Les Luxembourgeois dans le Tour de France

Citius, altius, fortius

d'Lëtzebuerger Land vom 18.07.2002

Rien n'est plus comme avant. Il n'y a plus de héros, plus de grands sportifs ! La conclusion du documentaire de Paul Kieffer Les Luxembourgeois dans le Tour de France baigne dans une étrange nostalgie, parle de la « perte de la virginité » de la Grande Boucle avec les scandales de doping, dont la longue liste a commencé dans les années 1960. Cette nostalgie est d'autant plus étrange que 85 minutes plus tôt, le même Paul Kieffer nous avait expliqué que les premières courses, dès 1903, furent marquées par l'astuce des participants à tricher - en faisant le voyage en train par exemple - et à saboter les coureurs concurrents.

La même conclusion regrette aussi les bons vieux temps des héros nationaux, vainqueurs du Tour ou d'étapes, qui firent la gloire du Grand-Duché dans l'Hexagone et au-delà, alors que durant les quinze ans qui précédèrent la participation de Benoît Joachim dans l'équipe de Lance Armstrong en 2000 et cette année, aucun Roude Léiw n'y avait plus participé. Que François Faber, vainqueur de 1909, n'ait jamais mis un pied au Luxembourg et n'ait adopté la nationalité de son père que pour échapper au service militaire ne semble être qu'un détail, lorsqu'il s'agit de tricoter sa part de la mythologie nationale.

Lorsque le CNA - et donc l'État - décide de produire un documentaire sur la participation des Luxembourgeois oùquecesoit, on risque toujours de tomber dans le chauvinisme. Le départ du Tour de France était une de ces grandes manifestations qui font se braquer tous les médias internationaux sur le Luxembourg, il faut donc se montrer sous son meilleur jour, prouver que le Grand-Duché est « autre chose qu'une place financière ». Construire une étroite relation entre le Luxembourg et la course cycliste en énumérant le nombre de participants à passeport national en est une possibilité. 

Paul Kieffer, visiblement fan de cyclisme, est donc allé piocher dans les archives, aidé en cela par toute l'équipe du Centre national de l'audiovisuel pour la recherche d'images, avec les grands moyens financiers pour l'acquisition de droits auprès de l'INA, de Gaumont ou de Pathé, et par les spécialistes ès cyclisme à la Pilo Fonck ou Marcel Gilles pour l'histoire. Et nous raconte alors méticuleusement l'histoire de ces 53 Luxembourgeois ayant participé au Tour, en respectant scrupuleusement la chronologie et en valorisant chacun de ces coureurs, dont beaucoup sont retombés dans l'anonymat le plus complet. 

Si François Faber, Nicolas Frantz et Charly Gaul ont marqué l'histoire du Tour pour l'avoir gagné - Nicolas Frantz même deux fois - et sont devenus des mythes, 26 autres sont arrivés au moins une fois à Paris, les autres ayant abandonné en route. Paul Kieffer ne fait pas de différence, avec lui, tout le monde a gagné, tout le monde a droit à son superlatif qui valorise son exploit - même Henri Kellen, qui n'a couru qu'une étape et est mort dans des conditions mystérieuses en 1950 lors d'une autre course, peut-être qu'il fut même le premier mort de doping. Pédagogiquement et humainement, cette approche exhaustive est très bien, mais pour le cinéphile néophyte en cyclisme, c'est lassant à la longue.

On regrette de ne pas en apprendre plus sur la sociologie de ces coureurs : qui furent-ils ? des fils de riches ou d'ouvriers ? comment ont-ils atterri là ? Ceux qui ont acheté le DVD pourront alors jouer les psychologues enquêteurs et tenter de dresser un portrait de Charly Gaul avec les éléments contenus dans le court-métrage Äerzengel de Claude Waringo - un exercice de style de fin d'études datant de 1989 - et le reportage Monte Bodone de Guy Weber : on y apprendra notamment que Gaul était toujours seul, qu'il regrettait peut-être un peu d'être Luxembourgeois parce qu'il manquait de collègues, qu'il ne parlait guère et qu'il ne grimpait bien que par un temps de chien.

Restent les images, d'abord des photos, puis des extraits de reportages en noir et blanc, et dès le Tour de Charly Gaul, en 1958, l'arrivée de la couleur. Mais ce sont celles des cinquante premières années qui touchent le plus, par leur grain, leurs contrastes, leur patine - lorsqu'ils ont déniché un bel exploit, un beau sourire de gagnant, Paul Kieffer et son monteur Thierry Faber les mettent en valeur en jouant sur le ralenti ou la répétition. La musique de Jeannot Sanavia, extrêmement agaçante car trop synthétique, entre en collision avec les marches militaires et autres musiques triomphalistes qui furent montées dans les documents originaux utilisés dans le film. 

Paul Kieffer, dont les mises en scène au théâtre regorgent d'humour, d'originalité et de légèreté - comme récemment encore pour La nuit a cirque d'Olivier Py au Centaure - est ici extrêmement sérieux. Bien documenté, riche en informations, mais extrêmement sérieux. Comme si le sport, ce n'était pas un truc pour rire. Les femmes, elles, ne sont que « les représentants du sexe » comme les appelle un reporter dans un document original, elles remettent les bouquets de fleurs aux gagnants ou courent derrière le vélo d'une de leurs stars.

Mais le pire de ce premier DVD luxembourgeois, sur lequel le CNA a visiblement voulu fourguer tout ce que leur moteur de recherche a trouvé avec le terme « cyclisme » dans leurs archives, est cet indicible film de promotion du Luxembourg qu'Armand Strainchamps a fait sur un texte de l'agence de publicité Orbite, regorgeant de banalités, pour présenter le Grand-Duché à Paris lors de la conférence de presse officielle du Tour 2002. Normalement, quand on débourse de l'argent pour un DVD, c'est justement pour ne pas se farcir les inepties de la pub.

 

Paul Kieffer : Les Luxembourgeois dans le Tour de France, produit par le CNA, en association avec RTL et l'« Association des Organisateurs du Grand Départ du Tour de France 2002 à Luxembourg » ; montage : Thierry Faber, musique : Jeannot Sanavia ; son, bruitage et mixage : Waltzing-Parke Audio ; le film dure 90 minutes et coûte 15 euros sur cassette VHS ; le DVD en version française et luxembourgeoise, avec, en bonus, six courts-métrages, pubs et reportages, coûte 25 euros.

 

josée hansen
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