Étudiants luxembourgeois en Europe

Pas si exotiques

d'Lëtzebuerger Land du 16.11.2000

Samedi 11 novembre, 11 heures 11 : Zurich célèbre la tradition alémanique de fêter le début du Carnaval en grande pompe avec le Guggenmarsch, fanfares déguisées jouant faux (Guggenmusik), et pluies de confettis dans les rues pavées de la vieille ville. Au-dessus de la ville, dans la somptueuse Semper-Aula de l'ETH (Eidgenössische Technische Hochschule) quelque 140 jeunes en costume sombre et cravate pour les hommes, tenue de ville chic pour les femmes, applaudissent avec enthousiasme : Erna Hennicot-Schoepges (PCS), ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (MCESR) vient de leur confirmer que le taux d'intérêt de leurs prêts étudiants n'augmentera pas et que deux jours plus tôt, le ministère avait enfin conclu la convention avec les banques luxembourgeoises. Ce qui permettrait une évacuation rapide des 2 300 demandes de prêts et de bourses envoyées au ministère depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 1er juillet dernier (voir d'Land n°17/00). 

Les étudiants sont soulagés, d'abord parce que certains ont vraiment besoin de l'aide financière de l'État pour payer leur loyer et autres frais et l'attendent depuis la rentrée. Soulagés aussi parce qu'à la rentrée, durant l'attente, les associations d'étudiants avaient perçu une rumeur selon laquelle le taux d'intérêt serait ajusté vers le haut à la demande des banques. Sept associations (Acel, Unel, Alep, Aneil, Aneld, Aluc, Alem) regroupées en Table ronde nationale créée ad hoc s'offusquaient dans une lettre ouverte à la ministre : « Nous nous opposons à l'idée que le taux d'intérêt à charge de l'étudiant subisse une hausse au-delà des deux pour cent. (...) Nous nous adressons aux responsables politiques de prendre en considération la position des étudiants, menacés d'un alourdissement de leur endettement. » Sur le mail-forum de l'Acel, le pauvre « musée Pei » dut encore faire les frais de l'énervement des étudiants, un protestataire anonyme reprochant au musée de coûter plus cher « qu'une jeunesse bien formée ». 

« Il n'a jamais été envisagé d'augmenter le taux d'intérêt débiteur à charge des étudiants, » affirme Dominique Faber, coordinatrice du Cedies (Centre de documentation et d'information sur l'enseignement supérieur), « cela aurait été absurde. » Car la loi du 22 juin 2000 concernant l'aide financière voulait effectivement lutter contre l'endettement des étudiants et encourager plus de jeunes bacheliers à poursuivre des études universitaires. Seulement voilà, lors de la renégociation de la convention entre l'État et les banques, suite à la nouvelle loi, les instituts financiers voulaient voir augmenter leur rémunération pour le traitement des dossier. Depuis la loi de 1992, les deux partenaires avaient fixé le taux d'intérêt au taux interbancaire Euribor, qui se situait au 7 novembre dernier à 5,16 pour cent, dont l'État prenait en charge 3,16 pour cent et l'étudiant les deux pour cent restants. Dans la nouvelle convention, l'État a concédé aux banques une augmentation d'un demi pour cent, c'est-à-dire le taux Euribor plus 0,5. Mais la part de l'étudiant reste inchangée.

« Nous, les étudiants, nous sommes une race exotique, nous ne représentons que 1,63 pour cent de la population, argumenta Lucien Kurtisi, le président de l'Acel (Association des cercles d'étudiants luxembourgeois, co-organisatrice de la Reel) avant de demander une hausse des primes et allocations des étudiants comme incitation à poursuivre des études. L'année dernière, les crédits alloués aux bourses s'élevaient à 173 millions de francs, ceux aux aides financières à 427 millions. Pour le budget 2001, suite à la nouvelle loi, ces sommes augmentent de 23, respectivement de 31 pour cent. 

