Internet à haut débit

Boost inattendu

d'Lëtzebuerger Land vom 26.08.2004

C’est symptomatique pour la politique de communication de l’entreprise des télécommunications numéro un au Luxembourg. Un beau matin, tout à fait par hasard l’auteur de ces lignes remarque que sa connexion Internet décolle. Quelques tests et de nombreux coups de téléphone plus tard l’hypothèse se confirme : l’Entreprise des postes et télécommunications (P[&]T) est en train d’accélérer son réseau DSL. Deux jours plus tard, la concurrence réagit : Cegecom annonce une mise à jour sur ses produits CATV (Internet par câble) et DSL. Les vitesses passeront donc pour tout le monde de 256, 512 ou 1024 kBit/s à un, deux respectivement trois MBit/s. L’offre s’entend en mode « best effort », c’est-à-dire que le maximum est fixé sans que le débit effectif ne soit garanti à tout moment. Du côté des P[&]T, le directeur responsable pour le secteur télécommunication, Marcel Heinen, se montre très prudent dans ses propos. Les mises à jours prendront sûrement encore jusqu’au 15 septembre. Côté prix, rien ne change, l’internaute semble donc gagnant. À condition qu’il ne perde pas de vue sa consommation, le client peut en effet se féliciter. Les vrais gagnants sont cependant les utilisateurs des « flat-fee » (abonnements sans limitation de volume) offertes par Visual Online, Luxembourg Online ou encore Alternet. Pour les autres, un calcul s’impose : si la vitesse de débit augmente et que le volume maximal à décharger reste le même, cela signifie surtout que la limite est atteinte plus vite. Pour Marcel Heinen cela n’est pas un facteur limitatif : « Quand nous avions un tarif flat, nous avons constaté que vingt pour cent de nos utilisateurs génèrent 80 pour cent du trafic. »   L’arrivée de la connexion à haut débit a certes connu des abus. Les adeptes des réseaux peer-to-peer, tels Emule ou Kazaa, téléchargent facilement plusieurs gygaoctets (GB) par journée, « bouchant » de sorte le backbone Internet des opérateurs. La réponse des P[&]T n’est cependant guère compréhensible. Au lieu d’appliquer une formule « d’utilisateur payeur », l’entreprise abandonnait son tarif flat pour un tarif lié au volume à des prix prohibitifs. Quoiqu’il faut saluer l’augmentation de la vitesse, il reste que les produits DSL des P[&]T sont toujours très loin d’avoir l’attractivité des offres dont profitent nos voisins. Face aux faits (voir tableau), il n’est point consolant que Marcel Heinen affirme que les P[&]T ne font actuellement pas de bénéfice sur le produit DSL ou encore qu’au court des quatre premiers mois de 2004, l’entreprise a dépensé davantage que pour tout 2003. Côté chiffres, plusieurs millions d’euros sont avancés. D’après le directeur des télécoms, il faudra cinq années à l’entreprise pour rentabiliser l’investissement. Cinq années qui verront sûrement l’arrivée de nouveaux contenus tel que le streaming de films. L’on ne veut pas nous révéler plus, sinon que les P[&]T ne se considèrent pas fournisseur de contenu. Marcel Heinen voit donc la mise à niveau du DSL dans la perspective de ces services au stade de gestation. Vu qu’un film en bonne qualité représente facilement 1 GB et en considérant les limites de volume actuels, l’utilisateur payera au tarif des P[&]T 47 euros pour voir cinq films au maximum et ce rien que pour la connexion Internet. Au même prix, il pourrait s’acheter au moins deux DVD des dernières sorties du box office. En France, l’offre de services supplémentaires semble bénéfique. À croire The Economist, l’opérateur alternatif Iliad aurait fait 34 millions d’euros de bénéfice pour l’année 2003. Iliad offre à travers sa filiale Internet Free un débit jusqu’à 6 Mbit/s pour seulement trente euros par mois. L’offre est limitée aux zones « dégroupées », c’est-à-dire les régions où Free a installé ses propres équipements. Deux éléments ont permi des offres aussi concurrentielles. D’une part, une autorité de régulation digne de ce nom et prête a prendre ses responsabilités