À Dubaï en 2020, le Luxembourg se présentera tel que le rêve le ministre de l’Économie Etienne Schneider (LSAP) : en pays hyperconnecté et écologique

Le pays imaginé d’Etienne S.

d'Lëtzebuerger Land vom 23.12.2016

Never look back Elle est nerveuse, Maggy Nagel, très nerveuse. La presse ne l’a jamais épargnée durant ses deux ans en tant que ministre libérale du gouvernement Bettel/Schneider/Braz et elle craint qu’elle ne la lâchera pas. Vendredi dernier, le Luxemburger Wort a déjà rappelé son peu de succès dans ses deux ministères, le Logement et la Culture, son départ du gouvernement en décembre dernier et la chance qu’elle a eue de se voir placée en tant que première conseillère de gouvernement responsable de l’exposition universelle de Dubaï en 2020 au ministère de l’Économie. Elle ne veut pas parler du passé, « la politique est un chapitre de ma vie que j’ai refermé il y a huit mois, lorsque j’ai commencé ici », dit-elle lundi en introduction de son exposé sur l’état d’avancement de cette présence luxembourgeoise à Dubaï. Et de préciser que, bien qu’elle atteigne les soixante ans en 2017, elle compte mener ce projet ambitieux à bout. Etienne Schneider (LSAP), le ministre de l’Économie qui l’a nommée à ce poste, ne laisse pas de doute quant aux qualifications et aux « bons contacts » de son ancienne collègue ministérielle et défend son fait du prince devant la presse. Avant Maggy Nagel, bien d’autres politiques à la retraite furent recyclés en tant que commissaires généraux d’expositions universelles, Robert Goebbels (LSAP) pour Shanghai 2010 ou Johny Lahure (LSAP) en 2000 à Hanovre.

Maggy Nagel sait donc qu’on l’attend au tournant, elle ne veut surtout pas donner d’arguments pour qu’on puisse l’attaquer. Lundi matin, devant la foule des grands jours au ministère – de très nombreux journalistes, deux ministres (Etienne Schneider et François Bausch, Déi Gréng, responsable, en tant que ministre des Infrastructures, de construire ce futur pavillon), une ribambelle de hauts fonctionnaires, des conseillers et autres responsables des services de presse des ministres ainsi que des représentants des trois partenaires du privé –, elle s’était donc préparée jusque dans le moindre détail. « Cradle to cradle » a-t-elle inscrit en lettres majuscules sur le dos du dossier A4 posé sur la table devant elle, et « économie circulaire ». Elle porte une écharpe avec le nouveau logo du nation branding, Let’s make it happen et a préparé son discours jusqu’à la dernière virgule. Celle qui, selon des informations internes au processus de formation du gouvernement en automne 2013, ne voulait pas devenir ministre de la Coopération parce qu’elle ne voulait pas voyager autant, a déjà dû accomplir plusieurs allers-retours aux Émirats arabes unis depuis le début de l’année pour se faire une idée du site, nouer des contacts là-bas, et surtout prouver son engagement. Pour être certain de sa réussite, Etienne Schneider lui a discrètement délégué Marc Scheer en tant que conseiller : l’homme connaît aussi bien les rouages du pouvoir et les fastes de la représentation pour avoir travaillé pour la Cour grand-ducale que les Émirats arabes unis pour avoir été en charge du Luxembourg Trade and Investment Office à Abu Dhabi, qui a précédé l’ouverture, en 2012, d’une ambassade luxembourgeoise là-bas.

