Emploi des jeunes

Reculer pour mieux sauter

d'Lëtzebuerger Land du 10.09.2009

Deux mille. C’était le chiffre annoncé par les syndicats lors de deux réunions extraordinaires de la tripartite emploi les 6 mai et 2 juin – cinq jours avant les élections législatives : Il faudrait s’attendre à une poussée de 2 000 à 2 500 jeunes diplômés qui rechercheraient un emploi en temps de crise, donc avec la perspective de rencontrer beaucoup de difficultés d’en trouver un, alors que le taux de chômage global ne cesse de grimper. Personne ne sait vraiment d’où sortait ce chiffre, peut-être qu’il correspondait à une simple addition des 1 200 détenteurs du bac classique plus les 800 du bac technique ? En tout cas, c’est le chiffre iconique qui a servi de base à tous les discours politiques de la campagne électorale, notamment du président du CSV et alors ministre du Travail François Biltgen. En juin, il y avait 1 984 demandeurs de moins de 26 ans inscrits à l’Adem – ce chiffre allait-il plus que doubler ? François Biltgen a donc promis des réformes ponctuelles des mesures d’accompagnement existantes, qui avaient été adaptées contre l’opposition virulente des jeunes dans la rue par la loi 5611 fin 2006. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. 

Et la première chose que font la politique et l’administration face à une crise aujourd’hui, que ce soit une épidémie ou la montée du chômage, c’est le lancement d’un site internet. Mercredi, quatre ministres – François Biltgen (CSV), Enseignement supérieur, Mady Delvaux (LSAP), Éducation, Marie-Josée Jacobs (CSV), Jeunesse, et Nicolas Schmit (LSAP), Travail, conviaient donc à une conférence de presse de lancement du site Anelo.lu (« et maintenant ? »), un portail commun qui regroupe des liens menant vers des sites utiles pour le jeune demandeur d’emploi, vers des formations complémentaires, des sites commerciaux d’offres d’emploi ou des aides pratiques, par exemple pour écrire son premier CV. Depuis hier, jeudi, un accueil physique est également fonctionnel durant trois demies-journées par semaine au Centre de documentation et d’information sur l’enseignement supérieur (Cedies), route d’Esch, pour, en un premier temps, informer et orienter le jeune diplômé vers le marché du travail.

« Mais nous ne savons pas du tout à quoi nous attendre, » concédait Mady Delvaux. Il se peut que les bureaux soient pris d’assaut, tout comme il se pourrait tout à fait que les hauts fonctionnaires délégués sur place par les quatre ministères se tournent les pouces durant les heures d’ouverture. Car jusqu’à début septembre, l’arrivée massive annoncée des nouveaux inscrits à l’Adem (Ad­ministration de l’emploi) n’a pas eu lieu. En tout cas, Pierre Schloesser, conseiller de direction à l’Adem, responsable du département, ne l’a pas constaté jusqu’ici : Certes, le nombre de nouveaux inscrits a augmenté d’une centaine de personnes en un mois, entre juin et juillet (derniers chiffres disponibles), mais cette augmentation est tout à fait courante durant les mois d’été, après la fin de l’année scolaire. 

En ce qui concerne cette évolution sur un an, cette augmentation est plus impressionnante, plus 600 personnes entre juillet 2008 et juillet 2009 – mais en pour cent, cela constitue un plus de 0,3 point de pour cent à 16,4 pour cent du total des demandeurs d’emploi : ce bond inquiétant correspond à celui du chômage global. Car parmi les nouveaux inscrits, on retrouve aussi des jeunes ayant été licenciés après un premier emploi. Dans les chiffres Eurostat pour le premier trimestre de cette année, le Luxembourg se situe au-dessus de la moyenne européenne, avec un taux de chômage de 19,1 pour cent parmi les jeunes âgés de quinze à 24 ans. En réalité, on manque de chiffres concrets et affinés sur l’évolution de la situation et le profil des demandeurs.

« Il est tout à fait inadmissible que les jeunes soient pénalisés par la crise au moment même où ils entrent dans la vie active, » s’insurge Nicolas Schmit, le nouveau ministre du Travail. Au­jourd’hui, il devrait soumettre au gouvernement le projet de loi spéciale sur les mesures à mettre en œuvre pour, comme il dit, réagir à la situation exceptionnelle sur le marché du travail toujours en chute libre – le taux de chômage atteignait les 5,5 pour cent en juillet, soit 12 787 personnes sans emploi, plus presque 10 000 en chômage partiel. Son but est de faire passer la loi durant la première session du parlement début octobre afin que le texte puisse entrer en vigueur à la fin du mois. Il ne le restera que jusqu’à fin 2010, pour être évalué et, éventuellement, aboli par la suite. L’espoir étant que l’économie aura repris du poil de la bête d’ici-là et sera, grâce à une reprise de la croissance, à nouveau créatrice d’emplois. 

Donc, durant ces quelque quatorze mois, cette loi spéciale réformerait les principales mesures du 5611, le contrat d’appui-emploi (CAE, essentiellement dans les administrations publiques) et le CIE (Contrat d’initiation à l’emploi, dans les entreprises privées). Ces deux contrats seront maniés de manière plus flexible, moins contraignante pour les patrons, qui ne seront par exemple plus pénalisés s’ils n’accordent plus forcément une priorité à l’embauche au jeune stagiaire, et leurs durées maximales seront à nouveau étendues. Or, voilà le premier paradoxe de ces projets de réforme : en fait, ils reviennent à l’avant-5611 en annihilant les bonnes intentions de celui-ci, à savoir celles de vouloir réduire la précarisation des jeunes sur le marché du travail. De quelque 800 CAT avant 2007, employés à durée déterminée souvent diplômés et utilisés à foison par les services publics et para-étatiques pour assurer leurs missions quotidiennes, on en est arrivé à 186 CAE en juillet – car désormais, ce type de contrat est limité aux demandeurs non-qualifiés et couplé à une obligation de formation. Le même mois, 365 jeunes étaient dans une mesure CIE ; selon Pierre Schloesser, le taux d’embauche définitive après un CIE serait proche de cinquante pour cent. L’Adem tirerait donc un bilan plutôt positif des mesures 5611, « quelques adaptations étant toujours possibles » estime Pierre Schloesser, mais là encore, il n’y a ni évaluation ni chiffres concrets, une étude que devait réaliser le Ceps n’a jamais vu le jour.