Dans la salle, quelques étudiants plaident pour une individualisation des droits, au lieu de rester affiliés auprès des parents - avec le nouveau système, ils ne sont considérés individuellement qu'à partir du troisième cycle. « Pourquoi est-ce que le calcul de la proportion des parts bourse et prêt de l'aide financière est toujours dépendant du revenu des parents ? » veut savoir cet étudiant de l'IST. Petit cours de civisme de la part de la ministre, que l'État ne peut payer deux fois, une fois en privilégiant les parents d'étudiants côté impôts et en versant des allocations enfants, et une deuxième fois en payant l'étudiant lui-même. « Au Luxembourg, notre philosophie reste de privilégier la communauté plutôt que l'individu, » explique-t-elle, mais que peut-être un jour, cela changerait. 

Les délais de paiement des bourses et prêts cette année ? Ils sont dus à la mise en place du nouveau système, renégociation du partenariat avec les banques d'un côté, finalisation du système informatique Aide-Fi de l'autre. Élaboré par le Centre de recherche public Gabriel Lippmann, il ne va pas seulement permettre de calculer les parts prêt et bourse, mais aussi, et c'est une nouveauté, d'établir une base de données de tous les étudiants luxembourgeois, estimés à quelque 7 000 en tout. « Bien sûr, souligne Dominique Faber, ce système ne pourra jamais prendre en compte que les étudiants qui posent une demande de prêt, de bourse ou de prime d'encouragement. » 

À chaque fois qu'elle a l'occasion de parler devant des assemblées de jeunes universitaires ou de chercheurs (qui, eux, seraient 700 à travailler au Luxembourg), que ce soit la Reel ou le Forum pour la recherche (voir d'Land 42/00), Erna Hennicot leur demande de contacter le Cedies, afin que se tisse un véritable réseau de « matière grise » luxembourgeoise. Ces données sur les intellectuels autochtones, ce qu'ils étudient et où ils sont, servirait aussi en vue d'élargir progressivement l'offre d'enseignement post-secondaire au Luxembourg. Actuellement, revenir au Luxembourg équivaut encore à quitter la carrière académique. 

Pour son développement universitaire, le Luxembourg table sur la mobilité et la collaboration entre facultés, sachant que la politique européenne de l'éducation va elle aussi dans ce sens. Le Conseil européen Éducation / Jeunesse du 9 novembre a d'ailleurs trouvé un accord pour une Recommandation relative à la mobilité des étudiants, qui prévoit des mesures comme une levée des obstacles administratifs et juridiques, l'encouragement de l'apprentissage d'au moins deux langues communautaires ou encore le développement de dispositifs de soutien financier... Autant de  mesures que le Luxembourg remplit depuis longtemps, par la force des choses. Comme, entre autres, avec ces accords de double diplôme du Cunlux avec d'autres universités pour les deuxième ou troisième cycles (comme le DESS en contentieux communautaire, que le Centre universitaire organise en collaboration avec les universités de Nancy II et de Strasbourg). 

L'Acel entend collaborer avec le ministère afin de faire remonter l'information sur ce qui se passe aux universités étrangères - parmi les 140 délégués, 22 cercles, donc 22 villes, d'Allemagne, de Belgique, de France, d'Angleterre et d'Autriche étaient représentés. Dans chaque cercle, un « délégué ministériel » aura désormais cette charge de travail en réseau. Le lobbying et la collaboration avec les instances publiques semblent avoir remplacé la contestation et la confrontation politique ouverte du côté de l'Acel.

Deux choses impressionnaient à Zurich : d'un côté l'aspect officiel de la rencontre - tenue de ville obligatoire samedi, dîners dans des restaurants étoilés - et de l'autre l'idéologie néo-libérale proférée. Ainsi, pour le thème central de la rencontre « L'avenir : gain ou perte de la liberté individuelle ? », présenté vendredi après-midi, les orateurs invités furent en majorité des représentants de sociétés commerciales.  Dans son exposé sur la place financière, Georges Gudenburg de la Banque et Caisse d'Épargne de l'État (principal sponsor de l'Acel) put par exemple expliquer, sans qu'on le contredise, que la population luxembourgeoise est en train de vieillir sans cesse et que le système social s'écroulerait si les assurés n'allaient pas tous travailler plus longtemps et investir en fonds de pension.

