Après la pluie

Avant ou après la pluie

d'Lëtzebuerger Land vom 22.02.2001

Les yeux s'arrêtent sur ce décor si étrange qui évoque cependant la réalité des grandes villes. La scène a été magistralement allongée, approfondie, écartée et renversée. Nous avons devant nous une sorte de building, nous l'avons reconnu à ses innombrables fenêtres : quarante, 46, non il y 49 étages en tout. Cette ambiance de ville nous est très vite confirmée - dès le début de la pièce en fait : ces klaxons infernaux et puis ces bouffées de gaz d'échappement ...virtuels. 

Rapidement propulsés dans un monde sans pitié (pour les fumeurs), celui d'une grande entreprise, nous, c'est-à-dire les spectateurs, nous allons vite comprendre qu'il s'agit d'une sorte de farce autour de l'impitoyable quotidien de celles et ceux qui travaillent ensemble, dans la plus stricte promiscuité. Apparaissent des personnages apparemment névrosés que trois choses rejoignent pleinement : les cigarettes, le boulot et le vertige de leur vie.

C'est ainsi que commence la mise en scène d'Après la pluie de Sergi Belbel par Marc Olinger. Cette pièce, à l'origine, a été créée en langue catalane, son auteur Sergi Belbel étant  Catalan. La présentation du théâtre de Belbel au Théâtre des Capucins est le fruit d'une traduction entreprise par Jean-Jacques Préau. Il est important d'aborder la question de la traduction, car il paraît évident que celle-ci soit inégale. Mais il semble également qu'à cela une explication doit être ajoutée : ainsi, au fil des répliques le français se scinde en deux, un français chaste d'un côté et un français parlé de l'autre et ce dans des ensemble de phrases. Et tout ce petit mélange alourdit les échanges entre les comédiens et dérange sincèrement l'oreille. 

Pour ce qui est de la prestation des comédiens justement, là aussi une chose bizarre survient, explicable cependant par l'excitation de la fameuse « première » de la pièce. Au début, il est vrai que l'on est fortement intrigué par ces têtes qui apparaissent à tour de rôle et qui fument et qui tchatchent, mais il y a un moment où on commencerait presque à se lasser. Et à peine entré dans cet état de presque ras-le-bol, les personnages subitement se mettent à exister réellement. Les jacasseries insupportables des quatre secrétaires se transforment en introspections plus profondes. La fin de la pièce s'accélère, s'allège et ce n'est qu'à ce moment précis qu'on est tenté de se dire : coucou les gars et pourquoi pas avoir fait ça avant ? 

Mais décortiquons juste un peu cette problématique, le sujet d'Après la pluie. Peut-être une banque ou bien une de ces fameuses boîtes de consulting, interdiction formelle d'allumer toute chose susceptible de ressembler à une cigarette. Cette situation vire pour certains au cauchemar et pour d'autres elle crée probablement l'envie de toucher à l'interdit (je pense ici au programmeur informaticien de cette pièce). Et comment se débrouille ce petit monde pour surmonter cette cruelle interdiction ? Il grimpe sur la terrasse, en petits groupes pour se griller ces maudites clopes. Et là naissent des histoires amoureuses ou haineuses, sont dévoilés des secrets abominablement superficiels ou cruellement vicieux. Tout cela sur un espace restreint, qui par son hauteur implique forcément des crises aiguës de vertige. 

Mais la pluie dans tout ça ? allez vous vous demander. Eh bien, ces quelques moments de la vie de ces gens se déroulent après ou avant la pluie, c'est selon comment on voit ce petit délire.

En résumé, un moment de théâtre quelque peu inégal qui révèle cependant une effroyable vérité sur le notre quotidien professionnel et qui permet de souligner le talent de quelques acteurs comme Nicole Max ou Isabelle Bonillo ainsi que celui de Christoph Rasche pour un décor tout juste sorti d'un film que tout le monde n'a pas forcément apprécié. Batman, ça vous dit quelque chose ? En tous cas au théâtre ça fait de l'effet.

 

Après la pluie de Sergi Belbel, traduit par Jean-Jacques Préau, mise en scène : Marc Olinger, assisté de Silvana Pontelli ; décor : Christoph Rasche, costumes : Ulli Kremer ; production : Théâtre des Capucins ; avec : Frédéric Frenay, Jean-Louis Maréchal, Valérie Bodson, Véronique Fauconnet, Marie-Pierre Mouillard, Nicole Max, Hervé Sogne et Isabelle Bonillo ; dernière représentation ce soir à 20 heures ; téléphone pour réservations : 22 06 45

 

Karolina Markiewicz
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