Campus Geesseknäppchen

La ville dans la ville

d'Lëtzebuerger Land du 14.01.1999

Il y a de ces chantiers qui fascinent. Celui, énorme, du campus Geesseknäppchen, en fait partie. À passer devant tous les jours sur l'autoroute d'Esch, l'automobiliste le voit véritablement pousser, comme un champignon, depuis les premières excavations en été 1997. Oui, le chantier sera terminé dans les délais, pour la rentrée 2000/2001 affirme-t-on au ministère de l'Éducation nationale et de la formation professionnelle (Menfp), à celui des Travaux publics et surtout chez Paul Würth, coordinateur du chantier, qui se compose en fait de cinq sous-chantiers. Une rue de chantier longe désormais l'autoroute, protégée par un grillage, elle accueille les containers des différentes entreprises, qui ont toutes les fonctions vitales d'un quartier dans la ville. Autour de Noël, il y avait même un arbre décoré. Quelque 330 personnes travaillent actuellement sur le chantier, qui implique près de 130 entreprises et divisions de ministères. En fait, même s'il avance très rapidement depuis l'adoption de la loi du 6 mars 1996, qui en autorise la construction et le financement par voie de la loi du 13 avril 1970, dite " loi de garantie ", la chantier a une assez longue histoire d'actes manqués. La première ébauche prévoyait un campus scolaire international, contenant seulement des écoles privées des communautés américaine, française ou anglaise, dont la volonté datait de l'époque Marc Fischbach, en 1990. Le projet de loi y afférent (N° 3824) a été avorté par les oppositions virulentes des écoles et habitants du quartier, qui s'inquiétaient des nuisances du chantier et d'une possible dégradation de la qualité de vie du quartier, mais aussi de celle du Conseil d'État, impressionné et inquiété par la somme d'argent engagée de 3,8 milliards de francs à l'époque. Il réitéra ces réflexions pour le deuxième projet de loi, N° 4082, largement modifié car comportant maintenant un cinquième lycée luxembourgeois pour le territoire de la ville de Luxembourg. Les dépenses prévues sont désormais de l'ordre de 4,8 milliards de francs et en font le plus grand chantier actuellement au pays. Il y a un an seulement, les écoles environnantes, à savoir l'Athénée, le lycée Michel Rodange et le lycée technique ECG s'inquiétaient des nuisances sonores et des risques de sécurité du chantier pour les élèves. Après une réunion commune de professeurs, d'élèves et de parents d'élèves des trois écoles et un communiqué de presse mettant en garde devant ces risques et craintes, les choses se sont améliorées. Selon la directrice du LMRL, Monique Klopp, la cohabitation quotidienne se passe plutôt bien : l'aile sud du lycée a été munie de triple vitrage par l'entrepreneur, tout le chantier est protégé, côté écoles, par une énorme palissade opaque, le trafic de camions doit s'arrêter aux heures de départ et d'arrivée des élèves. Patrick Rassel, ingénieur-chef de chantier de l'entreprise Paul Würth est d'ailleurs particulièrement fier de toutes les mesures prises pour éviter une trop grande influence du chantier sur la vie quotidienne des lycées. Mais les nuisances sonores doivent aussi être limitées dans les nouveaux bâtiments, en voie de construction: les salles de classes situées à quelques mètres seulement de l'autoroute doivent être particulièrement bien isolées et insonorisées. Un spécialiste en acoustique élabore un système spécial qui absorbe les bruits extérieurs, mais pas a voix de l'enseignant. Toutes les fenêtres seront munies d'un double vitrage, l'aération se fera mécaniquement. Sur un terrain de 24,5 ha seront donc construits le cinquième lycée - qui n'a pas encore de nom, la ministre Erna Hennicot-Schoepges (PCS) voulant choisir un nom féminin -, un forum d'accueil pour les élèves de tout le site, l'American International School (AIS) et son complexe sportif et une piscine / salle de sports avec une centrale de cogénération. L'État luxembourgeois construit le bâtiment pour l'AIS et le lui met gratuitement à disposition, les frais d'inscription à l'école privée servent à financer le fonctionnement de l'école. Actuellement, les quelque 500 élèves de tous les niveaux d'enseignement de l'AIS sont à l'étroit dans leurs bâtiments de l'avenue de la faïencerie. Le lycée Vauban, francophone, en héritera après l'achèvement des travaux du Geesseknäppchen. S'il est prévu que le forum du site, avec notamment sa cantine, accueille aussi les élèves américains du niveau supérieur (Upper School), c'est aussi une mesure d'intégration, estime Paul Seiwerath, professeur attaché, responsable des chantiers et du budget au Menfp, car sinon, les