Directive sur l'aménagement du temps de travail

Chicken Game

d'Lëtzebuerger Land vom 20.11.2008

Les deux directives « n’affectent nullement le droit positif actuel duLuxembourg » avait fermement assuré le ministre luxembourgeois duTravail et de l’Emploi, François Biltgen (CSV), en réponse à une question parlementaire du député socialiste Romain Schneider en juin dernier. 

Au lendemain de l’accord à l’arraché sur le projet de réforme de la directive sur l’aménagement du temps de travail, trouvé par le Conseildes ministres européens du Travail et de l’Emploi, le secrétaire généraldu LSAP l’avait interrogé avec des formulations sibyllines pourquoi leLuxembourg avait voté pour le projet de directive alors même que « Monsieur le Ministre avait déclaré qu’il s’agit d’un mauvais compromis ». 

La réforme de la directive sur le temps de travail est discutée depuis cinq ans, le Parlement européen l’avait adoptée en première lecture en mai 2005 déjà. Mais comme le texte est soumis à la procédure de codécision, le Parlement européen et le Conseil des ministres doivent trouver un accord commun pour qu’il puisse entrer en vigueur. Depuis trois ans, plusieurs amendements ont modifié le projet, dont au moins trois de ceux adoptés par les ministres en juin ont fait bondir la Confédération européenne des syndicats, qui met en garde devant une dégradation dramatique des acquis sociaux en Europe.

En cause notamment le principe de base d’une durée légale harmoniséedu temps de travail en Europe, à 48 heures maximum. Au Luxembourg,elle est actuellement de 40 heures, en France de 35 heures. Mais ce plafonnement à 48 heures constituerait néanmoins une avancée considérable pour ceux des pays membres qui n’en ont aucun actuellement. Or, face à la pression britannique notamment, les ministres ont accepté en juin le prolongement d’une clause dite « opt out », qui permettrait donc à un pays membre de ne pas se soumettre à cette limitation de la durée légale du travail. Tout en vendant cette clause comme une victoire partielle, car la durée légale de travail serait néanmoins strictement encadrée et ne pourrait en aucun cas dépasserles 60 ou 65 heures par semaine (selon la période de référence), alorsqu’actuellement, des semaines de plus de 72 heures seraient possibles.

« Le gouvernement luxembourgeois est d’avis qu’il ne faudrait aucune possibilité ‘d’opt out’ dans ce domaine – c’est une hérésie, » affirme le ministre François Biltgen face au Land. Mais pourquoi a-t-il alors soutenu l’accord de juin ? « Nous voulions aider à trouver un compromis sur les deux directives, explique le ministre. Et puis, la Commission avait annoncé que faute de compromis au niveau du Conseil des ministres, elle retirerait son projet de réforme. Ce qui nous aurait fait retomber sur la directive actuelle, qui n’assure aucune protection sur ce plan ! »

En fait, les négociations sur la directive Aménagement du temps de travail est un bel exemple de comment fonctionnent les rouages, les pressions politiques et les blocages européens. Tout y est tactique : négociant les deux directives – celle sur le temps de travail et celle sur le droit des travailleurs intérimaires – conjointement, les ministres espéraient ouvrir des échappatoires aux plus réticents dans les deux domaines. Ainsi, les concessions sur le plafonnement de la durée maximale du temps de travail faites aux Britanniques et autres pays libéraux, comme la Pologne, devaient leur arracher un accord sur ledroit des intérimaires. Cette deuxième directive est effectivement passée; dès son entrée en vigueur elle accordera à un employé intérimaireexactement le même salaire et les mêmes droits que la personne qu’ilremplace, et ce dès le premier jour.

Mais le Parlement vient de reprendre la directive temps de travail surle métier – et a complètement désavoué les ministres et leur accord dumois de juin, faisant même titrer Le Monde (du 8 novembre) : « Les eurodéputés en guerre sur le temps de travail ». Car trois jours plus tôt, le 5 novembre, une majorité écrasante de députés européens réunis à laCommission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen(35 voix pour, treize contre et deux abstentions) a adopté le rapport deleur collègue socialiste espagnol Alejandro Cercas. Le rapport Cercas propose des amendements fondamentaux sur des points essentiels du projet de directive, en ne prolongeant la possibilité de « l’opt out » que durant une période de transition de 36 mois, période après laquelle la durée maximale du travail serait de 48 heures hebdomadaires maximalespartout en Europe. 

En outre, les députés européens insistent sur le fait que le temps de garde, du personnel médical par exemple, doit être considéré comme dutemps de travail – les ministres avaient voulu faire une différence entre périodes actives et périodes inactives – et insiste sur le fait que les périodes de repos compensateurs doivent être prises immédiatement après les périodes de services (par exemple dans les cas où celles-ci n’avaient pas été entrecoupées de repos normaux sur une période de référence plus longue). Le troisième amendement essentiel concerne les travailleurs liés par plusieurs contrats de travail à temps partiels : selon les députés, le temps de travail hebdomadaire maximal plafonnerait la somme de tous ces contrats à 48 heures – il serait donc lié à la personne et non au contrat. 

