Back to basics

Repli

d'Lëtzebuerger Land vom 20.09.2001

Elle aime les mises en scène, Anne Brasseur. Ce jour-là, elle fut plus réussie, plus parlante qu'aucun metteur en scène ne pourrait jamais la rêver. Jeudi matin, 13 septembre, pour la grande conférence de presse de rentrée, la ministre est assise au milieu des hauts fonctionnaires de son ministère, sous une pancarte sur laquelle est inscrit le leitmotiv de cette rentrée 2001 : « pour une école du succès / la qualité est affaire de tous ». Avec l'énergie du désespoir, la ministre scande des slogans comme  « back to basics » et prône un retour aux valeurs d'antan : ponctualité, propreté, politesse, devoirs à domicile, emploi de la langue véhiculaire prescrite, respect de l'autorité, apprendre par coeur, acquisition du vocabulaire par traduction. . . 

La presse, mais aussi les représentants des syndicats d'enseignants, du collège des directeurs, des inspecteurs, tous ont été conviés pour une grande communion dans la nef centrale de la chapelle parfaitement restaurée du Lycée technique des arts et métiers. Dehors, la tempête gronde, il pleut averses, les arbres se plient sous le vent, il fait gris. La ministre rappelle les attentats du World Trade Center à New York deux jours plus tôt, demande à ce que la vie reprenne, mais que les enseignants parlent des événements avec leurs élèves. L'heure est à la morosité, les temps promettent d'être plus réactionnaires encore, donc forcément propices au passéisme et à une sombre quête identitaire.

Le ton donné à cette rentrée scolaire est en parfaite symbiose avec cette ambiance générale. Fini les expériences pilotes et les ouvertures pédagogiques. « J'ai la profonde conviction que durant les années 1980 et 1990, il a été trop expérimenté, dira la ministre mardi sur RTL Tele Lëtzebuerg, on en demandait trop à l'école, on faisait un peu comme du zapping. » 

 

« La pédagogie n'est pas un champ expérimental, » avait-elle assuré cinq jours plus tôt. Parce que l'école aurait un devoir de transmettre des valeurs fondamentales aux élèves, l'instruction religieuse sera revalorisée avec l'attribution d'un coefficient, qui reviendra alors aussi à l'instruction morale et sociale, laïque ; la « troisième possibilité » est abolie. 

Dans une lettre aux enseignants des lycées, datée 10 septembre, Anne Brasseur écrit : «L'école doit aussi contribuer à inciter les élèves à la ponctualité et à la politesse, les amener à respecter les objets et les matériels mis à leur disposition, les encourager à la présentation soignée aussi bien d'eux-mêmes que de leurs travaux, leur donner l'occasion d'éprouver la satisfaction d'un travail bien fait. » Lors de leur conférence de presse sur la rentrée scolaire, les Verts contre-attaquaient mardi : « 'Back to basics' nous semble être une de ces phrases passe-partout, dans ce cas précis, lorsqu'ils s'agit de trouver une solution simple (pour ne pas dire simpliste) aux problèmes complexes (pour ne pas dire de plus en plus complexes).» 

Alors que les pédagogues progressistes prônent des savoirs transversaux, l'acquisition d'outils pour s'approprier et comprendre les informations disponibles en grand nombre et l'éducation au travail autonome, le ministère demande désormais un recentrage sur les savoirs de base : calcul, lecture, écriture, etcetera. Pas d'instruction spécifique pour comprendre et utiliser les médias, abolition à terme des cours informatiques, pour que l'outil informatique soit introduit dans les autres cours, réduction des matières secondaires, comme l'instruction artistique, musicale, sportive, réduction du nombre d'heures consacrées aux langues ou à l'histoire en classes terminales et ainsi de suite. . . 

Anne Brasseur veut en arriver à réduire l'école au core business sous la tutelle d'un enseignant dont l'autorité serait à restaurer. Qui, lui, devrait être une sorte de Super-Dupont. Car avec un horaire réduit (abolition des cours le samedi), de plus en plus de responsabilités lui incomberaient : devant parler d'histoire et de médias en cours de français par exemple, tout en faisant apprendre des vocables par coeur et en soignant la présentation de cahiers. Or, le syndicat OGB-L-SEW regrette déjà aujourd'hui une dévalorisation flagrante de la profession d'instituteur, auquel reviennent de plus en plus de charges, qui ne seraient reconnues ni dans la rémunération ni dans la reconnaissance d'une certaine responsabilité dans la gestion des écoles.

 

Anne Brasseur a une obligation de résultat, cela ne fait aucun doute. Le parti libéral a gagné les élections en grande partie grâce à la grande Bildungsoffensive annoncée haut et fort durant la campagne électorale. Or, deux ans après avoir repris le ministère, la ministre doit encore constater : « j'ai honte d'être ministre de l'éducation alors qu'autant d'élèves des plus faibles se voient obligés de terminer leur scolarité à l'étranger. » Alors, elle veut associer - et responsabiliser - tous les acteurs, non seulement les élèves, mais aussi les enseignants et surtout les parents, afin qu'ils contribuent à l'effort de revalorisation de l'école. 

Or, si son discours trouvera certainement un écho très positif dans les milieux conservateurs, il ne constitue guère une réponse aux raisons des difficultés scolaires des enfants. Car l'école n'est pas un espace hermétique. Bien au contraire : elle doit se définir par rapport à un environnement économique, social et familial en profonde mutation. Si les parents d'un élève travaillent à plein temps, si l'enfant est élevé par un seul parent absent durant la journée, s'il se retrouve seul durant des heures et des journées avec la télévision pour seul baby-sitter, que fait l'école ? Comment peut-elle en faire abstraction ? L'école ne peut pas tout, rétorquerait la ministre. Le syndicat SEW demande à nouveau que les communes prennent en charge les activité péri- et parascolaires ; sur proposition des Verts, un débat sur les structures d'accueil aura lieu à la rentrée à la Chambre des députés. 

À l'école, les expériences pilotes sont désormais annulées, à quelques exceptions près : une dizaine de classes du degré inférieur du primaire participent aux tests des « cycles d'apprentissage » permettant d'effectuer le programme des deux premières années primaires à son propre rythme, en une, deux ou trois années. Deux classes étant prises en charge par trois enseignants, ce système doit permettre une différenciation didactique individuelle. Le  team-teaching en constitue la prochaine étape. Par contre, on ne parle plus guère de scolarisation en français ou de l'introduction du système en semestres plutôt qu'en trimestres. 

Seul le Lycée Aline Mayrisch profite encore de quelques expériences pilotes particulières, comme celle du cartable électronique : 800 ordinateurs portables ainsi qu'un câblage dans tout le bâtiment doivent garantir une utilisation optimale de l'outil informatique dans tous les cours. Oui, mais que diront les jeunes parqués dans les containers qui attendent parfois depuis des années le câblage de leurs quelques terminaux en salle informatique ? Une école du succès pour tous ?

La rentrée scolaire 2001/2002 a probablement été la plus médiatisée depuis longtemps : le ministère a nourri la presse de statistiques et de tableaux, reprenant les effectifs de chaque ordre d'enseignement aussi bien du côté des élèves (45 040 dans le préscolaire et le primaire, 31 776 dans le secondaire) que du côté des enseignants (où une pénurie alarmante en personnel breveté persiste), faisant le point sur l'état d'avancement des travaux de construction et d'agrandissement des lycées, notant la progression des budgets. Les chiffres sur les taux de réussite et le nombre d'années de retard des élèves à la sortie de terminale par contre sont désormais discrètement tus. 

 

 

 

 

 

 

josée hansen
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