Steiwer, Jacques: Angelika chez les Luxos

À la hussarde

d'Lëtzebuerger Land du 26.09.2014

Même si force est de constater, à la lecture d’Angelika chez les Luxos, que Moulinart, le personnage de fiction et protagoniste, gesticule moins, brasse moins de l’air, fait moins part de ses états d’âme et donc irrite moins que dans Du gâchis chez les Luxos, le premier tome de la série policière écrite par Jacques Steiwer, il lui manque encore beaucoup – une forte dose d’intelligence, de prestance ou d’humour par exemple – pour que le lecteur puisse le trouver attachant et donc attendre avec impatience la suite de ses « aventures ».

Lorsque nous avons quitté l’anti-héros Moulinart, il occupait le poste de commissaire de police au sein de la brigade criminelle. L’affaire à laquelle il avait alors été affecté l’avait amené à se faire irradier. Conséquence ou prise d’âge, il mène désormais une carrière plus tranquille et plus valorisante en tant que chef du protocole et de la sécurité personnelle du grand-duc.

Moulinart a pris du galon, mais pas son auteur. Jacques Steiwer, qui est a priori un admirateur sans borne de San-Antonio, ne parvient qu’à imiter très pâlement son idole. Le style se voudrait argotique. Mais, malgré la flopée de mots colorés tels « keuf », « chier », « cibiche », « tringler » ou « micheton », ça sonne forcé, pas authentique. Les personnages eux-mêmes en perdent leur latin et passent comme par enchantement d’un registre de langue à l’autre. Alors certes, comme chez Frédéric Dard, le rire est de la couleur de la nicotine, de la gnôle et des excréments, jaune, la misogynie fait rage et n’épargne même pas la grande-duchesse, de caractère excessivement jalouse et physiquement « boudinée », et les personnages sont atypiques, à commencer par Moulinart – le seul en qui les malfrats ont confiance, même si l’on se demande ce qui lui vaut cette situation d’exception –, son nouvel acolyte, Bingo, un teckel affublé non seulement d’un sacré instinct policier, d’intelligence, mais aussi de parole, et un curé charismatique-pentecôtiste, qui s’exprime en verlan et qui a dû un jour s’échapper d’un centre psychiatrique fermé.

Mais la comparaison s’arrête là. Des personnages san-antoniens auraient sans doute été moins digestes, mais plus cohérents. La morte ne se serait pas à tour de rôle appelée Angélique, Angelika et Evangelika, surnoms mis à part, sinon le total passerait à sept. L’indicateur providentiel n’aurait pas remué ciel et terre pour contacter la police avant de la fuir et la maudire sans raison apparente. Le suspect idéal n’aurait pas été « décidé à tout faire pour ne pas replonger […] dans l’enfer de la monotonie carcérale » pour prier par la suite la juge, en lieu et place d’une amende, de l’envoyer en prison pour la période hivernale, pour des raisons de confort.

Puis tout à coup, une étincelle, un snuff film, un film pornographique mettant en scène des tortures et des meurtres non fictionnels, soit le « jeu » dit préféré des nantis sadiques en mal de sensations et d’excitation. Le sujet est peu reluisant, mais quasi inexistant dans tout ce qui n’est pas sous-culture. Jacques Steiwer aurait pu, à l’instar de David Cronenberg dans Videodrome, développer la thématique, analyser le phénomène et ses cibles, questionner la responsabilité des médias, etc. Que nenni, hélas ! Faiblesses et manquements.

Jacques Steiwer : Angelika chez les Luxos ; Éditions Phi, Luxembourg, 2014, ISBN 978-99959-851-8-9.
Lore Bacon
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