La tour d’eau conçue par Jim Clemes à la Cloche d’or est un véritable landmark

Chrysalide

d'Lëtzebuerger Land vom 24.11.2017

Depuis début novembre, lorsque l’échafaudage a été enlevé, on est à chaque fois époustouflé lorsque, en empruntant l’autoroute (A6), on passe devant la tour d’eau conçue par le bureau Jim Clemes pour le nouveau quartier de la Cloche d’or/Ban de Gasperich, tellement la construction étonne par sa beauté et son élégance. Le cylindre en béton armé de presque 70 mètres de hauteur (ce qui en fait la tour d’eau la plus haute du pays, dépassant désormais le détenteur du record que fut la tour de Leudelange), est habillé d’une peau métallique blanche, ajourée d’ouvertures irrégulières. Ceux qui prennent régulièrement cette autoroute avaient vu grandir le bâtiment depuis fin 2015, d’abord la structure en béton coulée sur place, comme on le fait en poterie, de bas en haut, puis les éléments du parement, préconstruits chez Préfalux, fixés sur une grille comme un Meccano géant.

« Je voulais que ce tissage soit presque comme une dentelle », explique l’architecte Jim Clemes, qui en souligne la délicatesse. À soixante ans, il vient de fêter 33 ans d’architecture et d’inaugurer un bâtiment provisoire rue de Luxembourg à Esch-sur-Alzette, en attendant que l’ancien bâtiment du bureau, à côté de la Kulturfabrik, dévasté par un feu accidentel, soit démoli et fasse place à une nouvelle construction. Le bureau d’architecture et de design de Jim Clemes est un des plus grands du pays, il compte désormais quelque 75 collaborateurs et on retrouve sa signature non seulement au Luxembourg, mais au-delà, en Europe et jusqu’en Afrique. S’il est connu pour ses écoles (Campus Mamer, lycée Bel-Val,...), ses structures pour services de santé (Chem Dudelange, Zithaklinik, CHL Maternité, Centre Baclesse...) ou ses infrastructures culturelles (Kinneksbond Mamer, Kulturfabrik...), Jim Clemes s’intéressee aussi, comme de plus en plus de ses confrères, aux infrastructures techniques, plus fonctionnelles et peut-être moins prestigieuses. Ainsi, il a travaillé sur une partie du tracé de la route du Nord, en collaboration avec l’artiste Nico Thurm, qui en a développé le concept des couleurs et des lumières, transformant de banals ponts des œuvres d’art. Ou la gare de Belval, une étonnante structure organique allongée et transparente à la bordure d’un tout nouveau quartier qui est basé sur une géométrie de l’angle droit, cassant.

« En règle générale, je trouve les formes souples plus agréables », dit Jim Clemes dans un sourire, « même si je suis conscient que pour certains projets, l’orthogonalité s’impose... ». Le château d’eau de la Cloche d’or a été commandité par la Ville de Luxembourg pour approvisionner les quartiers de Cessange et de Gasperich, jusqu’à Kockelscheuer, et surtout le nouveau quartier de la Cloche d’or et du Ban de Gasperich. Un concours restreint a été lancé en automne 2012, concours auquel 32 bureaux ont participé, cinq ont été sélectionnés pour la deuxième phase – à côté de Jim Clemes, ce furent Paul Bretz, Metaform (Shahram Agaajani), SteinmetzDeMeyer et François Valentiny –, dont tous les projets travaillaient la verticalité, parfois dans un geste presque martial, mais toujours géométrique, brut. La proposition retenue par le jury en février 2013 fut la plus douce, la plus discrète aussi, se fondant dans toutes les ambiances, disparaissant presque dans la brume et le brouillard (voire la neige, mais de cela, on n’a vu que des images de synthèse jusqu’à présent), s’illuminant en plus le soir par un système de LED qui seront installées sous la peau en métal (à partir de janvier), un éclairage progressif qui fait danser les vides et les pleins. La tour semblera habitée.