élèves de l'AIS éviteraient tout contact avec les élèves autochtones. Le cœur de tout le campus Geesseknäppchen sera le Forum (architectes Klein [&] Müller), une rotonde comportant, sur cinq niveaux, une grande salle polyvalente à 800 places, des bureaux pour le futur conseil d'administration, en charge de la gestion de tout le site, de petits commerces, genre papeterie, boulangerie et autres, pour les élèves, une grande bibliothèque commune et surtout une cantine avec 800 places assises. La cuisine ne servira qu'à réchauffer les plats, qui seront précuits dans la cuisine centrale que le Menfp construira à Raemerich pour toutes les cantines scolaires. Avec une façade en verre et aluminium et surtout par son entonnoir en verre devant capter et faire entrer le plus de lumière possible, la bâtiment a un aspect très futuriste sur les plans, un peu comme s'il s'agissait d'un aéroport pour ovnis - reste à voir si en réalité il ne risque pas de tomber dans le kitsch. Le cinquième lycée, quant à lui, à aussi connu beaucoup de modifications. Si, initialement, il ne devait abriter qu'un lycée classique, il est maintenant prévu pour un cycle inférieur de lycée technique (jusqu'à la classe de neuvième) et classique - pour signifier la perméabilité entre les deux systèmes scolaires et faciliter psychologiquement les changements de l'un à l'autre aux élèves -, puis continuera en deuxième cycle classique. Sa capacité totale sera de 1 300 élèves et quelque 120 enseignants pour 56 classes. Sa première fonction sera d'accueillir la surpopulation des autres lycées de la ville, abrités actuellement dans des containers, l'Athénée et le LMRL en premiers. En tout, le campus Geesseknäppchen accueillera près de 5 000 élèves, ce qui implique aussi un problème de logistique pour la Ville de Luxembourg. Sous le nouveau lycée et le forum sera construit un parking supplémentaire à 400 places, ce qui porte le nombre total de places sur le site à 700. Mais ces parkings ne seront réservés qu'au seuls enseignants, ainsi qu'aux visiteurs lors des manifestations extraordinaires dans le complexe sportif à piscine olympique ou dans la salle de fêtes du forum. Les élèves sont censés venir avec les moyens de transport public - la proximité de la gare ferroviaire ayant toujours été un des arguments avancés pour ce site. Il est prévu d'augmenter les capacités des gares routières ; encore faudra-t-il programmer de nouvelles lignes de bus ou en augmenter la fréquence. En plus, les premiers plans du BTB avaient complètement oublié le campus Geesseknäppchen; maintenant une antenne est prévue rue de Bouillon, dont le parking pourra aussi servir d'appoint, comme un pont piéton doit relier le campus à l'autre côté de l'autoroute. Or, c'est ignorer la réalité luxembourgeoise: les élèves redoublent en moyenne deux années dans leur carrière scolaire, ils ont donc tous le permis de conduire durant au moins deux ans de leur cycle scolaire. Beaucoup en possèdent une voiture, difficile de les persuader des avantages de bus bondés de leurs "petits" collègues. Le Menfp est en train de faire effectuer une étude sur les flux d'élèves, afin de mieux pouvoir les suivre. Dans les prochains mois devra également débuter le chantier du sixième lycée, celui de Mamer, dont l'attrait sera le high-tech. Si les deux structures suffisent à éponger les premières urgences en matière d'infrastructures, il n'est pas certain qu'elles vont tenir très longtemps, vu le rythme de croissance de la population scolaire. Paul Seiwerath est conscient d'une part d'inconnue dans cette évolution: on peut bien surveiller le nombre de naissances ou le nombre d'enfants dans l'enseignement primaire, mais leur évolution dans le cycle reste imprévisible. " Nous devons construire des structures très flexibles," estime-t-il. L'actuelle croissance correspond aux estimations du plan pluriannuel datant de 1997, qui prévoit 31 000 élèves au secondaire en l'an 2002, soit une augmentation de 5 300 élèves, ce qui, théoriquement, équivaudrait à quatre lycées supplémentaires au lieu de deux. À côté du problème des infrastructures, il y a la pénurie en enseignants, qui est loin de s'améliorer. Le Menfp a bien l'accord du gouvernement d'engager 125 nouveaux professeurs par an, mais cette rentrée, une centaine seulement ont réussi à passer l'examen d'entrée au stage pédagogique. L'école fonctionnera donc toujours grâce aux chargés de cours et d'éducation. Pendant ce temps, la vie de chantier continue sur le campus Geesseknäppchen, où le ballet des camions et grues rythme la vie de 330 femmes et hommes.

josée hansen
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