Or, sans évaluation objective de l’existant, il semble téméraire de se lancer dans de nouvelles initiatives. C’est pourtant ce qu’a fait l’ancien ministre du Travail François Biltgen, en annonçant des mesures d’urgence avant les élections. Il a laissé une première ébauche d’un texte de loi sur son bureau pour son successeur, et Nicolas Schmit a pris la balle au bond. Car c’est sur cette première action qu’il sera jugé dans ce nouveau ressort. « J’ai pu faire quelques adaptations des textes, » affirme-t-il, et ce en consultation étroite avec les syndicats (une réunion avec le patronat est prévue pour la semaine prochaine). Ces changements concernent essentiellement la nouvelle mesure introduite par le texte, et appelée CIE-EP, comme « expérience pratique » : ce contrat s’adresse, pour la durée de la loi spéciale, aux jeunes diplômés, bac plus. Leur contrat en entreprise pourra durer entre six mois et deux ans et sera rémunéré à entre 120 et 150 pour cent du salaire social minimum pour travailleurs qualifiés. La proposition du patronat à l’entrée des négociations était d’offrir des stages non-rémunérés à ces jeunes afin qu’ils puissent acquérir une première expérience professionnelle. Dans la proposition de Nicolas Schmit, le jeune sera payé, mais les patrons se verront rembourser jusqu’à 80 pour cent de ce salaire par l’État. Plus une prime « substantielle » à l’arrivée, si le CIE-EP se transforme en contrat à durée indéterminée.

Pour Nicolas Schmit, il est primordial de tout faire afin que ces jeunes demandeurs ne se retrouvent pas dans l’attente d’un premier emploi durant trop longtemps – ce qui les pénaliserait même au-delà de cette attente, lors de la reprise, face à ceux qui reviendraient alors tout frais de leurs études. Leur assurer un premier emploi augmentera aussi leurs chances de décrocher un CDI par la suite. « En ce moment, il est extrêmement difficile de convaincre les entreprises d’embaucher des jeunes, » regrette-t-il. Grâce à ces nouvelles mesures d’accompagnement, cela devrait, à ses yeux, devenir nettement plus attractif. Les frais seront assumés par le Fonds pour l’emploi. Un contrôle serré de la part du ministère du Travail doit éviter les abus, par exemple qu’une entreprise procède à des licenciements économiques pour ensuite embaucher des jeunes diplômés hautement subventionnés. Aussi, le ministre veut éviter de créer un deuxième marché de l’emploi, parallèle, régi par la précarité sous-payée, mais vise un rapprochement maximal de ces mesures avec le premier marché, le but étant toujours d’y intégrer les jeunes, et ce dans des contrats fixes. 

Une fois la loi votée, les bureaux de Anelo seront aussi une sorte de « mini-Adem pour jeunes » (Nicolas Schmit), en charge de la médiation entre demandeurs et patrons, par exemple de la gestion des offres de CIE-EP ou de postes fixes et des dossiers de demandes et ce durant les trois premiers mois. Si le jeune est automatiquement inscrit à l’Adem lorsqu’il soumet son dossier à Anelo, il ne sera ni convoqué ni assigné, mais lui-même responsable de sa recherche d’emploi. Ce n’est qu’après cette phase initiale de trois mois qu’il suivra les voies classiques du demandeur d’emploi. L’objectif affiché de cet artifice administratif est d’éviter la « stigmatisation » des jeunes diplômés par l’inscription à l’Adem figurant sur son CV. La non-communication absolue entre le ministère du Travail et l’Adem ces deux dernières années n’a certainement rien arrangé pour la confiance en l’administration publique. Le nouveau ministre veut changer les choses à ce niveau-là aussi et demande à l’Adem de prouver sur ce dossier qu’elle sait agir de manière rapide, non-bureaucratique et efficace. 

Les annonces tonitruantes de la vague de jeunes chômeurs prévue pour cette rentrée a aussi eu un effet pervers : les jeunes – et, davantage encore, leurs parents – sont complètement déstabilisés, désorientés, beaucoup d’entre eux ont la certitude que la seule voie qui puisse les attendre une fois leur diplôme en mains sera le chômage. « Ce n’est pas le moment d’avoir peur ou de paniquer, » rassure pourtant Nicolas Schmit, qui veut faire du dossier une des priorités de son début de mandat, et ce dans toutes les réunions, dont, en premier, celle, tripartite, du Comité permanent du travail et de l’emploi, qu’il a convoqué pour le 20 octobre. Car le gouvernement a beau réformer et mettre à disposition des budgets substantiels (on parle de quelque quatorze millions d’euros), ce ne sont ni le ministère du Travail ni l’Adem qui créent les emplois, mais bien l’économie. « Il est évident que les entreprises doivent participer à l’effort, dit le ministre. Mais nous faisons tout pour que celles qui sont prêtes à s’investir dans ce dossier aient les moyens de le faire. » 

josée hansen
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