Chronique Internet

People Big Brother may know

d'Lëtzebuerger Land du 05.01.2018

Comment Facebook fait-il pour composer et renouveler à longueur d’année les listes d’utilisateurs du réseau social qu’il nous propose d’ajouter à nos cercles dits « d’amis » ? Ce réservoir apparemment inépuisable de « people you may know », PYMK dans le jargon de l’entreprise, se présente comme un savant cocktail composé d’amis d’amis, de collègues ou ex-collègues, de membres de notre famille (élargie), de membres d’associations ou de groupes auxquels nous appartenons ou avons appartenu. Ces listes sont insérées à intervalles réguliers aux timelines, et pratiquement tous les utilisateurs se sont demandé au moins une fois comment le réseau faisait pour arriver à dénicher certaines propositions étonnamment pertinentes. Une journaliste américaine spécialiste des questions de vie privée, après avoir découvert en consultant une telle liste que le réseau social avait réussi à percer un secret de famille dont elle ignorait tout, a voulu en avoir le cœur net. Elle s’est lancée dans une expérience qui a duré plusieurs mois pour essayer de comprendre le dispositif à l’œuvre. Le résultat de ses recherches, publié sur Gizmodo, n’est pas vraiment rassurant.

Un jour de l’été dernier, raconte Kashmir Hill, une personne nommée Rebecca Porter a fait son apparition sur cette fameuse liste. Une dame d’un certain âge vivant dans l’Ohio. Or, Porter était le patronyme du grand-père paternel biologique de Kashmir Hill, qu’elle n’avait jamais rencontré, car il avait abandonné son père alors qu’il était un nourrisson. Adopté par un père nommé Hill, celui-ci n’avait découvert l’existence de son père biologique qu’à l’âge adulte. La journaliste, qui a grandi en Floride, connaissait l’existence de ces parents vivant dans l’Ohio, mais n’en savait pas plus et n’avait aucune raison de supposer qu’elle les rencontrerait un jour. Certes son père avait fini par rencontrer son père biologique et sa fratrie à l’occasion d’un enterrement. Mais aucun d’entre eux n’utilisait Facebook. Interrogé, le père de la journaliste a indiqué ne pas reconnaître Rebecca Porter. Grâce à un échange de messages, Kashmir Hill a su qu’elle était sa grande-tante par alliance. Comment diable, s’est alors demandé la journaliste, Facebook fait-il pour mieux connaître ma famille que moi-même, sachant que Rebecca Porter est la seule personne de cette ville de l’Ohio qui lui ait jamais été proposée, ce qui exclut pratiquement toute coïncidence, et que ni la grande-tante ni le père n’utilisent Facebook ?

Facebook se garde bien de révéler en détail comment opère son algorithme PYMK, qui l’aide à faire grandir les cercles de connaissances de ses utilisateurs et à augmenter ainsi son attractivité à l’égard des annonceurs. On sait qu’il utilise savamment les intersections entre cercles d’amis, les fichiers de contacts partagés ou encore les informations sur les parcours éducatifs qui permettent d’identifier des promotions. Il utilise aussi les photos taguées et les groupes. Mais ces éléments ne suffisent pas à expliquer toutes les propositions, loin s’en faut. On sait que Facebook a aussi accès, par le truchement de cookies publicitaires, à des traces laissées sur des sites web tiers. Les utilise-t-il pour confectionner les PYMK ? Fait-il appel à des informations de géolocalisation qui permettent de connaître les parcours et habitudes de ses utilisateurs en l’absence d’autres traces et exploite-t-il le potentiel de suggestions PYMK qui en découlent ? Dans un cas cité par Hill, une psychiatre a constaté que ses patients étaient recommandés l’un à l’autre…Un commentateur sur Gizmodo a émis la conjecture, peut-être tirée par les cheveux mais qui n’en fait pas moins froid dans le dos, qu’il ferait appel à la reconnaissance faciale pour identifier des airs de famille.

Facebook a indiqué qu’une centaine de « signaux » interviennent dans la confection des listes PYMK et qu’il en faut plus d’un pour générer une suggestion, mais n’en a cité qu’une partie. Pour Kashmir Hill, ce refus de transparence de Facebook pose problème : après tout, le réseau demande en permanence à ses utilisateurs de lui confier des informations personnelles, il serait légitime qu’il révèle en retour comment il concocte ses listes de suggestions d’amis.

Jean Lasar
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