Campagne électorale

Binaire

d'Lëtzebuerger Land du 20.09.2013

Badaboum ! Le slogan du CSV est tombé comme une masse vendredi 13 : Fair a stabil – Zesummen fir Lëtzebuerg. Le parti du Premier ministre Jean-Claude Juncker ne vend pas de rêve, pas d’images, pas même celle de son héros incontesté. Mais de la stabilité – donc exactement ce que ses détracteurs lui reprochent ces derniers mois avec un autre terme : son immobilisme. Alors que le LSAP et son jeune candidat tête de liste Étienne Schneider promettent un renouveau, un nouveau départ (et ce même en sortant d’une majorité gouvernementale), et que l’opposition prône le change now ! d’Obama, le CSV se veut un roc. Immuable. Fini le « séchere Wee » de 2009, qui menait au moins quelque part, qui indiquait une marche, un mouvement vers un ailleurs. Aujourd’hui, c’est la stabilité. Dans leurs discours, les dirigeants du parti soulignent d’ailleurs, dans la philosophie toute chrétienne du « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre » (Matthieu 5 :39), que, contrairement à leurs anciens alliés socialistes, ils assument et revendiquent même les achèvements de la dernière, voire des deux dernières coalitions. Cette posture de martyre auquel dieu rendra ses sacrifices au ciel, pourrait marcher auprès de son électorat conservateur, la rédemption attendre aux urnes le 20 octobre. Or, immédiatement, un détournement satirique a circulé sur les réseaux sociaux, à la manière d’une pub Ikea : « Fair & Stabil. Aufsteller. 0,49. Funktional, opportunistisch, Opfer, lackiert ».

Let’s go viral ! Alors que les grands partis se sont engagés, dans leur accord du 30 juillet, de ne commencer la campagne électorale à proprement parler que lundi 16 septembre, et en plus de ne dépenser que 75 000 euros en frais de campagne, il faut être cette fois particulièrement inventif et vif pour se faire entendre. Le Parti Pirate maîtrise (forcément) le mieux les nouveaux médias et tire profit de leur immédiateté : en parallèle aux affiches poussant le culte de la personnalité de leur président Sven Clement à outrance, et en même temps que les spots électoraux DIY entièrement faits par leur propre équipe, et qui prônent notamment la protection de la vie privée et une plus forte participation des jeunes à la vie politique, ils montrent les making of sur Facebook, les tournages en train de se faire, les gaffes, les fous-rires et les ratés. Ça coûte trois sous, mais c’est efficace auprès de leur public-cible. Que les teasers montrant leurs candidats en train de lire aux toilettes (petite transgression prépubère classique)choque quelques internautes n’est que l’effet voulu.

Les Verts, paniqués par l’arrivée des Pirates, dont ils craignent qu’ils leur volent l’électorat jeune et branché, misent également fortement sur Facebook et les réseaux sociaux, créant un storytelling autour des thèmes avec lesquels on est censé identifier le parti écologiste : protection de la nature, énergie, mobilité, garde des enfants et école. Leur campagne est dans la lignée de celles des dernières campagnes : un monde moderne, coloré, avec des gens heureux – l’héroïne de leur clip est une mère qui travaille –, dans un environnement verdoyant et florissant (de tournesols).

#Fail Or, les socialistes prouvent que la campagne virale peut aussi parasiter la campagne officielle. Là où le parti et le candidat tête de liste se font conseiller par une ribambelle de consultants, agences de publicité et de design, construisant l’image d’un Étienne Schneider dynamique, sûr de lui et volontariste, qui a « Loscht op muer », le clip musical du Spic (Socialistes pour l’intégration et la citoyenneté), leur section des non-Luxembourgeois, torpille l’image de sérieux et de modernité mis en place à grands frais d’affiches, de logos inoffensifs (la rose socialiste n’est plus qu’un vague souvenir) et de gadgets au design plaisant et arrondi (au sens propre du terme). Dans cette vidéo, on voit le président du parti Alex Bodry, le député Marc Angel et la candidate Cécile Hemmen chanter à tue-tête une version adaptée de l’Internationale, et quelques jeunes candidats visiblement irrités affublés d’instruments superflus se dandiner dans un studio à la mode karaoké. Le clip a immédiatement créé le buzz sur Internet, provoquant des dizaines de commentaires moqueurs sur la honte que provoque la chanson. Bob Geldof repassera.

