type Strip-Tease, qui mettent à nu, avec beaucoup de tendresse, les caractéristiques et les paradoxes des Américains d’aujour­d’hui. Seul petit bémol : Christophe Wagner a voulu en faire trop et se perd parfois dans les histoires parallèles, comme celle de Kim, cette descendante luxem­bourgeoise venue mourir sur la terre de ses ancêtres, qui est surtout pathétique. L’image que nous transmet Luxem­burg, USA de ces communautés luxem­bourgeoises aux États-Unis – il y en a une trentaine – est celle de ce qu’était le grand-duché il n’y a pas si longtemps : processions avec la « Conso­latrix Afflictorum », une statue de la vierge Marie ressemblant fortement à celle de la cathédrale, Hämmelsmarsch pour l’ouverture d’une « Schober­fouer », dégustations de Träipen (boudin noir)... Ils ont même une sorte de « carnaval des cultures », qui fête la diversité et l’intégration des communautés étrangères. « L’image qu’ont les gens là-bas du Luxem­bourg est une image médiévale, estime Christophe Wagner, c’est celle transmise par leur grands-parents. » Le mot « heritage », avoir conscience de ses racines, revient pratiquement dans la bouche de chaque interlocuteur, comme quelque chose dont il faudrait être fier – et qui est forcément exotique en Amérique, beaucoup plus qu’une descendance irlandaise ou africaine. Au-delà des anecdotes souvent hilarantes – « déi hu ganz small cars » et « déi fuere wéi son of a bitch doiwwer » sont les deux choses qui ont le plus frappé Clarence, 91 ans, lors de sa visite en Europe –, le film est intéressant pour l’écho qu’il donne aux éternelles discussions sur l’immigration et l’intégration au Luxembourg. « In America, the melting pot works ! » s’exclame, comme avec un regret, le curé James Ernster. Car ces enfants et petits-enfants d’immigrés luxembourgeois que Christophe Wagner a rencontrés ne parlent déjà quasiment plus la langue. Ils sont devenus des citoyens américains modèles, qui, même s’ils ont peur pour leur fils en Irak et n’adhèrent pas forcément à la guerre, restent quand même loyaux envers la politique du gouvernement Bush – par patriotisme. Ces communautés luxembourgeoises historiques sont décrites comme claniques, très croyantes, patriarcales, avec des parents très durs, bosseurs, qui ne voulaient plus que leurs enfants parlent luxembourgeois, mais qu’ils s’intègrent dans cette société qu’ils ont choisie pour refaire leur vie. Et on se rend compte à quel point tout le discours autour de la valorisation de l’héritage n’est que folklore, qui a connu un certain renouveau dernièrement, aussi grâce à l’engagement du gouvernement luxembourgeois ces dernières années. Les promoteurs de New Luxembourg ne se cachent d’ailleurs qu’à peine de l’opportunisme qui les a conduits à ce projet immobilier, chiffré à quelque 60 millions de dollars – où chaque maison aura une « porte luxembourgeoise originale » et dont le style s’inspirera de l’architecture luxembourgeoise. En fait, le plus frappant est que les Luxembourgeois d’Europe aimeraient que les Luxembourgeois des États-Unis fassent exactement ce que la législation grand-ducale tend à interdire aux immigrés du Luxem­bourg : garder un lien fort avec le pays de leurs ancêtres, parler la langue, faire vivre les traditions et le folklore. Or, chaque pays, aussi le grand-duché, prône actuellement l’assimilation de tous les citoyens, en vue d’une parfaite intégration qui tend vers l’identité – et donc l’identique. Aux États-Unis, ça marche, au moins avec les communautés aussi dociles que les descendants luxembourgeois. Dans un certain sens, et très discrètement, Luxemburg, USA est donc aussi un regard critique sur le Luxembourg d’aujourd’hui.

Luxemburg, USA de Christophe Wagner sortira en salles le 26 octobre au Luxembourg (Utopolis) et le 31 à Bruxelles. Il est prévu qu’une version courte soit diffusée plus tard sur France 3, qui a coproduit le film. Tous les détails sur le site officiel : www.luxemburgusa.lu.

 

josée hansen
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