Photographie

Voir quand même …

d'Lëtzebuerger Land vom 01.05.2020

C’est comme de passer de la lecture des quotidiens sur papier au fil de l’actualité en ligne : Il n’y a quasi plus de report dans le temps possible – rattraper la lecture des journaux, paresseusement, le dimanche, est devenu un plaisir rare, réservé aux réfractaires du numérique et – l’auteur de ces lignes se permet, en ces temps moroses un clin d’œil aux inconditionnels du Lëtzebuerger Land papier – que le facteur dépose rituellement le vendredi dans leur boîte aux lettres...

En cette période étrange de « monde flottant », dans les creux d’un emploi du temps bouleversé, on peut se soigner de l’addiction au fil de l’actualité angoissante par la beauté : l’hédonisme est un excellent médicament ! On en donne ici la preuve, toutes les institutions culturelles étant fermées depuis le confinement, avec l’exposition temporaire actuelle du Musée national d’histoire et d’art (MNHA).

L’institution donne la possibilité de visiter virtuellement Brushed by light de la photographe néerlandaise Carla van de Puttelaar. Évidemment, comme le passage de la lecture papier à la lecture numérique, l’approche virtuelle du grenat des velours, du jaune des brocards, des cartes du Tendre que dessinent les grains de beauté de la peau, la douceur du toucher par la rétine qui s’approche au plus près des fourrures pour de vrai, est perdu, comme le rendu du support des tirages photographiques. On ajoutera que Brushed by light se visite mieux sur sa tablette ou son ordinateur que sur smart phone, dont la taille du petit écran est déconseillée.

On suit, de salle en salle, la mise en espace de l’exposition, avec un arrêt à volonté sur les photographies qu’aura envie de regarder longuement ou on balayera une série, goûtant l’essence du travail de l’artiste, qui a voulu se faire côtoyer tels portraits, matières, couleurs.

Brushed by light, c’est un titre on ne peut plus adéquat pour ces photographies-tableaux : Carla van de Puttelaar, née en 1967 à Zaandam aux Pays-Bas a étudié à la prestigieuse Rietveld Academie d’Amsterdam dans les années 1990. Son travail photographique est réalisé uniquement à la lumière du jour. Dans cette rétrospective monographique (où on verra des œuvres qui rendent hommage aux maîtres du Siècle d’Or néerlandais mais également des œuvres moins historicisantes, voire résolument féministes) le MNHA présente 78 œuvres et cinq vidéos, que l’on visite, grâce au maniement que permet un petit plan 3D au bas de l’écran pour s’orienter dans les salles de l’exposition.

Carla van de Puttelaar fait poser des très jeunes femmes pour la plupart à la chevelure rousse ou blonde, le corps drapé de tissus le plus souvent blancs, dont les plis et le tombé ont, on suppose, été raidis par un passage dans un bain d’amidon, ce qui accentue les contrastes d’ombre et de lumière par endroits comme entre le noir et le blanc. Les corps donc, sujet principal de ces portraits : d’aucuns ont un côté « odeur de sainteté ». Carla van de Puttelaar rend pour l’exposition du MNHA, un hommage au peintre flamand spécialisé dans la peinture d’église Van Loon, exposé il y a quelques mois de ça au Fëschmaart. D’autres dégagent assurément l’érotisme des héroïnes fatales, telle la Judith dans le récit biblique, ou encore rappellent des destins amoureux contrariés (un entrelacs de fleurs rappelle les chastes amours d’Héloïse et Abélard).

La pâleur de la peau typique des rousses accentue l’artefact du travail de Carla Van de Puttelaar, même si le contraste, parfois dans une pose à deux de corps plus ambrés, nous fait revenir à la contemporanéité du métissage. Car cette exposition, et le travail de l’artiste, n’est pas exclusivement rattachée à la lignée des maîtres du Siècle d’Or flamand. L’excellent éclairage que rend bien la visite virtuelle y est aussi pour beaucoup.

L’exposition Brushed by light, de Carla van de Puttelaar est à voir en ligne sur le site du MNHA (mnha.lu)

Marianne Brausch
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