Chronique Internet

Les amendes n’ont plus prise sur Facebook

d'Lëtzebuerger Land vom 19.07.2019

Lorsque la Commission fédérale du commerce (FTC) a voté sur les sanctions à infliger à Facebook suite au scandale retentissant des données personnelles transmises à Cambridge Analytica, ses membres républicains ont fait pencher la balance, par trois voix contre deux, en faveur d’une amende de l’ordre de cinq milliards de dollars, qui doit encore être confirmée par le ministère de la Justice. Un record pour une entreprise technologique. Le sénateur démocrate Mark Warner a tempêté contre cette décision : « Compte tenu des violations répétées de Facebook en matière de données personnelles, il est clair que des réformes structurelles de fond sont requises. La FTC étant soit incapable soit réticente lorsqu’il s’agit de mettre en place des garde-fous raisonnables, il appartient désormais au Congrès d’agir. » Un autre démocrate, le sénateur Ron Wyden, a abondé dans son sens : « Malgré les promesses des Républicains de demander des comptes aux grands groupes technologiques, la FTC semble avoir lamentablement échoué lors de la meilleure occasion qu’elle ait eu de le faire ».

Pour mémoire, suite à une première série de déboires, Facebook avait conclu en 2012 un accord (« consent decree ») avec les autorités américaines pour encadrer ses pratiques en matière de protection des données. L’enquête qui a abouti à cette amende record a été ouverte après les révélations faites en mars 2018 par la journaliste Carole Cadwalladr sur l’affaire Cambridge Analytica, qui portait sur quelque 87 millions d’utilisateurs du réseau social.

Ainsi, Facebook échappe lentement mais sûrement au contrôle des législateurs. Après l’annonce de cette sanction par le Wall Street Journal et le Washington Post, l’action de Facebook a bondi, augmentant la capitalisation de boursière de l’entreprise de quelque six milliards de dollars. Les marchés financiers craignaient des sanctions plus

conséquentes – plus spécifiquement une remise en question des acquisitions de WhatsApp et d’Instagram – et les investisseurs, soulagés, se sont rués. En d’autres termes, une décision censée punir Facebook pour le mépris dont elle a fait preuve envers ses utilisateurs a fini par enrichir son patron et principal actionnaire Mark Zuckerberg. Il suffira d’un tiers du bénéfice engrangé par son groupe au 1er trimestre 2019 pour payer la pénalité adoptée dans le cadre du« settlement » (compromis). Selon le New York Times, « aucune des conditions dans le compromis ne restreindra la possibilité de Facebook de collecter et de partager des données avec des tiers ».

Dans le Guardian, John Naughton, professeur pour la compréhension publique des technologies à l’Open University, sonne l’alarme : face à la profitabilité outrancière des géants de la technologie, les amendes ne suffisent plus à elles seules. « Les régulateurs doivent frapper là où ça fait mal. Dans le cas des deux principaux acteurs du capitalisme de surveillance, Google et Facebook, cela signifie adopter une approche de large spectre. Il n’y a pas de remède miracle. » Et de proposer le dispositif suivant : « Les régulateurs doivent se concentrer sur la capacité de ces compagnies à aspirer et à monétiser les données qu’elles extraient des comportements en ligne de leurs utilisateurs. Comme une grande partie de ces données ont été accumulées dans un contexte illégal (ou à tout le moins non régulé) et constituent maintenant leur actif le plus précieux [...] Google et Facebook devraient être obligés à mettre ces données à la disposition d’autres organisations (y compris dans le secteur public) dans des conditions contrôlées. »

En deuxième lieu, Naughton préconise une approche beaucoup plus restrictive en matière d’acquisition pour les géants technologiques. Facebook n’aurait jamais dû être autorisé à s’emparer de WhatsApp et d’Instagram, ni Google de YouTube. Il recommande que les autorités de la concurrence mettent leur nez dans les marchés à haute fréquence d’échanges de données qu’opèrent ces deux géants publicitaires dans la plus grande opacité. Enfin, il appelle à dénoncer leur prétendu rôle en matière de promotion de l’innovation, estimant que leur pratique consistant à acheter de jeunes pousses disruptives avant qu’elles ne parviennent à grandir doit être mise en échec. Autant de mesures nécessaires, selon lui, pour remettre ces organisations sous contrôle démocratique.

Jean Lasar
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