Neie Lycée

«Lycée expérimental»?

d'Lëtzebuerger Land vom 14.04.2005

Les professeurs de l'Apess (Association des professeurs de l'enseignement secondaire et supérieur) se sentent brusqués. D'abord, ils regrettent qu'on ne les ait pas consultés avant de lancer le lycée pilote – un signe pour eux que la ministre de l'Éducation nationale, Mady Delvaux, ne prend pas au sérieux ses propres engagements de dialoguer avec tous les acteurs de l'enseignement. Ensuite, ils critiquent l'indélicatesse de leur demander leur avis en pleine période de moisson, « où tous les professeurs sont accaparés par les corrections et les opérations de fin de trimestre ». De quoi sérieusement bouleverser leur rythme biologique. « L'Apess n'est pas seule à stigmatiser cette tendance aux marches forcées. » Car la ministre souhaite lancer le lycée à horaire continu dès la prochaine saison. Mais il reste le chemin législatif à faire, à attendre les avis des différentes Chambres professionnelles, du Conseil d'État et le rapport de la commission parlementaire. Un projet urgent qui devra franchir le cap du vote des députés avant l'été pour avoir force de loi et pour que les inscriptions des élèves potentiels soient valables, que les équipes d'enseignants puissent être formées définitivement. Sinon, il faudra attendre toute une année scolaire et les candidats d'aujourd'hui devront passer la main à leurs cadets. Car il semble que le quota de 160 élèves au premier tour soit pratiquement atteint. Même avant le lancement de la grande campagne de sensibilisation aujourd'hui. Selon le dirigeant du projet Jeannot Medinger, beaucoup plus de professeurs et d'éducateurs se seraient intéressés au projet qu'il n'y a de places disponibles. Qui sont donc prêts à renoncer au privilège de leurs collègues de ne passer que le temps des cours dans l'enceinte des bâtiments. Le Neie Lycée prévoit une présence obligatoire de trente heures par semaine. Le lycée fonctionne aussi pendant au moins vingt demi-journées pendant l'été, ce qui fait exiger de l'Apess que cette ouverture ne touche que les éducateurs et que de toute manière, « elle espère que la mise en place du nouveau lycée ne servira pas de prétexte à une remise en cause des acquis sociaux du personnel enseignant. » Pour le reste, l'association des professeurs n'a que des mots durs pour disqualifier le « lycée expérimental » : une ribambelle de prétendues innovations pédagogiques, flou artistique, laxisme, irresponsabilité, miroir aux alouettes, aléatoire, manque flagrant d'honnêteté et de modestie intellectuelles, angélisme pédagogique etc. Des attaques que Jeannot Medinger ne souhaite pas commenter, si ce n'est qu'il met en doute la représentativité de l'association. « Je suis d'accord avec l'Apess quand elle s'étonne qu'il y ait un directeur à la tête du lycée et non une équipe dirigeante collégiale. C'était notre idée au départ, mais nous l'avons laissé tomber par souci de visibilité envers l'extérieur. » Et d'autres critiques venant du camp des franc tireurs sur tout ce qui bouge, publiées sous forme de lettres à la rédaction ne semblent pas le déconcerter plus que ça non plus. Dans l'intervalle, la Chambre des fonctionnaires et employés publics – dont le président n'est autre que le directeur de l'Athénée Emile Haag – a exprimé son opposition au projet de loi dans son avis rendu en mars dernier. Pour Jeannot Medinger, les opposants au projet se focalisent sur plusieurs détails pour le bloquer complètement : « C'est particulièrement flagrant pour le fait qu'il n'y a plus de matière spécifique – sauf les langues et les mathématiques qui sont des instruments de base –, que l'équipe pédagogique se consacre exclusivement à l'encadrement de l'élève qui doit trouver lui-même la réponse à ses questions, la bonne règle à appliquer. Mais l'enseignement ‘traditionnel' demeure une option pour ceux qui ont besoin qu'on leur explique. » Comme les enseignants n'ont tous connu que la méthode ex-cathedra, ils devront se former – ou plutôt se dé-former. Perdre le réflexe de tout expliquer, de préparer les réponses aux questions soulevées par un sujet, de vouloir contrôler, évaluer, comparer. « Dans ce domaine, les méthodes des enseignants du primaire sont beaucoup plus évoluées que celles du secondaire, note Jeannot Medinger, nos équipes sont en plus encadrées par des spécialistes d'universités comme Paris VII ou de Strasbourg par exemple. Ils se forment aussi et surtout par l'échange et le perfectionnement. » L'équipe des enseignants et pédagogues devrait être formée dès le mois prochain et le but, c'est d'avoir un représentant de chaque discipline pour éviter qu'il y ait trop de professeurs de français par exemple. L'association des parents Fapel a accueilli le projet avec enthousiasme. Car le rôle des parents d'élèves et leur droit de regard sont pris en compte, notamment par leur possibilité de mettre en question l'orientation de leur enfant ou de récuser un jury. Un risque de dérive, selon l'Apess qui craint que, « déjà malmenée par le droit de codécision accordé aux parents en matière de promotion pendant le cycle