Le rapport Cercas inflige un camouflet aux ministres, non seulement parl’engagement social de ses amendements, mais aussi par son argumentaire clair, concis et univoque, comme : « As co-legislators, the Council and Parliament must abide by the Court of Justice case and respect the dignity of the work of persons who are on call » (sur la question des temps de garde) ou, encore plus laconique : « To ensure that the reference to reconciling work and family is not empty rhetoric » (sur un amendement accordant aux travailleurs le droit d’initiative de demander une modification de leurs horaires afin de pouvoir concilier vie familiale et professionnelle). 

Depuis cet accord des parlementaires sur les amendements, les syndicats européens triomphent, relayés par la gauche européenne.« J’ai soutenu depuis le début mon ami Cercas et je continue à soutenirla ligne défendue par le rapporteur et la Commission des Affaires sociales du Parlement européen, » affirme par exemple le député socialiste luxembourgeois Robert Goebbels.

Les syndicats OGB-L, FNCTTFEL et LCGB se fendent même d’un communiqué commun, dans lequel ils promettent de ne pas baisser la pression politique au grand-duché comme en Europe, afin que le mauvais compromis politique de l’été dernier soit définitivement aboli. Le Parlement européen doit adopter un texte définitif le 16 décembre ;les ministres se réuniront le lendemain, le 17, afin de rediscuter leurposition – seul l’accord des deux acteurs sur un même texte permettraitson entrée en vigueur. Mais déjà, la conciliation ne semble plus exclue.

Les plus sceptiques des politiques toutefois espèrent qu’un accord puisse être trouvé avant la fin, en décembre, de la présidence française, réputée plus sociale que ses successeurs tchèques. « 2008 doit être l’année du redémarrage de l’Europe sociale » aime d’ailleurs à affirmer le ministre français du Travail, Xavier Bertrand. D’ici-là, les syndicats européens continuent leur lobbying, avec une grande manifestationà Strasbourg prévue le jour du vote en séance plénière. 

Si l’histoire de la directive sur l’aménagement du temps de travail étaitun cas de figure, on serait donc dans un schéma dans lequel le Parlementeuropéen serait nettement plus à gauche que les conseils des ministressur les questions sociales. « Il est évident que le Parlement européenest un vrai allié dans le domaine de la politique sociale, » estimel’eurodéputé vert Claude Turmes. Il vient d’ailleurs de déposer unemotion invitant les eurodéputés et le gouvernement luxembourgeois àse prononcer contre le principe de « l’opt out ».

François Biltgen aimerait voir sa stratégie comprise de la même manière : « Le Parlement avait eu l’occasion de donner un premier avis sur le projet de directive. Or, les ministres n’ont donné leur premier avis qu’enjuin. Après cela, nous voulions que le Parlement reprenne la balle aubond, qu’il entre à nouveau dans le jeu ! » Avec, comme il l’affirme, l’espoir que grâce à cette procédure de conciliation, le texte prenne une dimension de plus en plus sociale.

Mais pourquoi le Luxembourg ne s’est-il alors pas tout simplement abstenu lors sur vote de juin, comme l’ont fait des pays comme la Belgique, le Portugal ou encore la Hongrie, qui, sans bloquer le processus, ne voulaient néanmoins pas soutenir un compromis jugé mauvais ? Pour le ministre luxembourgeois, il s’agissait tout simplement de trouver un équilibre afin d’arracher un accord sur les autres points – pour cimenter sa thèse, il n’hésita d’ailleurs pas à joindre un article de la revue Europolitics à sa réponse à la question de Romain Schneider, article selon lequel cet accord était « du grand art de négociation européenne ». Or, comment faire comprendre qu’un ministre vote oui, mais pense non ? Et demande ensuite aux députés européens de redresser le tir ?

Car tout le monde n’a pas forcément la verve sociale ou estime quetravailler plus est forcément une dégradation de la qualité de vie. Aussibien au niveau du Parlement européen qu’au Luxembourg, les libérauxsont ainsi des défenseurs d’une augmentation de la durée du travailhebdomadaire.« Mais il faudrait que cela se fasse sur une base volontaire, » insiste le député de la Chambre luxembourgeoise Alexandre Krieps. Pour lui, il y a un réel danger que l’Europe perde en compétitivité si les entreprises ne pouvaient pas s’assurer une plus grande flexibilité des horaires. « Et puis nous constatons que les gens ne se plaignent pas forcément de travailler plus, dit-il. Ce qui les intéresse vraiment, c’est de gagner plus ! »

À Strasbourg, Erna Hennicot-Schoepges (CSV) ne partage pas cet avis: « Nous ne devons pas retomber au XVIIIe siècle, avec des conditions de travail inacceptables ! » met-elle en garde. Avant de concéder que les situations actuelles dans les pays membres sont si différentes qu’il faut faire des concessions à l’un ou l’autre, « mais ‘l’opt-out’ est une solution de facilité choisie pour arriver à un accord » estime-t-elle. Si même les politiques luxembourgeois n’ont pas la même approche, les débats risquent d’être houleux d’ici la mi-décembre.

Au Luxembourg, les discussions sur le travail dominical et la flexibilité des heures d’ouverture des magasin, qui rejaillissent chaque fin d’année, n’en sont qu’un avant-goût. D’autant plus qu’actuellement, plus de 2 200 personnes sont déjà forcées de travailler moins, et de gagnermoins, leurs entreprises ayant demandé le chômage partiel.

josée hansen
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