Cinéma

Entre quatre yeux

d'Lëtzebuerger Land vom 15.07.2011

Elles viennent d’arriver dans un quartier où elles ne connaissent personne, comme d’habitude. Filles d’un papa peu présent (Mathieu Demy) et d’une maman (Sophie Cattani) qui s’apprête à le devenir pour la troisième fois, Laure (Zoé Héran), dix ans, et sa sœur Jeanne (Malonn Levanna), six ans « et demi », sont aussi proches qu’opposées. La cadette a les cheveux longs et bouclés, porte des tutus, des habits de princesse. Une vraie fille. À l’opposé de l’apparence de Laure que, par un regard et des mots d’adultes, on qualifierait d’androgyne. Mais à cet âge, on calcule moins l’ambiguïté et c’est par un quiproquo non provoqué que Laure va devenir Mickaël, parce que la petite voisine, Lisa (Jeanne Disson), lui a demandé s’ « il était nouveau ».

Intriguée, amusée, Laure ne la contredit pas et c’est donc sous cette nouvelle identité qu’elle est présentée au reste de la bande. Que des garçons. De petits mecs pas encore ados, qui crânent pas mal, torses nus, au terrain de basket ou en pleine forêt. Laure apprend ainsi les codes de la virilité, version petit macho : on crache, on parle fort et on ne laisse pas les filles jouer dans la même équipe.

Il y a quatre ans, Céline Sciamma bousculait déjà les conventions de l’adolescence au cinéma en filmant la Naissance des pieuvres, histoire d’un désir trouble d’une adolescente pour une autre, qui mettait en lumière le désordre que celui-ci provoquait. Déjà, elle s’immisçait avec sensibilité dans ce qui détermine les codes et la perception de l’identité. Pour Tomboy, son second long-métrage, la réponse est limpide, donnée dans cette méprise de Lisa : ce qui nous détermine, n’est-ce pas le regard de l’autre ? Laure n’a pas cherché à se travestir en Mickaël, elle ne cherche pas à être prise pour un garçon : elle s’habille naturellement en T-shirt, short et baskets et ses cheveux coupés courts semblent être un fait établi depuis bien longtemps, puisque sa famille ne s’en offusque pas.

Cette méprise est donc le point de départ du film, un non-évènement qui va guider les actions et les pensées de Laure, car il est aussi minime qu’irrémédiable. Habituée aux déménagements, la fillette comprend cette fois que ses parents souhaitent rester là. À elle donc de faire face à toutes les étapes, qui créent à chaque fois un mini-suspense : comment va-t-elle s’en sortir ? Faire pipi debout, aller se baigner au milieu des autres, accepter l’attirance, puis le baiser, de Lisa… Tout est question d’apparences, tout est contrôlable.

La cinéaste joue donc sur les deux univers du personnage : à la maison, Laure, entourée de sa famille, est encadrée par une mise en scène cloisonnée, avec une caméra qui filme au plus près, presque étouffante. Elle n’a rien a y cacher. Dehors, devenue Mickaël, elle évolue dans un cadre bien plus large, qui permet une identité plus floue. Les cadrages sont rigoureux, mais à hauteur des enfants, qui, dans de nombreux plans, jouent en pleine nature, pour renforcer l’absence d’artifices du jeune personnage. Dans les deux cas, Laure est ce que l’on veut qu’elle soit.

C’est lorsque l’état civil s’en mêle que la double identité devra prendre fin. Quand Lisa se demande pourquoi elle n’a pas vu son nom sur la liste de l’école, Mickaël peut encore faire diversion. Il peut encore prendre l’ascendant sur Laure quand la petite sœur découvre la supercherie, qu’elle sait prendre au sérieux.

Mais le spectateur, adulte, sait bien que tout va prendre fin. Au dénouement, peu de bavardages et de psychologie, Laure face à son mensonge l’intéresse moins. Ce qui intéressait la réalisatrice, c’était donc l’immédiateté de cette période de flottement, le jeu du personnage pour conserver ce masque. S’il ne propose rien de nouveau malgré une délicatesse dans sa manière d’envisager l’enfance et le regard, le film permet la découverte de la jeune actrice Zoé Héran, qui excelle dans la retenue nécessaire du personnage, tout en en exprimant les audaces et la solitude.

Marylène Andrin
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