Foire nationale de l'Emploi

Le « paradoxe » luxembourgeois ?

d'Lëtzebuerger Land du 10.07.2008

La foire nationale de l’emploi du week-end dernier n’a pas apporté les résultats espérés. En effet, la participation du public en général, mais avant tout celle des chômeurs eux-mêmes, ne s’est pas vraiment révélée. Une des raisons principales tient à la date de la manifestation. Les jeunes demandeurs d’emploi, un des groupes cibles du ministre CSV du Travail et de l’Emploi, François Biltgen, venaient tout justement de recevoir leur diplôme de fin d’études secondaires le même week-end. Leurs aînés qui sortent de l’université, finissaient encore leurs examens ou leurs thèses. Les organisateurs ont promis de tenir compte de ces paramètres l’année prochaine. La foire se tiendra dorénavant au printemps de façon à capter plus d’intéressés. 

Les tables rondes organisées dans le cadre de cette manifestation ont au moins montré une chose, c’est qu’on semble toujours tourner autour du même pot, sans pouvoir trouver des réponses concrètes pour aider les quelques 9 255 demandeurs d’emploi (chiffres de mai 2008) à trouver un travail fixe. Or, les statistiques indiquent que le Luxembourg n’est pas un pays comme les autres. C’est en tout cas ce qu’on pourrait croire pour expliquer le taux de chômage de 4,1 pour cent comptabilisé en mai dernier. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les chiffres globaux de l’économie, pour se mettre à l’évidence du particularisme grand-ducal. 

Le grand-duché crée en effet plus d’emplois (332 717) qu’il ne compte de citoyens de nationalité luxembour­geoise (277 900). Bien évidemment, cette constellation s’explique largement par la présence d’une grande proportion de résidents étrangers (205 900) sur le sol luxembourgeois et par les 146 778 personnes qui traversent tous les jours nos frontières pour y travailler. Le soi-disant « paradoxe » luxembourgeois se reflète avant tout dans la contradiction entre la forte croissance de l’emploi, d’un côté, et de la montée proportionnelle du chômage de l’autre. 

Or, pour comprendre l’économie luxembourgeoise, il faut tenir compte plus globalement de la Grande Région, essentielle en termes de main d’œuvre et de pouvoir d’achat. Comme l’a indiqué Stefano Scarpetta de l’OCDE, lors de l’ouverture de la foire, vendredi dernier : « Le secteur financier a poussé l’emploi qualifié au profit des travailleurs frontaliers ». En d’autres termes, une bonne partie des nouveaux postes créés sur la place financière sont donc comblés par des résidents de l’autre côté des frontières. Cependant, c’est un cliché aux accents populiste bien trop répanduque de croire que le chômage au Luxembourg est dû à l’arrivée d’étrangers qui « volent » les emplois locaux. La réalité est en effet beaucoup plus complexe.Qui sont donc les demandeurs d’emploi inscrits à l’Adem ? Comme l’a indiqué François Biltgen, lors de l’ouverture de la Foire nationale de l’emploi, « 1 500 des chômeurs inscrits à l’Adem n’ont presque pas de qualifications ou de connaissances de langues, et par conséquent, il est assez difficile de les placer ». Selon l’étude du Statec du 2 juillet dernier, la proportion de chômeurs de longue durée inscrits à l’Administration de l’emploi depuis plus d’un an s’est élevée à 36 pour cent en avril 2008. Cette catégorie est d’ailleurs en nette augmentation, puisqu’en janvier 2003, les demandeurs d’emploi pointant depuis plus d’un an  ne constituaient que 17 pour cent des chômeurs. En clair, dans beaucoup de cas, il ne s’agit pas nécessairement de personnes qualifiées pour occuper les nouveaux emplois créés dans le secteur financier.

Mais, dans les chiffres de l’Adem, il existe d’autres groupes très touchés et pour lesquels les explications sont moins simples. Les jeunes âgés de 15 à 29 ans représentent, par exemple, 28 pour cent des sans-emploi. Si la proportion de jeunes chômeurs a tendance à baisser par rapport à l’année dernière, elle représente néanmoins encore un souci majeur pour les autorités luxembourgeoises. Le chômage des personnes âgées de plus de 50 ans est aussi devenu un problème. Les statistiques du Statec indiquent que les demandeurs d’emploi qui ont une expérience de plus de 30 ans sur le marché de travail, constituent 14 pour cent de la population inscrite à l’Adem. Ceux qui ont travaillé entre 21 et 30 ans, arrivent même à 17 pour cent. Si nous gardons le même taux d’activité qu’en 2000, le nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans sera en large croissance en 2050 par rapport à aujourd’hui, selon les estimations de l’OCDE. Finalement, les demandeurs avec « un certain degré d’incapacité de travail », dont font partie les personnes handicapées, représentaient 25 pour cent des demandeurs d’emploi. Il reste donc à trouver des solutions plus complexes pour ces groupes spécifiques.

Or, comme l’a indiqué Stefano Scar­petta, les cas des chômeurs luxembourgeois ne sont pas si atypiques par rapport au reste de l’OCDE. Ce ne serait donc pas le prétendu « paradoxe » luxembourgeois qui expliquerait le haut taux de chômage. Serge Allegrezza conteste même ouvertement cette formule dans l’introduction de la nouvelle étude du Statec qu’il dirige, en expliquant que le Luxembourg reste un marché ouvert. Le chercheur Fernand Fehlen de l’Université du Luxembourg, remarquait pour sa part, dans une intervention ouvrant la foire de l’emploi, qu’il fallait voir le chômage dans le contexte plus large de la Grande Région et non pas d’un point de vue purement national.

Il reste toutefois que le Luxembourg garde certaines spécificités sur le marché de l’emploi. Fernand Fehlen relevait ainsi la forte proportion des nationaux qui travaillent pour l’État par rapport aux chiffres d’autres pays. 22 pour cent des salariés luxembourgeois sont fonctionnaires de l’État. Si on ajoute ceux qui travaillent pour les institutions parapubliques et les communes, ainsi que le secteur de la santé, on arrive à plus de 50 pour cent. En d’autres termes, le fait que bon nombre de frontaliers profitent de la croissance d’emplois dans le secteur financier est, en partie, le résultat de l’orientation de nombreux diplômés luxembourgeois à se faire recruter dans le secteur public. 

Diminuer les effectifs de la fonction publique ne serait pas la solution souhaitable pour remédier au soi-disant « paradoxe » du marché de l’emploi. L’investissement dans l’éducation et des programmes de formation continue sont essentiels pour arriver à bout des problèmes de chômage. En attendant, la situation où le Luxem­bourg continue de créer plus d’emplois qu’il n’en faut à ses propres citoyens reste exceptionnelle dans un contexte de récession qui frappe déjà, de l’autre côté de la Manche.

David Goebbels
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