Photoshop & Shutterstock En Allemagne, le FDP avait créé le scandale en août, en pleine campagne, quand il s’est avéré qu’il utilisait exactement les mêmes images d’une famille heureuse faisant du vélo que l’extrême-droite du NPD (et qu’une marque de fromage blanc, mais ça,...). Au Luxembourg, on n’en est pas encore là, même si le CSV et le PID de Jean Colombera utilisent exactement le même gimmick bon marché de textes flottants dans l’image dans leurs clips. Mais le DP se faisant consulter par deux agences berlinoises – Fischer-Appelt, qui prétend être « la meilleure agence allemande », et la directrice artistique Anna Weil –, se rapproche d’une esthétique qui se veut moderne et dynamique, mais est surtout quelconque et interchangeable. D’ailleurs Anna Weil travaille aussi pour les Verts et les socialistes allemands, tellement son esthétique est idéologiquement neutre.

À l’ère de Photoshop, tous les candidats sont jeunes, beaux, bronzés et... entièrement fake sur les affiches. À l’ère de Shutterstock, ce gigantesque stock de photos d’illustration bon marché qui polluent la presse quotidienne, tout se ressemble : les images sont aseptisées, générales, sans rapport trop visible avec une réalité vécue. Au lieu de poser devant la silhouette de Belval, la place financière du Boulevard royal, une ferme réelle ou le quartier européen du Kirchberg, les personnages idéaux du DP sont en mouvement devant des murs anonymes avant de lancer leurs revendications comme des bulles de bande dessinée. Seul l’homme providentiel Xavier Bettel, apparaissant à la fin dans la posture du coup de main inespéré (la main invisible du marché ?), inscrit leur spot dans le contexte luxembourgeois.

Il n’y aurait « kaum etwas, das den Zustand einer Gesellschaft, oder einer Nation, so treffend wiedergibt wie die Plakate einer Wahlcampagne », écrit Georg Seeßlen dans une brillante analyse de la campagne allemande (Jungle World du 12 septembre). Et d’estimer que les campagnes électorales sont un des seuls moments où le monde du haut et le monde du bas d’un parti, les mandataires candidats richement payés et les militants de base bénévoles, se rencontrent, lorsque les affiches doivent être collées. Les murs FB des partis luxembourgeois regorgent de photos amateures où un député et des soldats inconnus placardent côte à côte pour la bonne cause.

JCJ Looking At Things On savait que la situation était grave, que le CSV ne veut vraiment pas faire de gaffe dans sa communication lorsque le Premier ministre lui-même est descendu dans la rue durant quelques heures, distribuer des oranges au peuple le jour de la Braderie à Luxembourg. Depuis lors, et en attendant que commence son roadshow Juncker on tour début octobre, il se présente comme proche du peuple en allant « sur le terrain », visiter des entreprises – une laiterie, une entreprise industrielle – et des services de l’État, comme la police. À chaque fois, les administrateurs de sa page Facebook officielle postent des images de lui si proche des gens, de préférence affublé d’un costume spécial et un peu ridicule. Ce qui constitue un bel album type Kim Jong Il Looking At Things, une page Internet qui se moque du dictateur nord-coréen impassible, comme pétrifié, lors de ses visites. Le Premier ministre luxembourgeois, aussi ingénu dans tout ce qui est nouveaux médias que l’avoua être sa collègue Angela Merkel cet été (#Neuland), ne sait probablement même pas quelle histoire son parti raconte avec lui.

josée hansen
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