Institut luxembourgeois de régulation

Les Cinq Chantiers de l'ILR

d'Lëtzebuerger Land vom 13.06.2002

Il aura fallu attendre cinq ans avant de pouvoir assister à la première conférence de presse organisée par l'organisme suprême de la régulation, l'ILR. Exception notable à cette existence discrète: le 27 juin 2001, à l'issue du conseil européens «télécoms» où, lors du briefing du ministre délégué aux communications François Biltgen, Odette Wagener avait pour une première fois admis publiquement que tout n'est pas bien dans le meilleur des mondes libéralisés: «La concurrence nous a réussi dans le mobile avec une pénétration inattendue du GSM, elle nous a réussi dans le fixe avec les tarifs internationaux. Mais vous avez raison de dire que la concurrence ne nous a pas encore réussi dans le fixe avec les communications nationales». 

Odette Wagener, directrice de l'ILR, a soutenu son désir de dialoguer avec la presse, mais dans des limites bien définies. Évidemment, l'ILR est juge dans les litiges éventuels et certains organes de presse ne s'intéressent qu'aux litiges, dans quel cas le juge ne pourrait donner des indications sur un procès en cours. Il est évident que cette approche de la directrice du Régulateur est tout à fait compréhensible. D'un autre côté, l'ILR devrait se questionner sur une approche plus ouverte. En effet le grand public ignore ce qui se passe vraiment derrière les murs du régulateur. 

Au-delà des informations pour professionnels (disponibles sur le site www.ilr.lu) il serait en effet important que le public soit informé de manière indépendante et objective de ce que signifie «libéralisation». 

Si le secteur des télécoms est évidemment le plus visible (nous verrons plus tard qu'à l'heure actuelle c'est le seul à toucher le client résidentiel), l'ILR s'occupe en plus de l'électricité, du gaz, du secteur postal ainsi que de la gestion des fréquences. Les 28 employés, dont la plupart  sont des fonctionnaires, ne manquent donc pas de travail. La directrice, secondée de deux directeurs adjoints, a du pain sur la planche. Avec une limite théorique du cadre de 45, l'ILR est loin d'avoir les rangs fermés. Madame Wagener regrette d'ailleurs qu'il est très difficile de recruter le personnel suivant les besoins du marché. En effet l'ILR a besoin d'ingénieurs hautement qualifiés, ce type de profile qui gagne souvent plus dans le secteur privé. D'un autre côté, l'ILR est financièrement autonome, les recettes provenant de licences renflouent largement les caisses de l'autorité régulatrice. De telle manière même que l'on pourrait effectivement se demander si cet argent ne pourrait servir à donner au moins un attrait financier au personnel hautement qualifié et compétent. 

Ces compétences, elles sont demandées sur le plan juridique, comptable et technique. Lors d'un recours en justice d'un opérateur contre un autre, il faudra en effet des experts indépendants. Il est évident que dans une telle affaire, de part et d'autre les arguments fortement techniques seront invoqués. Les exemples de plaidoiries récentes montrent à quel point la justice est dépassée par les nouvelles technologies. Dans ces affaires l'ILR pourrait jouer le rôle d'expert privilégié, car absolument indépendant et impartial.

François Biltgen, présent à la conférence de presse, souligne sa volonté d'appuyer l'ILR dans son rôle autonome: «Le Luxembourg manque de culture de la régulation, il est vrai que nous avons mis un certain temps pour donner tous les pouvoirs à l'ILR dont il a besoin pour bien remplir son rôle de gardien de la libéralisation». Le ministre délégué aux communications semble résolu en rajoutant: «Den ILR ass kee Pabeiertiger méi». François Biltgen reconnaît que dans le passé l'ILR était souvent à l'ombre de l'actualité, il souligne néanmoins qu'un énorme travail a été accompli derrière les coulisses et Odette Wagener d'y ajouter que l'ILR ne fait pas de politique mais qu'il met en musique la politique décidée par le gouvernement (et par Bruxelles).

 

Gestion de ressources naturelles rares

Afin de ne pas multiplier les instituts et régulateurs, il a été décidé de créer des synergies. Ainsi, différents services à l'intérieur de l'ILR peuvent être utilisés par tous les secteurs, parmi eux l'administration, le secrétariat, la comptabilité et le service juridique.

Le spectre des fréquences n'est pas infini, bien au contraire, c'est une ressource rare très sollicitée. Comme les ondes ne font pas halte à la frontière il est indispensable d'avoir une coordination internationale du spectre. L'ILR représente le Luxembourg dans ces discussions. Il est aussi intéressant de savoir que dans ces licences ne figurent pas seulement celles utilisées sur terre mais aussi celles exploitées par SES sur les satellites Astra. 