au niveau de l’accès à la boucle local de l’ancien monopoliste ; d’autre part, un investissement substantiel par Iliad. Pas question de seulement squatter dans les server-room de France Télécom. Iliad opère son propre réseau en fibre à travers l’Hexagone et compte parmi les opérateurs les plus innovateurs en Europe. Son offre Internet Free intègre la télévision (et concurrence donc aussi le câble) avec un bouquet numérique de base gratuit et des options payantes. Le petit boîtier qui permet à l’internaute de regarder la télé par DSL est fourni par l’opérateur et – bonus non négligeable – permet de téléphoner de manière tout a fait classique. Gratuitement en France métropolitaine, à des tarifs avantageux vers tout autre raccordement téléphonique à travers le monde. En attendant, les pendules luxembourgeoises tournent un peu plus lentement : pour les P[&]T, il est important de souligner que chaque client qui en fera la demande sera raccordé au DSL, au même prix que tout le monde. Un pari dur à tenir, car il est connu que le DSL connaît ses limites au-delà d’un certain niveau de pénétration, d’une part, et au-delà de certaines distances, de l’autre. Evidemment, ces deux limites peuvent être repoussées, au prix d’un investissement substantiel de la part de l’opérateur. Il est néanmoins douteux que ce soit une bonne approche commerciale que de faire payer la masse pour une minorité qui à elle toute seule ne serait jamais rentable. La question se pose s’il ne vaudrait pas mieux recourrir à des technologies différentes afin de garantir ce service universel, qui, en fait, n’a pas encore été défini. Mais, face à l’absence d’opérateurs alternatifs musclés, les P[&]T peuvent se permettre cette approche très conservatrice. La montée en vitesse du DSL ne restera pas sans effet sur une autre technologie : l’UMTS, la fameuse troisième génération de la téléphonie mobile. Annoncée au Luxembourg comme substitut mobile au DSL, plus flexible et même plus rapide dans sa configuration de base, l’UMTS perd désormais cet avantage marketing. Le « 3G » plafonne à 384 kBit/s alors que le DSL débutera désormais à 1 MBit/s. Jean-Claude Bintz, le patron de Vox Mobile, reste néanmoins optimiste. Il préconise une conception plus globale. D’aucuns y entendent une avancée par l’opérateur mobile vers le réseau fixe. Bintz se tait sur le sujet. Il insiste plutôt sur le fait que le « 3G » n’est qu’a ses débuts et qu’il deviendra lui aussi plus rapide. Et pour l’utilisateur, l’éventuelle perte en vitesse sera refaite par le plus de la mobilité. En théorie, car l’UMTS attend toujours son démarrage. Pour Jean-Claude Bintz, la date d’octobre annoncée jadis par Vox Mobile est toujours bonne, quoique l’arrivée de nouveaux ministres dans le dossier contienne un nombre non négligeable d’inconnues. L’opérateur Tango a certes lancé le service, mais ce que nous avons pu tester ne peut guère être qualifié de « mobile ». Reste le câblo-opérateur Coditel. Il offre une vraie alternative au DSL via la télédistribution avec comme produit de base un débit de 512 kBit/s limité à un volume de 500 MB pour un tarif de 25 euros par mois. Or, on est en droit de s’interroger sur la qualité du service alors que la société vient de licencier la moitié de ses employés. Les derniers développements chez les P[&]T et chez Cegecom signifient que le Luxembourg se prépare enfin à entrer dans le monde des connexions haut débit. Outre mer, haut débit se définit depuis un bon moment au-delà du mégaoctet. Dans les statistiques de Bruxelles, on fixe le minimum à 156 kBit/s. Il y a  quelque mois, on regrettait encore aux P[&]T que l’on ne reprenne pas aussi l’ISDN avec ses 128 kBit/s. Ces frilosités semblent enfin dépassées... mais à quel prix. Côté communication, les P[&]T se sont entre-temps aussi réveillés. Les augmentations des vitesses des quelque 20 000 lignes DSL de l’entreprise sont désormais officielles. Rendez-vous le 15 septembre.

Pascal Tesch
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