Yvan en Avignon

1973 : le rite entre le mythe et les mites

d'Lëtzebuerger Land vom 22.07.2010

Andy Schleck venait à peine d’endosser son tout nouveau maillot jaune, que le rideau se leva, à Avignon, sur le spectacle de Massimo Furlan dédié au crû 1973 du Concours eurovision de la chanson. Nul n’ignore, bien sûr, qu’RTL gagna cette année-là pour la deuxième fois consécutive le fumeux concours. Sommet des Alpes contre sommet de la ringardise, le col de la Madeleine d’Andy avait aussi un goût de madeleine pour Yvan chez qui se brouillaient dans la Salle Benoît XII les images de Charly Gaul et d’Edy Schütz avec celles d’Anne-Marie David et de Vicky Leandros. Furlan, le plasticien-performeur, comme on dit un peu pompeusement aujourd’hui, réalisa avec ce spectacle une nouvelle fois un rêve de gosse. Il y a du Philippe Caubère dans ce gars-là qui, après avoir rejoué dans Numéro 10 tous les déplacements du Platini de la mémorable demi-finale France – Allemagne de la Coupe du Monde 1982, se met aujourd’hui dans la peau des interprètes de l’Eurovision 1973. L’exercice est délicat, tant la frontière est ténue ici entre la nostalgie et l’ennui, l’art et le kitsch, l’humour et le ridicule, le sublime et le ringard. Mais l’antédiluvienne Eurovision n’avait-elle pas justement la vision d’abolir les frontières à l’intérieur du vieux continent et, pourquoi pas, à l’intérieur des vieux arts du spectacle ? Massimo Furlan est un contrebandier plutôt qu’un douanier et grand bien lui en fasse.

L’Italien au nom de footballeur uruguayen a magistralement réussi son pari. Il alla droit au but en convoquant sur son plateau Marc Augé, l’ethnologue du métro et du rétro, qui analysa doctement, mais aussi avec humour et finesse, un peu comme sur le plateau de Michel Field, les rituels qui balisent, souvent à notre insu, mais aussi pour notre confort, les actes quotidiens qui rythment la vie dans les stades et les lieux de culte, à la télé ou encore dans les manifestations identitaires. La répétition et l’ennui qui s’en suit nécessairement sont l’essence du rite, cette mise en scène du mythe, toujours rongée par les mites. Sous l’enchaînement lassant des chansons et du bavardage cassant des sociologues, jaillissaient alors parfois des pépites de poésie, de tendresse et de philosophie.

Bravo l’artiste qui a eu le cran d’accrocher une chanson à la science, fût-elle humaine, et, à l’inverse, d’habiller de tendresse et de sagesse la culture populaire ! Mais après tout, n’a-t-il pas fait tout simplement à l’Eurovision ce que Roland Barthes a fait à Charlie Gaul ? Et, pour clore notre Grande Boucle : y aura-t-il désormais, après l’Ange de la Montage, un Kid des Cimes ?

Yvan
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