Théâtre

Macaigne fait tout péter

d'Lëtzebuerger Land du 08.12.2017

Le bâtiment du Théâtre des Amandiers à Nanterre a le charme d’une époque, les années 1970, où la place était le cadet des soucis de ces villes nouvelles dans la grande ceinture de Paris. Avec quelques guirlandes d’ampoules et un beau néon rouge, le théâtre attire les spectateurs qui semblent perdus dans le froid et le gigantisme des avenues et des buildings, dont les rez-de-chaussées réservés au commerce sont désertés depuis longtemps. Dès qu’on ouvre la porte du bâtiment, une musique assourdissante – extraits de standards pop et d’hymnes nationaux – accueille le spectateur, des graffitis partout, pas de doute, la rage de Vincent Macaigne est arrivée. Le metteur en scène, acteur et cinéaste, nouveau phénomène du jeune théâtre français (il est né en 1978) est un des invités du Festival d’automne cette année : trois de récents spectacles sont présentés dans le programme durant ce mois de décembre, Je suis un pays, Voilà ce que jamais je ne te dirai et En manque.

Déjà, lorsque des collaborateurs du festival distribuent des bouchons d’oreille et avertissent que « ce sera vraiment, vraiment fort », on se dit que les récits dans la presse quant à l’excès de Vincent Macaigne, lors de ses précédents spectacles comme L’idiot ou Au moins j’aurais laissé un beau cadavre, n’étaient pas exagérés. 18h30 : alors que le public attend devant la porte de la grande salle, un bruit de déflagration, quelques personnes surexcitées viennent avertir le public qu’une catastrophe a eu lieu et que le seul endroit protégé est la salle de spectacle dans laquelle tout le monde devrait se réfugier. Pourtant, à l’intérieur, le boucan est tout aussi terrorisant : basses à vous faire changer de rythme cardiaque, stroboscopes, fumigènes – et des acteurs qui hurlent dans des micros à plein volume. Une partie du public, les plus âgés surtout, se bouchent les oreilles. Les plus jeunes, et ils sont nombreux, sourient à pleines dents et se mettent à danser.

Je suis un pays de Vincent Macaigne remonte à un texte de jeunesse, Friche 22.66 et il en a toutes les caractéristiques : la rage de la jeunesse, l’impatience, l’hésitation stylistique, parfois aussi la naïveté. Sa philosophie de base : hé, vous les vieux, vous pourrissez la planète avec vos Monsanto et Nespresso, cassez-vous ! – « le monde est à nous » comme dira la petite fille de dix ans sur scène. Mais ce n’est pas tellement le contenu que la forme du travail de Macaigne qui sont complètement ébouriffants : entre dystopie et conte écologique, entre farce politique et drame familial, c’est Shakespeare pour la cruauté du pouvoir et c’est une tragédie grecque pour le côté inéluctable du sort de ses personnages. Un frère et une sœur, Edy et Marie Curry (oui oui, écrit comme le plat) sont abandonnées à l’âge enfant, six et huit ans, par leur mère, qui était femme de ménage à la Société des nations. La mère s’y était adonnée à un trafic d’organes de ses nombreux enfants pour joindre les deux bouts (même la petite Marie a été amputée d’un rein), mais lorsqu’on l’avertit par écrit que ses enfants étaient prédestinés à sauver le monde, elle les abandonne à leur grande destinée. Marie se fait violer par un ange (!) et Edy se fait arracher les yeux, rien que ça. Ainsi commence un spectacle de presque quatre heures, durant lequel « nous avons rendez-vous avec le désastre » comme le dira Edy juste avant la pause. Ou, plus tard : « Il nous faut sortir de notre élan vers le pire ».

Comme notre monde, Je suis un pays est un grand foutoir où Macaigne fait tout péter : il organise des élections durant une émission de téléréalité trash – avec l’excellente Candice Bouchet en maîtresse de cérémonie –, des moments très disco durant lesquels le public est invité à monter sur scène et à danser sur Gangnam style ou Diamonds de Rihanna, il inonde la scène de sang et de boue, fait tomber des tas de trucs du plafond, exagère en fumigènes et en mousse, en vociférations et en violence (ah, ce « roi immortel » que tout le monde tente d’assassiner à longueur de soirée...). Après la pause, les spectateurs du deuxième spectacle, Voilà ce que jamais je ne te dirai, entrent emmitouflés dans des combinaisons blanches, une lampe-torche sur le front et participent à celui-ci. Comme notre monde, cela ne fait pas forcément sens, mais l’urgence est toujours là. Le théâtre est une fête, un doigt d’honneur à une terrible réalité et une grande communion avec le public, semble nous dire Macaigne. La bonne nouvelle à la fin : Tom Leick-Burns nous confirme qu’il a acheté le spectacle, dont les Théâtres de la Ville de Luxembourg sont un des coproducteurs, pour la prochaine saison.

Je suis un pays et Voilà ce que jamais je ne te dirai de Vincent Macaigne (écriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique), jusqu’au 8 décembre au Théâtre Nanterre-Amandiers, dans le cadre du Festival d’automne à Paris. Le spectacle, créé en septembre au théâtre de Vidy-Lausanne, partira ensuite en tournée ;
www.festival-automne.com/edition-2017/vincent-macaigne-je-suis-un-pays. Du 14 au 22 décembre sera en outre montré En manque de Macaigne à la Villette à Paris.

josée hansen
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