Femmes en politique

La coiffure de Lydie Polfer

d'Lëtzebuerger Land du 02.05.2002

«Moi, lorsque je prends cinq kilos, cela fait le tour du village,» a raconté une élue communale à Isabelle Cames, chercheuse au Centre de recherche public Gabriel Lippmann, qui mène actuellement, avec le Centre universitaire, le projet Élues - Attentes et expériences des femmes et des hommes élu-e-s aux élections de l'année 1999. Suite à l'étude Les femmes et la politique que la même cellule Stade du CRPGL avait menée pour le ministère de la Promotion féminine immédiatement après les dernières élections, Élues suit aussi bien les femmes élues au niveau communal que l'environnement dans lequel elles évoluent, entre autres afin de tenter de comprendre la sous-représentation des femmes en politique. 

En effet, même si, lors des dernières élections communales, le pourcentage de femmes dans la prise de décision politique locale est passé de dix pour cent en 1993 à quinze pour cent en 1999 (171 élues), elles restent largement sous-représentées. En plus, dans l'échelle du pouvoir, le nombre de femmes a encore tendance à diminuer : seules onze sont bourgmestres, 33 ont un poste d'échevine.1

Décliné en quatre phases, le projet Élues doit permettre de mieux cerner les difficultés que rencontrent les femmes dans un monde politique encore largement dominé par des structures patriarcales. Lundi soir, lors d'une conférence sur les femmes en politique, Isabelle Cames put donc donner un aperçu des résultats obtenus lors de la première phase du projet, qui consistait en une vingtaine d'entretiens qualitatifs avec des élues. Les résultats confirment en gros ce qu'avaient prouvé des études similaires menées dans les pays voisins : en règle générale, les femmes entrent en politique poussées par leur environnement plutôt que par détermination personnelle ou sur base d'un plan de carrière. 

Et elles n'y entrent que nettement plus tard que les hommes, deux tiers des femmes interviewées ont entre quarante et 59 ans, seules trois avaient des enfants en bas âge lorsqu'elles se sont lancées. Concilier les charges familiales et l'engagement politique reste extrêmement difficile, «lorsque j'ai demandé à une des élues qui gère une famille, un métier et une carrière politique comment elle arrivait à s'en sortir, elle me répondait sèchement, 'avec un calendrier !',» racontait Isabelle Cames.

«Les femmes ne sont ni plus ni moins honnêtes, respectueuses des autres ou lucides que les hommes,» estime, pour sa part, Alexandre Adler2, «en revanche, les femmes ont et auront un apport décisif dans la plupart des autres domaines.» Comme : «l'emploi du temps : une vie politique réellement paritaire débouchera à brève échéance sur la remise en cause de certains stéréotypes culturels, notamment la 'réunionnite'» ou encore «la 'concrétude'», un nouveau vocable pour désigner «les capacités de gestion quotidienne et concrète des femmes». La politologue allemande Beate Höcker, invitée à parler lundi soir de la situation des femmes en politique sur le plan international, expliqua à quel point elles se heurtent encore à des structures et règles établies sur un modèle masculin. 

Les interminables réunions le soir, la flexibilité ou encore l'obligation d'être massivement présente dans la vie sociale de la communauté demandent un volume horaire dont une mère de famille ne dispose pas. «En règle générale, on constate que les femmes politiques sont souvent célibataires : elles n'ont de chance de maîtriser la charge de travail qu'on attend d'elles qu'en renonçant à une famille. Or, les hommes politiques, eux, ont alors une femme qui les soutient et s'occupe de toutes les tâches domestiques.» Partager le pouvoir équivaudra donc forcément pour les hommes qu'ils en abandonnent une partie en faveur des femmes - c'est probablement une des raisons majeures de la lenteur avec laquelle les choses avancent.

