Choucroute royale

La mégère apprivoisée

d'Lëtzebuerger Land du 11.03.2004

Elle est la grande-duchesse de Rédange-sur-Attert, la reine de l'Inouï. Elle vous fait servir du Kaiserschmarrn à tomber et vous installe comme des princes et des princesses dans une salle agréablement éclairée par des bougies, «mais vous savez, une princesse, cela ne sent pas la princesse, et cela n'a même pas le goût de la princesse.» Shlomit Butbul a appris le Luxembourgeois pour Choucroute royale, le one-woman-show qu'elle présente actuellement chez elle, à l'Inouï. Une pièce écrite sur mesure pour elle, avec des chansons que George Letellier a composées spécialement pour elle, mise en scène par Claude Mangen, qui la connaît bien depuis leur aventure commune dans Alice Underground. Et cela lui va comme un gant. 

Le personnage de Shlomit Butbul est une commère, parfois mégère, parfois naïve. Une monarchiste pure et dure, passionnée, qui y croit. «Monarchie ou république, la question ne se pose même pas!» s'offusque-t-elle, car la monarchie serait une sorte de loi naturelle, comme chez les abeilles. Durant une heure et demie, Shlomit Butbul, en robe rouge et or, avec cette invraisemblable coiffure comme une pièce montée et les paupières si noires, nous emmène dans un voyage à travers les secrets du gotha européen. 

Puriste, elle ne veut plus voir le sang bleu de l'aristocratie se mélanger à celui du peuple ordinaire. Elle est comme une petite fille, émerveillée par le protocole, la fortune, le chichi de la noblesse, affectée par leurs malheurs, touchée par leur bonheur conjugal, jalouse du rêve de l'ascension sociale des filles du peuple qui ont épousé un prince. Chez le coiffeur, elle doit lire Gala ou Frau mit Herz, elle connaît les prénoms et les CV de tous les enfants de toutes les maisons royales d'Europe, à la télévision, elle regarde probablement Place Royale ou Stéphane Berne... Mais on l'aime le plus quand elle devient de plus en plus méchante, qu'elle médit, qu'elle se moque, qu'elle plaint ces «pauvres riches».

Jemp Schuster surfe sur la vague monarchiste du moment. Et il s'en moque un peu, mais dans les limites de la bienséance. Il connaît son public, et sait jusqu'où il peut aller, toujours du bon côté du bon goût. On peut se moquer un peu des travers de «ceux là-haut», mais pas trop. Car les gens aiment la monarchie, cela fait toujours vendre. Le personnage de Shlomit Butbul a cette relation ambivalente envers la monarchie que doivent connaître beaucoup de Luxembourgeois, allant faire la queue lors des Joyeuses entrées du nouveau couple grand-ducal, mais se jetant sur le Feierkrop le vendredi pour apprendre les derniers ragots de derrière les coulisses. Jemp Schuster s'est beaucoup documenté sur les cours européennes, des fois, c'est presque trop didactique. 

Mais quand Shlomit Butbul peut jouer, on respire. Quand son tempérament l'emporte, qu'elle fait son innocente mais rêve de décapitation de maîtresses royales infidèles, qu'elle incarne la reine saoule ou nous raconte la vraie histoire de cendrillon, celle qui s'est passée après qu'elle ait épousé son prince, ou quand elle se plaint de la famille luxembourgeoise trop sage - «C'est pas par hasard que Dicks n'a jamais écrit de grand drame royal: Marie-Astrid suffit à peine pour un sketch de trois minutes. Et encore!» - et parodie Maria-Teresa trop ambitieuse, elle est délicieuse. La musique de George Letellier est parfaite pour elle, les changements de rythme et d'ambiance abrupts constituent un véritable défi pour la jazzwoman. L'accompagnement musical d'Eugène Bozetti à l'accordéon est discret mais sensible.

Claude Mangen a mis cette reine de pacotille sur un trône énorme, elle y a l'air d'une môme, il avait déjà filé la métaphore pour Lady Mäcbess à l'époque. Alors Shlomit Butbul doit grimper pour s'asseoir, mais elle peut redevenir petite fille qui se rêve princesse aussi, filer ce rêve du prince charmant et de la vie parfaite que toutes les filles jettent par-dessus bord tôt ou tard. Au plus tard quand elles découvrent que les princes et les princesses sont aussi veules que les autres. 

Choucroute royale, de Jemp Schuster, musique de George Letelier, mise en scène de Claude Mangen, avec Shlomit Butbul, Eugène Bozetti (accordéon) et Joël Seiler (qui assure aussi le maquillage et la technique), costumes: Peggy Würth; produit par Thé Citron [&] Co. Prochaines représentations: les 12, 13, 23, 24 et 25 mars et les 1er, 2, 3, 6, 7 et 8 avril à 20h00, puis reprise en juin. Spectacle en luxembourgeois, entrée 20 euros ; réservations par téléphone: 26 62 02 31, e-mail: inoui@pt.lu; Internet: www.inoui.lu.

josée hansen
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