Rencontre en ligne

Slashdot change de main

d'Lëtzebuerger Land du 21.09.2012

Slashdot, un des grands points de rencontre des geeks de tout poil pendant une bonne décennie, vient de changer de propriétaire. La transaction n’a rien de glamour : le site (slashdot.org), qui depuis la fin des années 1990 véhicule jour après jour les news et rumeurs de l’univers techno, accompagnées d’un flot fourni de commentaires, savant mélange d’avis d’initiés et d’interjections de trolls infatigables, a été racheté par l’exploitant d’un site d’offres d’emploi, Dice.com, pour 20 millions de dollars. Pour ce prix, l’acheteur a reçu en prime deux autres sites, SourceForge et FreeCode, le premier étant relativement connu comme repaire et lieu de stockage des programmeurs adeptes des logiciels libres. Le vendeur, Geeknet, a précisé que le prix de la transaction correspond au chiffre d’affaires l’an dernier de ces trois sites.
Pour la blogosphère, cette transaction a été l’occasion de faire le point sur l’évolution de ce légendaire blog techno, créé en 1997 par Commander Taco – nom de plume de l’étudiant en informatique Rob Malda – et un camarade. CmdrTaco, comme il signait, a été le principal animateur et modérateur de Slashdot, et il faut reconnaître qu’il a assumé cette fonction avec une assiduité et une créativité remarquables. Une communauté de contributeurs, cooptés au fil de l’eau pour devenir modérateurs, s’est rapidement formée autour du blog, qui a fini par
rassembler un tel public de fidèles que l’inclusion d’un lien vers un site hébergé dans des conditions quelque peu précaires débouchait souvent, par la quantité de clics qu’elle causait, sur son effondrement pur et simple : le fameux « effet Slashdot ».
Ce n’est pas la première fois que Slashdot change de main. Malda l’avait vendu en 1999 déjà, pour 1,5 million de dollars en espèces et l’équivalent de sept millions de dollars en actions,
à Andover.net. Mais il était resté à bord, et le site avait continué pendant plusieurs années à agrémenter les nouvelles techno de ses commentaires bien sentis. Le site a beaucoup profité d’un système assez sophistiqué de notation, composé de notes et d’adjectifs (funny, insightful, normal, offtopic, flamebait, troll, redundant, interesting…) imprimés entre parenthèses après le titre de chaque commentaire. Ce système, partiellement actionnable par tous les utilisateurs du site, a contribué à créer une saine émulation entre contributeurs à la recherche du trait d’esprit ou de l’éclairage capables de bénéficier de la meilleure note et de générer à leur tour de nouveaux commentaires. Ainsi, Slashdot a sans doute été un des grands laboratoires où ont été testés les ressorts des liens newsy et des commentaires et débats en ligne.
En août 2011, CmdrTaco a quitté Slashdot pour rejoindre le Washington Post en tant que responsable de la stratégie des WaPo Labs qui servent au quotidien de tête chercheuse en matière numérique.
La revente de Slashdot cette semaine a donné lieu à des commentaires quelque peu désabusés de la part d’anciens fidèles ayant peu à peu déserté le site, qui était encore valorisé par un expert du Net à 150 millions de dollars en 2005. Quand et pourquoi a commencé la désaffection de Slashdot, se sont-ils demandé. Sans suprise, les avis divergent, certains reprochant aux administrateurs d’avoir étranglé le site en restreignant les commentaires dans un souci d’endiguer les trolls, d’autres estimant au contraire que les contributeurs et éditeurs de nouvelles recherchaient délibérément et artificiellement la controverse afin de faire tourner le compteur des visites et de maximiser les ressources publicitaires. Un autre avis avancé est qu’en tant qu’agrégateur de nouvelles techno, Slashdot n’avait aucune chance face à Google, bien mieux outillé pour les recueillir et les diffuser. L’explication la plus plausible du déclin de Slashdot est sans doute la lassitude des principaux fidèles et le non-renouvellement du public de contributeurs, les nouveaux geeks choisissant d’autres blogs et canaux, notamment Twitter et autres réseaux sociaux. Slashdot n’est pas mort, mais il n’est assurément plus qu’un pâle reflet de lui-même.

Jean Lasar
© 2023 d’Lëtzebuerger Land