Littérature

Ut pictura poesis

d'Lëtzebuerger Land du 10.10.2014

« 1989, dat Joer an deem d’Fondatioun Servais gegrënnt gouf, war kee riichtewecht Joer, mee eent, an deem sech villes beweegt an Opbrochstëmmung opkomm ass. […] Zu Stockholm kritt de spueneschen Auteur Camilo José Cela den Nobelpräis an der Literatur, an Däitschland geet de Georg-Büchner-Preis un de Botho Strauß an de Goncourt a Frankräich ass dir dem Jean Vautrin säin Un pas vers le Bon Dieu. » Voici une partie du début du mot de bienvenue de Germaine Goetzinger, lors de la cérémonie du 25e anniversaire de la Fondation Servais, dimanche dernier au Mierscher Kulturhaus.

Ce rappel, parmi d’autres (comme le mur de Berlin, évidemment, et le 200e anniversaire du début d’années de massacre qu’on appelle aujourd’hui la Révolution française), est beaucoup plus intéressant que son simple caractère anecdotique ne laisse supposer. Le prix Nobel de littérature existe depuis 1901, le Georg-Büchner-Preis depuis 1923, le Goncourt depuis 1903. Mais en 1989, l’année où la Fondation Servais pour la littérature luxembourgeoise a été fondée, le Luxembourg ressemblait encore à un terrain en friche, en ce qui concerne les activités « autour » de la littérature.

Certes, les premiers éditeurs professionnels venaient de s’établir, les éditions Phi commençaient à éditer le nouveau roman luxembourgeois de Roger Manderscheid et de Guy Rewenig, mais il n’y avait pas de Centre national de littérature, les archives littéraires faisant encore partie des Archives nationales, il n’y avait pas ou peu de reconnaissance médiatique, et – hormis le Concours littéraire national, organisé depuis 1978 par le ministère de la Culture – aucun prix littéraire, censé récompenser un roman publié ou l’œuvre littéraire de toute une vie. Le Luxembourg avait un sacré retard à rattraper, s’il voulait consolider l’avancée de la nouvelle génération d’écrivains qui écrivait en trois langues et faisait entendre des voix critiques, qui en avait marre de se lover dans des textes plus ou moins champêtres et de porter le sigle d’une littérature du terroir, qui voulait rivaliser avec la grande littérature des voisins, en se basant sur des thèmes universels et en expérimentant avec des formes et dispositifs narratifs plus complexes.

Et c’est là que la Fondation Servais entra en jeu : elle eut pour objet, dès ses débuts, la promotion de la littérature luxembourgeoise, le soutien de la recherche littéraire et de sa publication. Un des moyens les plus manifestes d’une telle promotion est la création, en 1992, du prix Servais, un prix littéraire censé récompenser l’ouvrage littéraire le plus significatif paru au cours d’une année – même si la retombée médiatique du prix Servais n’est, encore aujourd’hui, pas énorme et que, contrairement au prix Goncourt, l’on ne peut pas parler de 300 000 exemplaires vendus du livre primé, mais plutôt de trente, ou tout au plus de 300. Un deuxième prix créé par la Fondation Servais, frère cadet, en quelque sorte, est le prix d’encouragement à la première publication, qui récompense un manuscrit prometteur afin de faciliter le procédé de publication ou d’attirer l’intérêt des éditeurs. Ces deux prix sont attribués par un jury indépendant de la Fondation qui est, aujourd’hui, présidé par Pierre Marson.

Par contre, un changement majeur dans l’existence de la Fondation est la subvention de l’Œuvre nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte, dont elle bénéficie depuis peu, et qui, probablement, n’est pas pour rien dans le maintien de ses activités et notamment des deux prix littéraires, qui coûtent de l’argent, faut-il dire : le prix Servais est doté d’une bourse de 6 000 euros et l’éditeur qui se décide à publier le prix d’encouragement reçoit, lui, la somme de 3 000 euros.

S’il est donc clair qu’en 1989, la création de la Fondation fut une nécessité et qu’on ne veut même pas s’imaginer dans quel coin moyenâgeux la littérature se trouverait si elle n’avait pas existé, il ne faut négliger son importance, ni le travail qu’il lui reste à faire aujourd’hui : la littérature reste, d’un simple point de vue médiatique, du marché (si l’on veut un peu se faire l’avocat du diable), la moins « sexy » des disciplines artistiques, au grand-duché, la moins branchée, la moins jeune, comme me le confiait même une personne d’une institution culturelle (non, non, pas la ministre). Et ce n’est pas tout à fait faux. Il reste des efforts à faire. Même le grand-duc, présent dans la salle, dimanche dernier, s’en est aperçu.

Ian de Toffoli
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