Transactions virtuelles

Foisonnante blockchain

d'Lëtzebuerger Land du 06.01.2017

La Chine vient d’annoncer la création d’un fonds fintech de dix milliards de yuans (quelque 1,44 milliard de dollars) pour développer le big data, l’intelligence artificielle, le cloud computing, les paiements mobiles, le financement des chaînes d’approvisionnement et… la blockchain. Sans aucun doute, la blockchain, la technologie qui sous-tend le bitcoin mais a été inventée indépendamment de celui-ci, est une des coqueluches du moment. Un peu partout dans le monde, de peur de rater le prochain grand tournant technologique, banques, assurances, grands groupes industriels et gouvernements se penchent sur le potentiel qu’elle recèle en termes de désintermédiation ou de réduction des coûts de transaction.

Toute cette agitation et les descriptions souvent lapidaires qui sont faites de la blockchain pourraient donner l’impression qu’il s’agit d’une technologie monolithique. Il n’en est rien. L’univers de la blockchain est particulièrement mouvant et foisonnant, et rien ne semble y être définitif – si ce n’est l’enthousiasme de ses intervenants. Les explorations et débats qui accompagnent cette recherche de nouvelles formes de la blockchain font appel pour partie à des considérations hautement techniques, notamment pour ce qui est d’assurer la sécurité des avoirs monétaires ou des transactions qui y sont logées. Mais en même temps, il y est aussi largement question de gouvernance : loin de vouloir confier la résolution de problèmes au seul code, les communautés de développeurs cherchent à établir dès le départ des règles du jeu fiables pour les futures résolutions de conflits. Les développeurs de nouvelles implémentations cherchent désormais à intégrer cette capacité d’évolution dans leurs structures d’origine, visant le meilleur compromis entre sécurité et formation de consensus. Dans A Proof of Stake Design Philosophy, un papier remarqué publié il y a quelques jours sur medium.com, Vitalik Buterin, le fondateur d’Ethereum, donne un aperçu des interrogations qui agitent les milieux de la blockchain. Avec, en filigrane, une dimension éminemment politique : celle de la cryptographie comme ultime ligne de défense de l’individu et de ses données face aux intrusions étatiques, approche que Buterin fait remonter à l’esprit « cypherpunk ».

Cela commence par le choix d’un mode de minération et/ou d’authentification. Les blockchains de Bitcoin et d’Ethereum sont aujourd’hui fondées sur la méthode dite « proof of work », robuste mais absurdement dispendieuse en termes de coût et d’énergie en ce qu’elle mesure la quantité de puissance de calcul engagée pour authentifier un bloc. La communauté Ethereum espère d’ici quelque temps passer à la méthode dite « proof of stake », qui authentifie les nouveaux blocs comme étant ceux sur lesquels les collatéraux les plus élevés sont engagés, et considérablement plus frugale.

Mais ce n’est que le début de la discussion. Buterin cite trois types de proof of stake : le « naïf », le « délégué », et « Casper », ce dernier étant celui qu’il espère voir bientôt mis en œuvre pour Ethereum. Il s’agit de différentes méthodes pour contrecarrer le risque d’une prise de contrôle de la blockchain par des opérateurs mal intentionnés, en prévoyant comment les participants peuvent répondre à l’existence de chaînes divergentes (situation dite de « fork », ou bifurcation). Quel niveau de centralisation (envisagée pour accélérer l’authentification des transactions et partant les transactions elles-mêmes) est souhaitable ou acceptable ? En cas de chaînes divergentes, quels sont les critères à retenir pour établir où se situe le consensus au sein de la communauté des utilisateurs ? Buterin met en garde contre la tentation d’accorder trop d’importance à la rapidité d’exécution, qui aboutit selon lui à une centralisation du réseau et entraîne d’importants risques systémiques. D’autres discussions portent sur le niveau d’anonymat offert par la blockchain, ou encore sur son caractère public ou privé. Mieux vaut le savoir avant de s’y engager : l’univers de la blockchain est appelé à se réinventer en permanence, tout en accueillant de plus en plus de nouvelles applications.

Jean Lasar
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