Storytelling Si le Luxembourg n’a pas participé à l’exposition universelle de Milan pour des raisons à la fois économiques et d’opportunité, comme l’expliqua Etienne Schneider – le thème était l’agriculture alimentaire –, Dubaï 2020 a retenu toute son attention. « Le thème Connecting minds, creating the future nous concerne », affirma le ministre, et on comprend son enthousiasme car ce thème lui permet de réunir tous les axes qu’il développe dans sa stratégie de diversification économique, de l’économie circulaire (Dubaï y place de grandes espérances de constructions écologiques et recyclables) en passant par le développement durable et la troisième révolution industrielle jusqu’à l’astro mining. Car, comme l’a prouvé Jean-Luc Mousset dans ses recherches pour l’exposition Un petit parmi les grands. Le Luxembourg aux Expositions universelles de Londres à Shanghai (1851-2010), en 2010 au Musée national d’histoire et d’art, une telle présence à une Exposition universelle est toujours un moyen non de montrer un pays réel, mais un pays rêvé (selon l’opposition forgée par Édouard Glissant). Donc le Luxembourg ne s’y présentera pas avec ses six pour cent de chômage, ses 80 pour cent d’opposants au référendum de 2015, son système scolaire toujours inégalitaire ou ses initiatives citoyennes contre les logements pour réfugiés, mais avec tout ce qu’il a d’avant-gardiste, de courageux, d’innovateur. Si de nombreux pavillons antérieurs furent ceux de l’industrie sidérurgique de l’Arbed, de la porcelaine de Villeroy & Boch, du tabac de Heintz van Landewyck, de l’artisanat, du tourisme, voire même des arts, celui de Dubaï sera celui de la technologie. Dans ce storytelling, qu’est en train de développer un groupe de travail interne au ministère, le grand-duché est un pays à haute technologie, à commencer par les satellites de la SES. Un pays conscient de l’importance et de la limitation des ressources aussi, qu’elles soient naturelles ou humaines, et poussant donc son esprit novateur jusqu’aux étoiles. « Resourceful Luxembourg » ou « de la terre jusqu’aux étoiles » sont autant de slogans utilisés par Maggy Nagel. Ni la monarchie, qui connaît pourtant un nouvel engouement populaire, ni même la place financière n’ont été évoquées. Et ce bien que soixante pour cent des fonds d’investissement commercialisés à Dubaï soient domiciliés au Luxembourg, comme le souligna Carlo Thelen, le directeur de la Chambre de commerce.

Le nouveau Knokke-le-Zoute Aujourd’hui, les entrepreneurs les plus influents du Luxembourg ne vont plus en vacances à Knokke-le-Zoute, ni même aux Îles canaries, qu’ils laissent aux masses populaires, mais prennent l’avion pour les Émirats arabes unis, adorés pour leur trente degrés en hiver et admirés pour leur boom économique ou leur politique de développement et de construction ambitieuse. Dubaï, c’est depuis 2010 la ville de la plus haute tour du monde, le Burj Khalifa conçu par Adrien Smith et qui attire depuis les touristes ; ce sont aussi les îles construites dans la mer, comme Palm Jumeira. Ces constructions se font souvent à grands frais humains : 90 pour cent de la population des Émirats sont des travailleurs étrangers, beaucoup d’immigrés d’Inde, du Népal, du Pakistan et d’Afrique. Bien que les salaires y soient les plus élevés de la région et que le gouvernement prône sa modernité en matière d’islam modéré, voire d’égalité des femmes, les droits de l’homme n’équivalent pas forcément à nos standards : la peine de mort reste de mise, les syndicats sont interdits, Human Rights Watch répertorie toujours de lourdes peines infligées à ceux qui osent critiquer le régime. À la radio 100,7 ce mercredi, Maggy Nagel parla pourtant d’un pays « accueillant » et « agréable ». Le volume des échanges économiques entre le Luxembourg et les EAU se chiffra à quelque 600 millions d’euros en 2015.

Modernité affichée À Dubaï, où le Luxembourg a opté pour une grande parcelle de 35 ares, il ne veut pas reproduire les erreurs de Shanghai : cette fois, l’architecture et la scénographie seront liées dès la phase de construction afin de pouvoir proposer un concept intégré et cohérent. Un appel à projets pour le pavillon, s’adressant aux deux professions conjointes, sera lancé en janvier, le choix se fera par un jury parmi cinq finalistes au printemps 2017. Alors que Milan avait été exclu pour raisons économiques, la crise semble désormais derrière nous : le grand-duché dépensera 25 millions d’euros à Dubaï (un milliard d’anciens francs !), dont au moins la moitié proviendra du budget de l’État, étalée sur quatre ans (cinq millions d’euros prévus dès l’année prochaine) et le reste des six millions d’euros restant de Shanghai, notamment de la vente du pavillon, et des trois fois 2,5 millions qu’investiront les partenaires privés dans le groupement d’intérêt économique officialisé lundi (la Post, la SES et la Chambre de commerce). Les organisateurs de l’exposition universelle tablent sur 25 millions de visiteurs, dont 70 pour cent d’étrangers. Le Luxembourg investit donc un euro par visiteur. Or, il est évident que peu de ces visiteurs achèteront un satellite ou même un abonnement Scoubido de la Post. Mais dans le concert des nations, le Luxembourg veut s’afficher parmi les pays modernes. Cela vaut bien une chandelle à Etienne Schneider.

josée hansen
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