Éducation physique et sportive

Parent pauvre

d'Lëtzebuerger Land vom 12.07.2001

Avec l'arrivée au pouvoir de la nouvelle coalition gouvernementale, le ministère des Sports avait fait son temps en tant que ministère à part entière et a intégré le ministère de l'Éducation nationale, de la Formation professionnelle et, donc, des Sports (MENFPS). La ministre Anne Brasseur (PDL) avait expliqué cette initiative par le fait que « les bases pour une activité sportive tout au long de la vie doivent être établies dès le jeune âge ». L'idée était de joindre utilement le sport et l'éducation, en d'autres termes revaloriser le sport à l'école (voir l'article « Vaste programme » dans d'Land n° 45/99).

La semaine dernière, l'association des professeurs d'éducation physique (Apep) est sorti de sa réserve et a vertement accusé Anne Brasseur de faire de l'éducation sportive le parent pauvre de l'enseignement. La réforme de la grille horaire du cycle supérieur de l'enseignement classique a, une fois de plus, servi de détonateur pour qu'un groupement d'enseignants s'oppose directement aux velléités de la ministre. Un signe que le malaise est profond et couve depuis longtemps dans l'éducation nationale. Car auparavant, ce sont les enseignants de français qui avaient débuté la fronde, suivis en cela par les professeurs d'enseignement artistique (voir « Voltaire vs Bill Gates » dans d'Land n° 25/01 et « Picsou l'in-culte » dans d'Land n° 25/01 ou sur www.land.lu / dossier Éducation).

Les reproches de l'Apep sont simples : la loi concernant le sport, datant de 1976, avait affirmé la volonté politique d'intégrer trois heures de sport hebdomadaires dans les grilles horaires de l'enseig-nement. Ce qui n'a, en ce qui con-cerne l'enseignement supérieur, ja-mais été réalisé. Actuellement, le projet de loi concernant le sport (une nouvelle loi devrait remplacer celle de 1976 en automne) élaboré par les services ministériels retient qu'« il est important que la place du sport à l'école ne soit pas réduite à la portion congrue, un risque que courent depuis toujours des disciplines taxées par d'aucuns de 'se-condaires', face non seulement à des disciplines traditionnelles qui revendiquent encore une prise en considération accrue, mais également à l'arrivée de nouvelles ma-tières dont l'apprentissage et la maîtrise occupent le centre de la vie quotidienne. Trois heures hebdomadaires à réserver au sport dans le cadre de l'horaire normal obliga-toire reste une revendication qui mérite d'être soutenue. » Une affirmation a priori gratuite, car uniquement une heure d'activité sportive hebdomadaire est prévue pour le cycle supérieur de l'enseignement classique selon la nouvelle grille horaire - et dans plusieurs établissements, la troisième heure d'éducation physique hebdomadaire prévue pour les classes de septième risque de faire les frais des projets pédagogiques. Les nouveaux horaires des lycées ont aussi enlevé une des deux après-midis jusque-là réservées aux activités périscolaires assurées par la Lasel. Étant donné que le projet de loi sur le sport et la réforme de la grille horaire ont été rédigés dans le même ministère, il faut se demander si la communication entre les différents départements de ce ministère existe et si la ministre réussit à garder une vue d'ensemble de ses attributions. De cohérence en tout cas, il n'y en a pas dans ce dossier.

Dans les autres pays européens, le sport est en règle général considéré comme une matière à part entière, avec des programmes très élaborés et structurés ainsi qu'une forte présence dans les grilles horaires. Le Luxembourg, au sein de l'Union européenne, compte une des scolarités post-primaires et secondaires les plus longues, mais la proportion du temps consacré au sport lors de ces treize ans est minimale.

L'éducation physique et sportive a une certaine tradition comme pa-rent pauvre de l'éducation natio-nale. Il existe un programme embryonnaire - non adapté aux be-soins du travail pédagogique selon l'Apep - qui devrait servir de guide aux enseignants, mais ce programme n'est pas toujours appliqué. Soit à cause de manques infrastructurels ou d'équipement dans les salles de sport, soit parce que l'éducation physique, considérée comme « en-seignement secondaire », ne connaît pas le même suivi que les autres matières. Les initiatives reposent ainsi sur les épaules des seuls enseignants. Au niveau du primaire, les cours d'éducation physique peuvent être assurés par un chargé de cours nommé par la commune qui n'a pas besoin d'une formation quelcon-que, du moment où ces cours ne sont pas dispensés par l'instituteur/trice qui ne sont, eux aussi, souvent pas formés pour donner ces leçons spécifiques. Dans son avis sur le projet de loi concernant le sport, le Comité olympique et sportif note ainsi que « vu l'importance du sport à l'école pour le développement des jeunes d'un côté et du sport de l'autre côté, il serait souhaitable que l'article 6 se distingue par davantage de précision et d'esprit réformateur. Ainsi le ministre ayant dans ses attributions l'éducation nationale, responsable de l'établissement du vo-lume et du contenu de l'enseignement de l'éducation sportive, devrait-il disposer, par le biais de la nouvelle loi concernant le sport, de paramètres légaux concrets pour pouvoir pleinement intégrer dans cette tâche la responsabilité d'une prise en compte adéquate des considérations d'ordre sportif. La loi se prêterait par ailleurs à des indications légales contraignantes portant sur la qualification du personnel appelé à dispenser l'éducation sportive et sur la création, au besoin, et le développement de sa carrière professionnelle. »

Alors que l'élaboration de la nouvelle loi sur le sport, l'intégration du sport dans un grand ministère de l'Éducation nationale et l'offensive annoncée par la ministre dans le domaine de l'éducation auraient dû permettre une reforme fondamentale de l'approche pédagogique du sport, il appert que le ministère ne réussit pas à définir un concept global en la matière. Si la politique fait la part belle, financièrement aussi, au sport de compétition en général et au sport d'élite en particulier, le sport-loisir et le sport à l'école sont à la traîne. Ce qui, selon l'Apep, est aussi à considérer comme une des conséquences du statut de l'éducation physique dans l'éducation na-tionale. Ne disposant ni des heu-res et moyens nécessaires pour assurer proprement leurs cours, les en-seignants regrettent qu'ils n'arrivent plus à inciter leurs élèves à pratiquer une activité sportive au-delà des quelques heures obligatoires à l'école. Et le message que de toute façon, l'activité sportive n'est, en fin de compte, que secondaire, véhiculé implicitement par la politique du MENFPS, n'aide en rien à ce que les jeunes s'y intéressent davantage, conclut l'Apep. Ce qui, à terme, posera un problème de société. Les nouvelles « maladies de société » que sont l'obésité, les maux de dos et autres conséquences d'un manque de mouvement (et de malnutrition), sont détectés chez des individus de plus en plus jeunes. Jamais, le taux d'obèses n'a été aussi élevé parmi les enfants et adolescents - une croissance qui est fulgurante selon les pédiatres et les fabricants de vêtements pour enfants. En même pas deux décennies, les adolescents ont perdu plus de dix pour cent de leur force physique, a révélé une récente étude réalisée par l'Université de Mayence. En France par exemple, cet état des choses a été pris au sérieux, et les programmes sportifs élaborés pour l'Éducation nationale sont un des moyens choisis pour contrer ce phénomène. Au Luxembourg, l'éducation physique semble condamnée à continuer son existence de laissée pour compte de troisième rang.

 

marc gerges
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