Mobil Home

Osons !

d'Lëtzebuerger Land du 31.08.2012

« Toi, t’as jamais rien décidé de ta vie ! » Quand l’ex de Simon le vire avec ses clics et ses claques, il reste perplexe. Faut dire qu’il est vraiment paumé dans la vie, Simon (Arthur Dupont), complètement à l’Ouest. Car c’est bien lui qui a quitté sa copine, persuadé qu’il n’est pas fait pour vivre en couple. Alors il se retrouve chez ses parents, dans un petit pavillon bourgeois lové dans un village coquet dans les Ardennes. Au trou du cul du monde en gros. Il doit avoir trente ans, et il se retrouve chez ses parents, avec une mère surprotectrice (Claudine Pelletier, très juste) – la scène où elle lui refait un ourlet sur la table de cuisine à cinq heures du matin, alors qu’il vient de rentrer d’une virée nocturne est géniale – et un père hyperchiant.

Heureusement qu’il y a Julien (Guillaume Gouix), son meilleur ami d’enfance, qui vit à deux pas dans une ferme délabrée, soignant son père reconvalescent et veuf, au regard de chien battu. Julien rêve de retaper la grange et de s’y installer dans un grand loft qu’il construirait tout seul de ses deux mains. Un rêve aussi illusoire que celui de Simon de vivre libre et indépendant. C’est alors qu’ils se souviennent de leurs rêves de jeunesse, de quand ils étaient encore étudiants, avaient leur propre groupe et attendaient juste d’être découverts pour partir en tournée internationale. Qu’à cela ne tienne, voulant prouver leur indépendance, ils cassent leur tirelire et s’achètent un mobile-home, un « truc de Néerlandais » comme les charient leurs amis, et, après quelques repérages sur Google Earth, se lancent à faire leur tour du monde.

Enfin, pas tout de suite. Car après quelques kilomètres de course-poursuite effrénée pour échapper aux parents de Simon, le mobile-home est accidenté. Peu importe, les deux amis se retrouvent à habiter dans leur petit chez-soi sur le parking du garage, le temps de gagner l’argent pour financer la réparation de l’engin. Ils entament alors un beau périple – qui fait du surplace.

Mobile Home, coproduit au Luxembourg par Donato Rotunno et Tarantula, est le premier long-métrage du réalisateur belge François Pirot, qui en a également écrit le scénario (après avoir coécrit des films de Joachim Lafosse, notamment Nue propriété). Davantage qu’un road-movie, c’est un film sur l’entrée dans l’âge adulte, cette période charnière où il faut faire des choix dans la vie, décider de quitter le domicile des parents, trouver un emploi et sa voie – la période que tous les jeunes décrivent comme la plus difficile de leur existence.

Simon et Julien sont très intimes et très différents à la fois, le premier est plus extroverti, excentrique, c’est le loser des deux, alors que le deuxième est plus sensible, attentif aux autres, taiseux. Les deux ont du mal à se lancer, à savoir ce qu’ils veulent. Vivre sur un parking à « faire des mottes » dans une sapinière, travail pour lequel ils sont payés à la pièce, se laisser porter au gré des rencontres, ça leur va très bien – durant quelques jours. Mais après ?

Mobile Home est un film très belge de par ses décors bien sûr, ces maisons délabrées perdues dans la nature, ces villes tristes et grises noyées dans le trafic, mais aussi par ses ambiances et ses dialogues proches du mutisme. C’est un film sur le surplace, la peur de grandir et la nécessité d’abandonner ses rêves d’adolescent et d’affronter ses échecs. « Pour une fois, il n’y aura pas de morts, de viols, de pédophilie et de violence dans un de nos films, avait rigolé Donato Rotunno lors de la présentation presse du film. C’est juste une comédie dont j’espère qu’elle vous fera rire. » Oui, mais une comédie sensible, qui sonne juste et dans laquelle beaucoup de jeunes adultes se reconnaîtront, ce qui explique son succès en salles et aux festivals, comme à Locarno ou à Angoulême, où il vient de recevoir des prix.

josée hansen
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