Plagiats

Déjà vu

d'Lëtzebuerger Land du 31.01.2008

Est-ce qu’il y a des gens au Luxembourg qui plagient ou qui s’auto-plagient ? La réponse se trouve peut-être dans la nouvelle banque de données du nom de Deja vu1. De quoi s’agit-il ? Deja vu est une banque de données de publications dupliquées, qui sont identifiées à l’aide de différentes techniques, la principale étant la compa­raison de similitudes entre des textes. Le lecteur intéressé pourras’en rendre compte – certains copié-collé sont frappants. Deja vu connaît dernièrement un tel succès que son site Internet a du mal à suivre – « Due to High User Volume, the Database May Be Slow » pouvait-on lire récemment. Mounir Errami et Harold Garner (University of Texas), qui sont à la tête de Deja vu, ont publié certains de leurs résultats dans la revue Nature. Il y a, selon eux, trois péchés majeurs dans le monde de la publication : duplications, co-soumissions et plagiats. « In the scientific research community plagiarism and multiple publications of the same data are considered unacceptable practices and can result in tremendous misunderstanding and waste of time and energy », lit-on sur le site de Deja vu

Les problèmes sont multiples : une inflation artificielle de la liste de publication d’un auteur, une corvée superflue pour les éditeurs de journaux, d’autant plus que c’est expressément interdit par les droits de copyright des journaux scientifiques. Même l’auto-plagiat – le plagiat de soi-même – est une pratique interdite. Selon un sondage anonyme réalisé en 2002 avec plus de 3 000 chercheurs américains dans le domaine biomédical, 4,7 pour cent disent avoir publié au moins une fois le même résultat à plusieurs reprises et 1,4 pour cent ont avoué d’avoir déjà piqué chez leurs collègues. La question qui se pose donc est si – toutes proportions gardées – on a au sein des 600 chercheurs travaillant au Luxembourg environ huit personnes qui copient les travaux d’autrui et 28 personnes qui s’auto-plagient. Cette question s’impose, surtout parce que selon les auteurs de l’étude, des duplications scienti­fiques émanent de tous les pays et qu’il s’agit d’un phénomène global. Pour le Luxembourg, Deja vu répertorie en tout quatre articles qui sont mis en lien avec qua-tre autres articles2. Ces articles figurent encore dans la catégorie Unverified, une catégorie qui regroupe des duplications présumées avant toute vérification humaine. Des « validateurs » humains inspecteront les paires dupliquées et les classeront ensuite dans une autre catégorie (Duplicata, False, Errata, ...). Reste donc à savoir comment Deja Vu va catégoriser ultérieurement ces articles. 

Néanmoins Deja Vu n’est pas sans failles. Premièrement, Errami et Garner le soulignent, il est tout à fait raisonnable et légitime de publier un même résultat dans plusieurs revues, afin d’en assurer une plus grande diffusion. Cependant, dans ce cas, l’auteur qui désire publier une deuxième fois un même résultat doit d’abord disposer d’un accord préalable auprès des revues scientifiques concernées et il ou elle doit clairement notifier dans la deuxième publication que ces résultats ont déjà été publiés. Deuxièmement, la banque de données est principalement basée sur des articles en sciences médicales. Certaines sciences naturelles et les sciences sociales et humaines sont, pour le moment, encore à l’abri. Il faudra donc attendre encore un peu, pour avoir une meilleure idée de l’existence et/ou de l’étendue du « problème de dupli­cation » au sein de la communauté scientifique du Luxembourg. Dans leur article dans Nature, Errami et Garner déclarent aussi : « it is critical to withhold judgement of any candidate duplicates until evaluated by a suitable body such as an editorial board or a university ethics committee ».3

D’ores et déjà, on sait que, même au Luxembourg, le plagiat aura beaucoup moins de chance de passer désormais inaperçu. Et, il ne faut pas se leurrer, le Luxembourg n’est pas à l’abri de dérives en matière de recherche scientifique. Avec des budgets de recherche qui augmentent considérablement, avec un gouvernement qui mesure de plus en plus la qualité scientifique par les publications des chercheurs, certains sont peut-être tentés de booster leur CV par des pratiques malhonnêtes.4 Quant aux revues scientifiques, elles devront se doter de standards plus explicites afin d’éviter certains dérapages. Quoi qu’il en soit, Deja vu lance l’appel à tous ceux qui croient avoir détecté une duplication suspecte de la signaler. 

Morgan Meyer
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