Danse contemporaine

Néo-rétro

d'Lëtzebuerger Land du 28.06.2019

Difficile de tacler les monstres sacrés d’un domaine… Rares sont ceux qui admettent les performances désastreuses de Lauryn Hill en live, assument la supercherie Benjamin (Ben) Vautier, revoient le « Razzié » Showgirls de Verhoeven ou même se souviennent du scandale des colonnes de Buren, maintenant « embourgeoisées »… Bref, les exemples sont nombreux et coriaces. Mais n’exagérons rien, ce Forsythe n’est pas du même acabit, pourtant il nous interroge clairement sur la dimension de ceux qu’on dresse en génie de disciplines qui changent avec le temps, la société. Ainsi, l’audace d’une époque devient le « déjà vu » d’une autre et – même si la pièce brille de technicité – c’est le regrettable de A Quiet Evening of Dance.

William Forsythe, sur ses cinquante ans de carrière, a connu plusieurs vies. De la direction du Ballet de Francfort pendant vingt ans (entre 1984 et 2004), à son travail autour de son « laboratoire » The Forsythe Company (dissout en 2015), en parallèle, il occupe les salles d’exposition des musées avec ses « objets chorégraphiques ». Artiste pluridisciplinaire donc, par la scène, l’installation, la vidéo, l’architecture ou la performance, l’Américain développe depuis le début des années 1990 une écriture du mouvement qui s’adapte au cadre du spectacle vivant autant qu’au muséal. Plasticien et chorégraphe adoubé, Forsythe cumule les champs d’application tout en restant fidèle à une base théorique qu’il a formulé dès Artifact (1984), sa première pièce pour le Ballet de Francfort.

De par un langage gestuel singulier et une forte théâtralité, le chorégraphe déconstruit le ballet classique. En gardant une première approche néoclassique, Forsythe travaille à repenser la danse telle qu’elle a été codifiée et institutionnalisée. Ses interprètes poussés à intervenir au maximum et à tous les niveaux, donnent à voir des compositions puissantes dans lesquelles ils sont au centre, magnifiés par la déconstruction d’un genre. Le chorégraphe offre ainsi des spectacles fait de cette symbiose de création entre chorégraphe et danseurs. Et surtout, il pousse à l’expérimentation. Un facteur d’innovation qui, certes, offre un caractère unique à son travail mais qui, malgré tout, peine à se renouveler, en tout cas au vu de A Quiet Evening of Dance.

Les puristes nous lyncheront mais tant pis, on a la peau dure : A Quiet Evening of Dance est en effet une soirée bien trop tranquille. C’est en fait, une belle rétrospective du travail du chorégraphe, néanmoins en reste de nouveauté. C’est peut-être que le tour du propriétaire a été fait. À l’image de Duo créé en 1996 et remasterisé ici en Dialogue (Duo, 2015), ou Catalogue (Second Edition), Forsythe réinvente son propre travail et on redécouvre deux morceaux majeurs de la quête du chorégraphe. Mais alors, « refaire », est-ce « faire » ? Impossible de répondre à cela, tant tout à déjà été fait…

Epilogue et Seventeen/Twenty One sont les deux nouvelles pièces au programme, entrant dans le répertoire de Forsythe. Pourtant difficile, sans être érudit, d’y trouver du neuf face aux nombreux chorégraphes du contemporain. Et puis mettre en confrontation hip-hop et ballet, même face à une telle maîtrise, n’a rien de moderne ou d’innovant. D’ailleurs, la pièce se joue sans décors, quasi sans costumes, simplement des gants et sneakers de couleurs différentes – sans qu’on y trouve de signification –, agencée sur une musique très sobre, quelques notes de-ci de-là, les sons des corps et souffles des danseurs… Du vide pour laisser la place à la danse, oui, mais du vide quand même. Il nous manque beaucoup de clés de lecture pour nous plonger là-dedans. Alors à qui s’adresse-t-on ? Un public qui aurait connu les trente dernières années de création du chorégraphe ? À observer les nombreux absents de la seconde partie du spectacle, pas sûr que tout le monde ait bossé ses gammes.

Ce qui est certain c’est que les sept interprètes, fidèles de Forsythe, livrent à merveille l’essence même de sa recherche artistique. On y comprend le fonctionnement même de son laboratoire d’antan, on y voit les lignes de conduites qu’il a tissées pendant des décennies, on entre dans l’esprit d’un artiste qui a voué sa vie au mouvement. Finalement, c’est l’âme d’un chorégraphe qui se dessine aujourd’hui dans les pièces de William Forsythe, pas besoin de chercher plus loin.

Quoi qu’il en soit, comme toujours, Forsythe signe son spectacle par la perfection et l’inhabituel, ce même châssis qu’il a conçu il y a bien longtemps et qui souffre maintenant de désuétude. Aussi, même si les forces technique et chorégraphique qui emballent le tout sont jubilatoires, le propos lui, reste enlisé dans un discours rétro n’engageant ni l’invective, ni la curiosité. Toutefois, étrangement, on y retournerait volontiers…

A Quiet Evening of Dance ; chorégraphie : William Forsythe, avec Brigel Gjoka, Jill Johnson, Christopher Roman, Rauf « RubberLegz » Yasit, Parvaneh Scharafali, Riley Watts, Ander Zabala ; Musique Morton : Feldman, Jean-Philippe Rameau, Son Niels Lanz, Lumières Tanja Rühl, William Forsythe, Costumes Dorothee Merg, William Forsythe

Godefroy Gordet
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