Chronique Internet

Directive européenne sur le droit d’auteur : vers l’apaisement ?

d'Lëtzebuerger Land vom 14.09.2018

La réforme du droit d’auteur en cours au sein des instances européennes, qui se propose de l’adapter à l’ère numérique, a passé un cap important cette semaine avec l’adoption d’un projet de directive par le Parlement européen. Le texte, qui a fait l’objet de prises de position passionnées, notamment de la part d’ONG défendant les libertés dans l’univers numérique, et avait été recalé par les députés en juillet dernier, aborde des aspects très variés de la problématique et cherche de façon générale à garantir des sources de revenu aux producteurs de contenus face aux grandes plateformes technologiques. Pour autant, il n’introduit pas de mesures révolutionnaires, se contentant dans un certain nombre de dossiers à institutionnaliser des correctifs déjà en place, dans l’espoir qu’ils débouchent progressivement sur des accords plus favorables aux auteurs et créateurs.

Sur le point qui inquiétait le plus l’Electronic Frontier Foundation (EFF), l’emblématique organisation américaine de défense des libertés et de la protection des données personnelles sur le Net, et d’autres ONG, la plénière du Parlement européen n’a finalement pas approuvé l’introduction de filtres censés écarter d’emblée et automatiquement des différentes plateformes des contenus protégés, lui préférant une responsabilisation des plateformes décrite comme suit : « les fournisseurs de services de partage en ligne réalisent un acte de communication en direction du public, sont de ce fait responsables de leurs contenus et devraient pour cette raison conclure des accords de licence justes et appropriés avec les ayants-droits ». Le texte mise sur le dialogue pour définir les meilleures pratiques afin d’assurer le fonctionnement des accords de licence et la coopération entre plateformes et ayants-droits.

Pour l’EFF, les filtres envisagés dans la première mouture du texte risquaient d’asphyxier les libertés et la créativité sur Internet. L’organisation craignait surtout que le filtrage préalable ouvre la voie à une censure rampante, en rendant difficile ou impossible la parodie ou le remix par exemple. Le caractère potentiellement liberticide de cette mesure a eu pour effet de déchirer les groupes parlementaires au Parlement, faisant monter la pression et rendant très difficile tout pronostic sur le sort du texte. Le compromis trouvé cette semaine va sans doute calmer les esprits et ouvrir la voie à un dialogue plus serein avec la Commission et le Conseil, avant les transpositions en droit national qui risquent cependant d’être elles aussi autant de processus passablement polémiques.

L’EFF reste néanmoins déçue que les parlementaires européens aient adopté le principe d’une responsabilité accrue des plateformes, craignant une autocensure et l’utilisation de facto de filtres préalables utilisant l’intelligence artificielle pour écarter des contenus protégés ou potentiellement protégés pour se prémunir contre le risque de poursuites.

Sur un autre aspect du texte, les médias, et surtout les agences de presse, étaient en première ligne pour défendre le « droit voisin » introduit par l’article 11 de la directive. Il prévoit que les plateformes qui affichent des extraits d’articles ou d’autres contenus devront rémunérer les médias qui les ont produits. Le lien seul n’est pas considéré comme une exploitation des articles, même s’il est accompagné de « mots individuels », mais les snippets, extraits courts d’un article ou vignettes extraites de photos, sont concernés et devront donner lieu à une rémunération.

Le rapporteur de la directive, le deputé allemand du PE Axel Voss, a joué l’apaisement. « Je me félicite que malgré une campagne de lobbying très forte, menée par les géants d’Internet, le Parlement compte désormais une majorité pour soutenir ce besoin de protéger le principe d’une rémunération équitable pour les créateurs européens », a-t-il déclaré, assurant que le Parlement a « répondu aux préoccupations exprimées au sujet de l’innovation en excluant du champ d’application les petites et micro-plateformes ou agrégateurs » et concluant « qu’avec le recul, Internet sera aussi gratuit qu’aujourd’hui, que les créateurs et les journalistes gagneront une part plus équitable des revenus générés par leurs œuvres, et que nous nous demanderons pourquoi on en a fait tout un plat ».

Jean Lasar
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