Et Pascal Koster de Tango/Tele 2 de faire miroiter le si bel avenir avec les gadgets WAP ou, dans le futur, UMTS offerts par sa firme (alors qu'il était le seul à avoir des problèmes avec le branchement de son ordinateur portable lors de sa présentation). Dans cette ambiance du tout propagande, les réserves émises par Jean-Paul Hoffmann (SES Astra) quant à l'accès privilégié du Premier Monde à Internet firent du bien. La discussion critique devait avoir lieu samedi après-midi, lors d'une table ronde animée par Jean-Paul Harpes, de la commission étatique de l'éthique, mais le député vert européen Claude Turmes dut y endosser tout seul le rôle de contestataire de l'idéologie ambiante. Même en sachant que les 140 étudiants présents sont loin d'être représentatifs de la population estudiantine luxembourgeoise, cette vision unilatérale étonne néanmoins de la part de jeunes universitaires.

Il est vrai aussi que les étudiants organisés dans l'Acel professionnalisent leur travail de lobbying et leurs fonctions représentatives : toutes les présentations furent impeccables en Power Point, les dîners et réceptions organisés dans des cadres de tout premier ordre. Le comité d'organisation, autour de Christian Cortina, ingénieur mécanicien en herbe, et Thierry Hirtz, futur architecte, s'est effectivement démené pour trouver la somme d'1,75 million de francs qu'a coûté l'organisation de cette Reel (dont 700 000 francs proviennent du sponsoring). Un des buts de la rencontre est de tisser des liens, soit avec des représentants d'entreprises intéressantes, potentiels futurs employeurs, soit avec des collègues d'autres universités. Ainsi, lors de l'assemblée plénière de samedi, beaucoup d'entre eux avaient déjà une mine légèrement défaite et une voix abîmée par les longues soirées de fête. 

« Pour moi, c'est un grand honneur que la Reel ait lieu à Zurich, » affirme Jérôme Peeters, président de l'association locale d'étudiants luxembourgeois. Si seuls 60 d'entre eux y sont affiliés, il estime le nombre total à 90 - dans chaque ville, il y a aussi des étudiants qui ne veulent pas avoir affaire à leurs compatriotes mais s'intègrent entièrement dans les communautés qui les accueillent. La très grande majorité des étudiants luxembourgeois à Zurich sont inscrits à l'ETH, pour l'ingénierie et autres sciences techniques. Dans son allocution de bienvenue, Konrad Osterwalder, le directeur de l'ETH souligna d'ailleurs la longue tradition des étudiants luxembourgeois à sa faculté et les parallélismes qui lient les deux pays.

Retour au Luxembourg. Depuis qu'elle a repris la charge de Paul Wagner, le 1er juin dernier, Dominique Faber oeuvre à rendre le Cedies plus accueillant. « Nous sommes un service public, mais travaillons avec des jeunes, » constate-t-elle. Le bâtiment actuel, au 280 route de Longwy, n'est pas vraiment destiné à l'accueil public. Le service est à la recherche de nouveaux locaux, plus conviviaux et plus ouverts sur l'extérieur. Les brochures d'information sur la vie dans les différentes villes universitaires - la dernière à être sortie des presses est d'ailleurs dédiée aux études supérieures au Luxembourg - vont être repensées et éventuellement redessinées. Les informations sur les cursus offerts par les différentes universités européennes, les modalités d'inscription et les conditions de vie dans les villes en question vont être plus régulièrement actualisées. La Foire des études et des formations, organisée par le même Cedies, est d'ailleurs chaque année une première occasion de prise de contact avec les futurs étudiants. 

À propos convivialité : une des principales sources de revenu et une des activités majeures des Cercles d'étudiants sont les soirées de fin d'année, qui ont traditionnellement lieu durant les vacances scolaires de Noël au Luxembourg. Erna Hennicot-Schoepges confirma à Zurich que l'État est prêt à leur mettre à disposition, gratuitement, les Rotondes de Bonnevoie afin qu'ils y organisent leurs soirées. Une raison de plus pour les étudiants de l'applaudir avec enthousiasme.

 

Adresses et dates : Cedies (Centre de documentation et d'information sur l'enseignement supérieur), 280, route de Longwy, L-1940 Luxembourg ; téléphone : 45 64 64 1 ; Fax. : 45 45 44. / La semaine prochaine, jeudi 23 et vendredi 24 novembre, aura lieu la Foire des études et des formations organisée par le Cedies. / Site Web de l'Acel : www.acel.lu.

 

josée hansen
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