Buraglio, Brandy et Momein

Triplette

d'Lëtzebuerger Land du 20.01.2017

On passe, une fois n’est pas coutume, et pourtant chose pas si surprenante, du sport à l’art, football ou rugby pour les avants, pétanque, en l’occurrence ils sont simplement trois à se partager la galerie Bernard Ceysson, au Wandhaff. Et il s’est avéré bien difficile autrement de les mettre sous une même étiquette. À moins de reprendre le titre que Pierre Buraglio a donné à sa partie de l’exposition, …le maintenant avec un jadis et un lendemain…, pour dire que des œuvres sont là, s’échelonnant sur près de quarante années, un laps de temps un tout petit peu moindre pour celles de Robert Brandy, une dizaine, pas plus, pour Nicolas Momein, il est vrai, le cadet dans l’affaire, né en 1980.

Trois expositions en une donc, où le visiteur est en premier confronté aux dernières réalisations de Robert Brandy, notamment deux grandes toiles, de 2014 et de 2016, la dernière surtout, avec sur fond écru, beige clair jaunâtre, des voiles ou traînées de couleur bleue, avec tel rouge orangé, et la peinture qui se répand, passe en coulures, « un événement a lieu », écrit Jean Sorrente, allant jusqu’à l’interpréter comme « une heureuse épiphanie ».

D’autres œuvres récentes (elles sur papier) ont allure de paysages de belle densité, ou d’un dramatisme certain, alors que des toiles, de taille plus réduite, reviennent à l’intégration, toute libre, d’un objet, d’un morceau de bois. Et entretemps, en opposition, ou plutôt en continuation chronologique, le regardeur aura suivi tels moments, telles étapes du cheminement de l’artiste, ses différentes façons, plus réduites des fois, plus foisonnantes ailleurs, plus mouvementées ou plus construites, de se colleter avec la toile ou le papier ; mais le mot n’est pas exact, tellement l’impression donnée n’est jamais celle d’une lutte. Il serait tout aussi faux de vouloir ramener les choses à des jeux, aussi intenses soient-ils.

Dans le fouillis des objets où il s’agit maintenant de se frayer un chemin, ou maintenons le terme de sculptures, plus d’une soixantaine, de Nicolas Momein, le caractère ludique est plus accentué. Et peu importe qu’ils soient simplement posés par terre, sans socle, qu’ils soient accrochés au mur, qu’ils pendent du plafond ; ils attachent presque toujours par leur matérialité, par la couleur. S’il ne faut pas trop faire attention aux titres, en général, une note poétique existe parfois ; là, cependant, on est surpris, l’un ou l’autre objets sont dits « secs », or, rien n’est plus étranger à cet art que la sécheresse, jusque dans leur apparente simplicité il est de la luxuriance.

Il est autre chose qui caractérise la manière de Nicolas Momein. Un exemple parmi d’autres qui pourraient servir, il est banal, très parlant ensemble. Des pantoufles emboîtées les unes dans les autres, s’élevant comme une colonne, sculpture arrêtée dans son ascendance, hésitante dans sa verticalité, penchant de côté, et pourtant « un peu plus près des étoiles ». Il y a du détournement, du dévergondage, et ce n’est pas le moindre attrait de ces objets, au-delà des aspects formels et sensibles.

Le moment est venu, au fond à droite de la halle, où le visiteur se trouve devant une entrée tant soit peu majestueuse, entre deux grands tirages, des vues urbaines, des toits, une façade avec sa régularité de fenêtres. Pierre Buraglio habite le 94, le département, d’où le titre, et l’entrée conduit directement à cette merveilleuse chasuble, faite du réemploi de papiers prédécoupés et peints, de chutes de toiles, des deux côtés de laquelle des fragments de panneau de signalisation du métro, en tôle émaillée, font éclater, sur une étroite ligne, sur des surfaces plus petites, le bleu le plus rayonnant, le plus pur.

On sait que Pierre Buraglio a la main pour utiliser (mais là pas de dévergondage, un réemploi empreint d’une heureuse gravité) ce qui lui tombe dessous ; au Wandhaff, on trouvera de la sorte deux grandes peintures sur porte récupérée, des planches de même origine, des feuilles de zinc. Ces dernières dans une série qui s’apparente un peu à de l’école buissonnière (pour la peinture, mais au plus tard depuis les impressionnistes, elle y trouve du plaisir), avec des paysages, des marines, où toute la manière est dans l’agencement de l’œuvre.

Que l’art soit toujours dialogue, et cela avec d’autres artistes, d’un passé lointain ou plus récent, nul ne le montre avec plus de force persuasive que Pierre Buraglio. Dans ce qu’il appelle ses D’après…, dans l’exposition retour à Géricault et à Manet, dans un geste de cristallisation ; il entre de l’émotion même, quand il parle de Prosopopée…, il s’agit de faire parler un mort, de lui rendre hommage, Nicolas de Staël, dans une grande peinture, deux sérigraphies, petites, mais combien justes. Ce qui est le mot qui convient à toutes les œuvres de Pierre Buraglio, une grande justesse dans l’emploi, dans le geste, aussi réduits soient-ils, comme dans les masquages. Eux remontent à la fin des années 1970, point de départ du déploiement esthétique du Wandhaff, le jadis le plus éloigné du maintenant, et d’un lendemain qui reste ouvert.

Les expositions de Pierre Buraglio – …Le maintenant avec un jadis et un lendemain… –, Robert Brandy et Nicolas Momein durent encore jusqu’au 25 mars à la galerie Bernard Ceysson au Wandhaff ; pour plus d’informations : www.bernardceysson.com
Lucien Kayser
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