Les temps sont anti-féministes au Luxembourg. Phénomène qui se constate non seulement dans l'actuel débat sur le forfait d'éducation, mais aussi dans le monde politico-politique - la pathétique défaite du projet d'introduire une meilleure représentation des femmes au sein du POSL lors du congrès de Vianden (d'Land 12/02) ou l'hostilité du parti libéral à toute forme de quotas n'en sont que les deux illustrations les plus flagrantes. Et le pire, c'est que les premiers et plus farouches ennemi(e)s de toutes les mesures progressistes et proactives pour les femmes, ce sont des femmes elles-mêmes. 

Isabelle Cames utilisera une image que les gender studies, les études sur le genre ont forgée pour parler des femmes dans les hautes sphères de l'économie, cela s'appelle queen bee syndrome et décrit cette jalousie de femmes qui ont réussi et veulent empêcher d'avoir trop de concurrence d'autres femmes. En management, cela s'observe surtout auprès de femmes qui disposaient d'une très bonne position de départ, par exemple l'appartenance à une famille très reconnue. Dans sa dernière phase, le projet Élues tentera aussi d'inverser ces réflexes et de convaincre dans leur panel des femmes politiques qui ont réussi à faire du mentoring, i.e. de transmettre leur savoir à leurs cadettes. 

Les quotas ? Pour Beate Höcker, il ne faut les considérer que comme ce qu'elles sont : un simple instrument pour arriver à une meilleure représentation des femmes. En France par exemple, la législation du gouvernement Jospin sur les quotas a permis de doubler le pourcentage de conseillères municipales aux élections de 2001 pour dépasser désormais les quarante pour cent, ce qui constitue un bond en avant non négligeable. 

Et pourtant, partout, les femmes politiques doivent faire deux fois plus d'efforts pour s'imposer que leurs collègues masculins. La première chose que l'on juge chez une femme restera toujours son physique, sa manière de s'habiller ou de se coiffer... Combien d'articles sur les sacs à main, combien de ragots des dîners en ville sur la nouvelle coiffure de la ministre des Affaires étrangères et vice-Première ministre, Lydie Polfer (PDL) ? Contre un seul et unique article, récemment dans la Voix de Luxembourg, sur le goût vestimentaire de Jean-Claude Juncker. 

En deuxième lieu, on mettra en doute la compétence d'une femme dans un domaine différent autre que ceux qui leur sont classiquement réservés (famille, cultes, culture...) alors que toutes les compétences s'acquièrent. Non pas que toutes les femmes soient forcément plus intelligentes ou meilleures que les hommes, seulement, elles constituent plus de la moitié de la population, tant que cette proportion n'est pas respectée dans les organes de prise de décision, la démocratie n'est pas parfaite. Et encore, on n'a alors pas parlé du tiers de la population qui n'a pas le droit de vote.

Le projet de recherche Élues pour sa part continue encore durant une année à peu près, la deuxième phase, une enquête quantitative auprès d'une centaine d'élu-e-s menée par l'ILReS vient d'être réalisée, les formulaires attendent d'être évalués. Dans une troisième phase, trois ou quatre femmes politiques seront observées plus longuement en situation et la dernière étape sera constituée d'une vingtaine d'interviews de bourgmestres ; tout cela en vue de constituer une base de données la plus précise possible. Le but de la ministre de la Promotion féminine, Marie-Josée Jacobs (PCS) restant de motiver plus de femmes à se lancer en politique et plus d'hommes à partager le pouvoir. «Mon soutien à ces mesures reste assuré,» promit-elle au Centre universitaire lundi. 

 

1 Source : Observatoire de la participation politique des femmes aux élections de 1999 ; Conseil national des femmes luxembourgeoises. 

2 in : Frédérique Roussel : Les femmes dans le combat politique en France - La République selon Marianne ; collection Elles des éditions L'Hydre, Paris, avril 2002 ; 140 pages, 13,30 euros ; ISBN : 2-913703-15-1

 

 

 

 

josée hansen
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