d'orientation, l'autorité de l'école risque d'être définitivement sapée par la possibilité qu'ont les parents – et même l'équipe pédagogique – de ‘limoger' un jury qui aurait eu la hardiesse de prendre une décision d'orientation trop sévère ! » Pour Jeannot Medinger, cette attitude défensive et méfiante est caractéristique pour le corps enseignant : « On a tendance à se positionner uniquement envers les mauvais exemples, les parents qui ont été trop loin pour s'emmurer et garder une distance. Cet a priori négatif est néfaste pour le climat dans l'école, parce qu'il aboutit à une sorte de ‘self-fulfilling prophecy'. En réalité, les parents font souvent trop confiance à l'école. Si l'école réussit à y répondre de façon correcte, on peut s'attendre à une évolution favorable. » L'attitude envers la personnalité des élèves devrait aussi être différente. Faire part de son vécu devra faire partie intégrante des cours. « Au nom de l'égalité entre les élèves, l'école met tout ce qui ne la concerne pas directement entre parenthèses, explique Jeannot Medinger, mais on ne peut séparer ces différents aspects de la vie des jeunes. Cette attitude schizophrène est une des raisons pour lesquelles les élèves sont si peu motivés. Et c'est aussi un argument pour favoriser la complicité avec les parents. » Cette philosophie et le concept du Neie Lycée n'attirent-ils pas une clientèle difficile, des jeunes qui n'ont pas pu s'intégrer dans aucune communauté scolaire soit parce qu'ils ont été trop dorlotés par leurs parents, soit parce que ces derniers les ont négligés ? Les opposants à l'école à journées continues brandissent d'ailleurs toujours l'argument que les parents seront déresponsabilisés si l'école s'occupe trop intensément de leur progéniture, que c'est rendre la vie facile aux parents. « Au contraire, les parents qui s'intéressent au Neie Lycée sont très attentifs au développement de leurs enfants, précise Jeannot Medinger, ils se plaignent qu'ils sont freinés dans leur évolution par l'enseignement traditionnel ou qu'ils sont malheureux à l'école. Nous aurions préféré accueillir aussi des enfants à difficultés, avoir une mixité de caractères. » Le lycée risque donc de devenir une école élitaire dès le départ. Jeannot Medinger ajoute aussi que les problèmes abordés par les parents sont totalement différents de ceux invoqués par les opposants au projet. Ils s'intéressent surtout aux modalités pratiques, au système d'encadrement et de soutien, à la promotion artistique, aux moyens de transport. Par contre, savoir si le transfert au bout de quatre ans vers l'enseignement traditionnel va se faire sans accroc est secondaire et le fait que les cours traditionnels sont remplacés par des branches et des projets interdisciplinaires, ne semble pas inquiéter les candidats potentiels. Vendredi 8 avril, le gouvernement a adopté des amendements au projet de loi et au projet de règlement grand-ducal de fonctionnement. D'abord, les élèves apprendront l'anglais dès la première année du secondaire, ensuite, les ministres ont décidé de fixer les lignes directrices du cours d'éducation aux valeurs dans la loi et non dans le règlement. Car cette branche est présentée comme le fer de lance du lycée, l'abolition des deux cours – enseignement religieux et cours de morale – ne feront plus qu'un seul enseignement aux valeurs. En fait, les craintes autour de ce fameux cours ne se sont pas avérées. Les enseignants des deux camps craignaient pour leur profession, les défenseurs d'une école laïque voyaient la religion catholique entrer en trombe et les représentants de l'enseignement religieux craignaient que leurs principes ne soient dévoyés. S'y ajoutait le fait que le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) lui-même s'était approprié le dossier – c'est dire si l'enjeu était de taille. D'ailleurs, le DP estime pour sa part que cette école est imprégnée « d'une forte connotation idéologique » (Journal 02.03.05), en faisant quasiment référence à une secte publique. Au bout de quelques entrevues déjà, les représentants des religions et du monde laïque étaient apparemment tombés d'accord pour mettre sur pied une éducation aux valeurs au cours de laquelle l'élève devra apprendre à « faire usage d'un esprit ouvert et critique, comprendre l'autre et s'engager » dans la vie sociale. Tous les courants religieux, idéologiques et philosophiques seront intégrés dans cette branche, des experts et représentants seront invités pour éclaircir les positions. Les sujets des projets trimestriels y seront donc intégrés. « L'éducation aux valeurs fait partie intégrante du projet du nouveau lycée, précise Jeannot Medinger, c'est la raison pour laquelle ce concept ne peut être greffé tel quel sur d'autres types d'enseignement. » Or, la Chambre des fonctionnaires et employés publics n'a pas tort de poser la question de savoir si l'éducation aux valeurs ne devrait pas être la même pour tous les élèves de l'enseignement public, ou si les uns seront éduqués à des valeurs différentes que les autres.

anne heniqui
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