L'ILR veille donc à ce que les fréquences soient utilisées suivant les règles de l'art et seulement par ceux qui y ont droit. Ainsi les fréquences pour radios ne sont non seulement attribuées à l'exploitant de la radio mais aussi à un lieu de diffusion péniblement arrêté. En effet une fréquence peut, diffusée à une puissance donnée, être réutilisée à partir d'une certaine distance. À cette fin il est absolument indispensable de connaître les emplacements des antennes. 

Dans les attributions du service qui s'occupe des fréquences tombe aussi l'organisation des cours et examens pour radioamateurs.

 

L'énergie - Libéralisation pour les grands consommateurs

Moins spectaculaire se présente la régulation de l'énergie. En effet les règles de la libéralisation fixées par Bruxelles prévoient que cette libéralisation passe par étapes. À l'heure actuelle, seuls les grands consommateurs ont le droit de passer à côté du monopoliste pour leur approvisionnement en électricité ou en gaz. Depuis 2001 cela signifie pour l'électricité que les consommateurs de plus de  20GWh sont éligibles. D'après l'ILR, 28 clients remplissent ces conditions. Seulement neuf clients remplissent les conditions pour la fourniture du gaz, dans ce secteur une consommation annuelle de plus de 15 millions de m3 est requise pour bénéficier du libre choix. Face aux problèmes connus aux États unis après la libéralisation du secteur de l'énergie, cette approche prudente semble tout à fait justifiée.

 

Service postal et secret des lettres

Côté service postal l'ouverture du marché se poursuit également par étapes prédéfinies, aboutissant en 2009 dans une ouverture totale du marché. Suivant les désirs de Bruxelles chaque étape sera suivie d'une étude d'impact sur le plan social et le financement du service universel. 17 fournisseurs de service se sont installés actuellement à Luxembourg. La loi les oblige de déclarer leur existence à l'ILR. «Néanmoins pour certains, il aura fallu leur prouver que nous existons», souligne Odette Wagener, qui par la suite explique une mission très importante de l'Institut, à savoir la gestion du rebut. Chaque lettre qui ne peut être livrée à son destinataire nécessite un traitement spécial. «Il semble que l'on ne puisse forcer quelqu'un à mettre l'adresse de l'expéditeur sur l'enveloppe. Alors quand la lettre ne peut être livrée directement, nous devons rechercher des indices quant à l'expéditeur. Afin de rester en conformité avec le secret des lettres, seuls des fonctionnaires assermentés de la commission du rebut ont le droit d'ouvrir le cas échéant une lettre pour y rechercher des indices». Cette fonction est donc passée de l'Entreprise des Postes et télécommunications à l'Institut de régulation qui la gère pour tous les fournisseurs actifs sur le marché luxembourgeois. Le volume actuel de travail est de l'ordre de 6 000 lettres par an.

 

Télécoms, les étables d'Augias

Évidemment le secteur des télécommunications est celui où l'ILR a le plus de travail à réaliser. Récemment il incombait à l'Institut de conseiller le Ministre délégué aux communications pour l'attribution des licences UMTS. À côté de cela, le travail journalier, les petites et grandes plaintes, et les grands dossiers annuels tels la RIO et la RUO. La première fixe le coût de l'interconnexion, la seconde celui du dégroupage. Il est évident que ces deux catalogues jouent un rôle primordial dans les calculs des opérateurs et par conséquent dans le jeu de la concurrence.

D'autant plus étonnant que justement le service des télécommunications n'est doté que d'un seul fonctionnaire, un deuxième qui y travaillait a été muté au service de l'énergie. Par une nouvelle embauche, le cadre devrait néanmoins repasser à deux unités. À quel point les discussions sont difficiles et tenaces est illustré par le catalogue de l'Interconnexion (RIO). Chaque année les opérateurs dominants doivent introduire à l'ILR une proposition de tarifs basée sur leur coût de revient. En date du 20 décembre 2001, l'ILR a refusé la RIO introduite par l'EPT estimant que les pièces justificatives manquaient. L'ILR laisse trois mois à l'EPT pour rectifier le tir ou introduire de nouvelles pièces. Néanmoins l'ILR mettra deux mois supplémentaires avant de décider le 6 mai 2002 que les pièces fournies ne sont pas encore suffisantes. Le directeur adjoint Jacques Prost explique que la comptabilité analytique est nécessaire pour déterminer si un coût est réel et différent de celui nécessaire à gérer une entreprise. À avoir l'impression que les règles du jeu ont été expliqués en cours de match. 

En résumée nous avons à l'heure actuelle un catalogue RIO sur lequel plane un doute et un catalogue RUO qui sert à fixer les modalités pour un seul client. En effet, Cegecom est le premier et le seul à avoir entamé l'aventure du dégroupage. Ce dégroupage serait néanmoins d'après Odette Wagener, la base de la concurrence dans le fixe. À croire que depuis un an l'on bouge sur place.  

 

L'auteur est journaliste et responsable IT à la Radio socioculturelle 100,7.

 

 

Pascal Tesch
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