Art contemporain

Expansions et réverbérations

Simone Decker à Dudelange
Photo: Trash Picture Company
d'Lëtzebuerger Land du 12.10.2018

La vidéo est connue, on la retrouve avec un grand plaisir au centre Dominique-Lang à Dudelange. Dans une rétrospective, disons normale, elle serait au début, Air bag datant de 1998, on partirait de là. Un visage de jeune femme, les cheveux rougeoyants, les lèvres de même, la tête entièrement prise dans un fin sac en plastique ; inspirant, expirant, animant l’enveloppe de son souffle, elle en change, détermine l’espace et le volume. Systole et diastole, pourrions-nous dire savamment. À Dudelange, la vidéo se trouve en haut de l’escalier, avec elle on débouche au premier étage. Au milieu, au centre de l’exposition en quelque sorte, et si l’on y reconnaît volontiers comme une cellule originelle de l’œuvre de Simone Decker, là, elle joue le rôle de moteur justement, qui engendre le mouvement, initie pour ainsi dire expansions et réverbérations qui font l’attrait de l’exposition.

Pas de rétrospective donc, clashtest dit le titre de l’exposition où l’artiste a fouillé dans un œuvre qui va aujourd’hui sur ses vingt années, y puisant, empruntant à gauche et à droite, recomposant, confrontant exactement. Car le titre dit aussi mise à l’épreuve, mais tout cela s’avère trop sévère, pour une exposition qui retient d’abord par son côté ludique, séduit très vite par son caractère sensuel. Le premier tient beaucoup aux multiples jeux de miroirs, le visiteur n’a aucune chance d’y échapper, le second aux matériaux, particulièrement aux tissus qui drapent l’espace de la galerie, la transformant à son tour. En théâtre, à la fois le lieu, pris de plis et de tressages, et la représentation (fragmentée, recomposée) d’un œuvre plastique.

Au lieu de clashtest, nous préférerons parler de consonance, de mise en écho, de tant de moments de création. Une liste énumère une vingtaine de matériaux, fragments, extraits de travaux antérieurs ; il est vrai que dans les opérations de l’art, comme dans celles de la nature, si rien ne naît ni ne périt, les choses déjà existantes se combinent, et puis se séparent de nouveau. Pour le temps qui reste, il y a aussi la démonstration (enjouée) d’une belle cohérence.

Cette dernière vient de la préoccupation constante de Simone Decker qu’est l’espace. Tel qu’il se constitue, se structure, tel qu’il est perçu, tel qu’il est habité. Et la remarque vaut en l’occurrence pour la galerie, quasiment changée en antre, en grotte, et en réponse à la poétique de Bachelard, Simone Decker nous livre une pratique de l’espace.

Elle fait que le visiteur se heurte à l’entrée de l’exposition à un mur d’images, parties de souvenirs de Bruges découpés, entrelacés, paysages urbains et ciels s’entremêlent, et le tressage donne de l’épaisseur, de la consistance, à quelque chose qui autrement resterait fuyant, insaisissable. En voilà un autre moment caractéristique du parcours et de l’expérience du visiteur : un mouvement comme dialectique allant de la diversité, voire de la disparité (avec le risque d’un éloignement définitif) à la reconstitution, à l’unité. Dans une démarche qui peut être très complexe, quand par exemple une image, un jet de lumière, passent par trois ou quatre étapes, avant de s’épanouir, ou s’effacer presque, sur l’étendue appelée à l’infini d’un mur.

Bien sûr qu’il serait banal de dire que de la sorte Simone Decker s’est approprié (de façon magistrale) la vieille gare de Dudelange muée déjà en galerie (et en espace difficile à occuper). C’est vrai, ou du moins devrait l’être pour toute exposition, même s’il ne s’agit que de peintures mises sur les cimaises. Ici, il se passe autre chose, et c’est alors que les matériaux entrent en jeu. Dans une vidéo, on voit une main, des doigts glisser sur un mur, de la pierre, du ciment. On ne touche pas aux œuvres d’art. Il reste que les yeux également touchent, palpent, de même qu’ils écoutent. Il est une opulence des tissus, le chant de leurs couleurs, le toucher de la matière, doux, chaud. À l’opposé de telle construction, sur trois cubes, comme prise dans la glace.

À vous de découvrir d’autres moments qui mettent en éveil les sens. Et tout au long de l’exposition, ce qu’il y est de réfléchissement (au sens phénomène physique) ne peut que susciter la réflexion. Non seulement sur l’histoire (partielle, limitée à une vingtaine d’années) d’un œuvre. Au-delà, de manière aiguë, pénétrante, sur la production de l’art, sa réception, les conditions de l’une et de l’autre.

L’exposition clashtest de Simone Decker dure encore jusqu’au 25 octobre au Centre d’art Dominique Lang à Dudelange ; ouvert du mercredi au dimanche de 15 à 19 heures ; www.galeries-dudelange.lu

Lucien Kayser
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