Metamorphosis

Capter le mystère du vivant

d'Lëtzebuerger Land du 14.11.2014

Elle danse tout en blanc au milieu des feuilles et des herbes aux couleurs changeantes. Son corps se plie comme du papier, ses mouvements sont fluides. Son visage, que l’on voit peu, est encadré de deux longs bandeaux de cheveux fins, noirs. Filmée par Elvire Bastendorff, Yuko Kominami évolue au cœur d’un parc public de Bruxelles. Rompue à l’art du butoh, la danseuse et chorégraphe luxembourgeoise, d’origine japonaise, a été saisie par la caméra de la plasticienne pendant un an, sur quatre saisons. De la confrontation de leurs deux univers est née Metamorphosis, très belle œuvre tout en poésie et légèreté dans laquelle se rencontrent deux langages.

La pièce vidéographique d’une vingtaine de minutes était présentée en avant-première lundi 3 novembre au Centre de création chorégraphique de Luxembourg (Trois C-L), dans le cadre du 3 du Trois. Née d’une collaboration inédite entre les deux artistes, qui se connaissent depuis dix ans, l’œuvre transforme deux écritures pour en créer une troisième, bien différente de la captation d’un spectacle dansé. Distincte, aussi, du classique duo caméra-scène, où chaque discipline reste à sa place. Ici, la nature devient la scène et la chorégraphie initiale de Yuko s’est transformée, nourrie, de l’acte de filmer. La vidéaste a joué sur la rencontre de l’image fixe et de l’image mobile, travaillant sur la succession de transformations, créant une multiplicité de saynètes mettant l’accent sur le geste et non sur la danse comme objet filmé.

Le montage a été déterminant dans la construction de l’œuvre. « Au départ, raconte Elvire Bastendorff, nous avions déterminé peu de choses : le lieu, les accessoires et la décision de faire une prise unique à chaque rencontre. Puis, au montage, nous avons travaillé comme un tissage, recréant la cohérence de la chorégraphie. J’avais imaginé rajouter en post production des dessins sur l’image, mais finalement, c’est l’image brute qui est presque tout le temps restée. » Ces images brutes, dans lesquelles on assiste à la transformation des couleurs dans un même plan, ou qui se découpent, offrant un reflet dans lequel plonge le visage de Yuko, ont été montées de façon « très saccadée, très verticale », précise Elvire, tout en présentant une lecture parfaitement limpide.

Du moment magique du tournage dans le parc (représentant plus de quatre heures de film), restent donc ces vingt minutes gravées sur vidéo. Dans cette œuvre et dans la façon de la fabriquer, « c’est comme si tout avait été métamorphose, confie Yuko Kominami. Pour moi, d’ailleurs, le butoh est métamorphose. C’est un art qui raconte le corps qui change, de la naissance à la mort... » L’une des grandes réussites de Metamorphosis réside dans le refus de toute imagerie morbide ou de comparaison simpliste entre, par exemple, ce corps changeant et le pourrissement des feuilles, d’une saison à l’autre. Les deux artistes ont travaillé tout en subtilité et en légèreté. Et, bien que les mouvements de la danseuse soient ancrés dans le sol, se déployant près de la terre – (en japonais, butoh vient de bu = danser, et toh = fouler le sol) –, il s’en dégage une impression de fluidité proche du rythme de la vie.

Justement sous titrée « L’énigme du mouvement et la confusion des formes », Metamorphosis met en scène Yuko Kominami émergeant au milieu des gigantesques racines d’un arbre qu’on dirait millénaire, tendant son visage souriant vers le soleil, se cachant sous une bâche de chantier immaculée qu’on prend pour un papier d’origami, disparaissant dessous par la magie de son corps qui se plie sous le tissu. Une chrysalide en pleine métamorphose, filmée à juste distance, ni trop loin, ni trop près du corps. « Dans l’immense espace du parc, nous avons créé un micro-espace resserré pour saisir cette bonne distance, explique Elvire. »

Presque hypnotique, Metamorphosis peut faire songer à certaines musiques répétitives dans lesquelles le motif principal opère des micro-changements, d’un temps à un autre. La musique envoutante de Franck Smith y participe. À la fin de la vidéo, sa composition laisse place au Cygne de Camille Saint-Saëns, dans la version de Clara Rockmore au thérémine. Un moment de grâce de plus dans cette œuvre qui n’est constituée que de ça, et où palpite le mystère du vivant.

Metamorphosis sera repris en 2015 au Mudam, les 15 et 16 janvier au Théâtre Loff de Leipzig (Allemagne) et en mars 2015 au Lavoir Public de Lyon (France)
Sarah Elkaïm
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