Le concept des lumières est de Licht Kunst Licht, une plaquette explicative publiée par la Ville de Luxembourg avec la Revue technique indique : « La mise en lumière met en scène le château d’eau, transformant l’angoisse ressentie à la vision d’une telle masse obscure et par là même dupliquant sa fonction ; ce n’est pas qu’un château d’eau, mais également un signal, un symbole visuel, le reflet de la technicité appliquée à une construction au service des habitants et visiteurs de Luxembourg ». La tour abritera jusqu’à mille mètres cubes d’eau provenant du Sebes.

Une des conditions énoncées par le maître de l’ouvrage, qui a investi 8,7 millions d’euros dans cette construction, fut qu’elle devrait aussi faire fonction de landmark, de point de repère dans le paysage – par exemple pour ceux qui ne font que traverser le pays. Depuis que Bernd et Hilla Becher ont photographié, à partir des années 1970, des milliers de châteaux d’eau en Allemagne et en France (et même au Luxembourg), avec toujours le même angle de prise de vue, ces bâtiments souvent mal aimés ont pris du galon. Depuis que la centrale de cogénération conçue par Paul Bretz au Kirchberg a reçu un Prix luxembourgeois d’architecture, en 2001, il est définitivement reconnu que les infrastructures techniques peuvent avoir des qualités esthétiques et valoriser un quartier ou une ville.

En voyant le tour d’eau de Jim Clemes et surtout sa peau métallique, on pense bien sûr à une chrysalide, mais aussi au stade de Herzog & De Meuron à Pékin, que le grand public appela vite « nid d’oiseau » pour sa forme organique et sa structure en acier rappelant justement un nid. Ou on pense au Louvre Abu Dhabi conçu par Jean Nouvel, et dont le toit troué, laissant filtrer la lumière par une foultitude d’ouvertures aux formes disparates, a été comparé à une carapace. Jim Clemes, lui, avance moins de références du monde animal pour inspiration de la peau métallique de la tour qu’une image directement en rapport avec l’eau : la forme de la structure est une citation des traînées que dessine l’eau en s’écoulant. C’est si simple et si poétique à la fois.

« Je me demande toujours à quel point un geste architectural peut être pertinent pour exprimer quelque chose. » Pour l’architecte, qui a aussi construit en Afrique où l’eau est tellement rare et si peu accessible, « les prochaines guerres seront des guerres pour l’eau ». Et si son château d’eau a l’air d’un véritable bijou, c’est pour signifier qu’il abrite un bien précieux, qu’il s’agit de protéger. « C’est aussi une question de respect pour l’environnement et de comment on le traite ».

Tout se passe comme s’il y avait une prise de conscience pour la beauté des châteaux d’eau ces dernières années, non seulement de la part des architectes, mais aussi et surtout de la part des maîtres d’ouvrages publics – et, au-delà du grand public. Si, selon le Luxemburger Wort, il y a quelque 600 tours, réservoirs et châteaux d’eau, dont plus de 560 en activité, on n’en trouve aucun sur la liste du patrimoine architectural du Service des sites et monuments nationaux, ni de l’inventaire supplémentaire. La plupart de ces constructions remontent au début du XXe siècle, comme celui de Dudelange-Schmelz (1928), qui a été restauré avec beaucoup de soin et à grands frais par Claudine Kaell et Jim Clemes et abrite désormais la collection The Family of man du CNA, conçue par Edward Steichen. À Hellange, la commune est en train de discuter de l’avenir de sa tour remontant à 1912, mais dont la restauration pourrait dépasser le budget du village. À Hivange, Georges Reuter a construit sur une montagne un dôme en aluminium anodisé dont le réservoir est époustouflant de beauté ; à Leudelange, Schemel & Wirtz ont opté pour une architecture géométrique qui, par son concept de lumière est également visible de loin. Paul Bretz est en train de construire une tour spectaculaire faite de trois parallélépipèdes décalés à Dippach et à Berdorf, l’Aquatower conçu par Romain Schmitz comprend même une salle abritant une exposition autour du thème de l’eau et une plateforme tout en haut, qui ouvre la vue sur le paysage alentour. « Par leur hauteur, les châteaux d’eau sont lisibles dans le paysage, conclut Jim Clemes. Peut-être qu’ils ont en cela repris la fonction des églises. »

josée hansen
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