Georges Dandin

Bergers et bergères

d'Lëtzebuerger Land du 25.11.2004

La trame, classique, est bien connue. Homme riche, simple commerçant, épouse femme noble sans le sous. Aujourd'hui, la Noblesse n'est plus ce qu'elle était et c'est l'argent qui domine le monde et les relations, mais en y regardant de près, certains éléments du Georges Dandin de Molière sont toujours d'actualité. Les thèmes récurrents chez l'auteur, tels que les différences entre les classes, de quelle que nature qu'elles soient, et l'émancipation des femmes sont transposables dans la société actuelle, dans les limites du bon sens. Mais revenons à l'histoire. Georges Dandin (Paul Chariéras) donc, a remué ciel et terre pour pouvoir épouser Angélique de Sotenville (Caty Baccega). Enfin, il a surtout demandé la main aux parents de la jeune fille, qui ont accepté, en contrepartie d'une somme d'argent conséquente, sans demander ne serait-ce que l'avis d'Angélique sur la question. Résultat des courses : la jeune femme - qui ne désire qu'une chose : vivre ! («parce qu'un homme s'avise de nous épouser, il faut d'abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les vivants ?») -, profite de la première occasion venue pour céder aux avances de Clitandre (Frédéric de Goldfiem). Georges Dandin découvre cette ignominie au début de la pièce et tente tout au long durant de convaincre Madame (Josiane Peiffer) et Monsieur (Frédric Bodson) de Sotenville de l'infidélité de leur progéniture. S'en suivent scènes burlesques et tragi-comiques, Dandin se croyant proche de son but tombe à chaque fois dans son propre piège, finit humilié, pour, au bout du compte, ne voir plus qu'une seule solution : «lorsqu'on a, comme moi, épousé une méchante femme, le meilleur parti qu'on puisse prendre, c'est de s'aller jeter dans l'eau la tête la première». La pièce de Molière, commandée par Louis XIV en 1668, fut à l'origine une farce, entrecoupée d'intermèdes musicaux composés par Lully. Par la suite, de nombreuses mises en scène ont laissé de côté et les intermèdes et le côté «farce» pour l'interpréter de façon plus tragique. Dans la coproduction entre les Théâtres de la Ville et le Théâtre national de Nice, le metteur en scène et comédien niçois Jacques Bellay réintroduit ces divertissements, qui comme il est dit dans la présentation «proposent à travers une histoire de bergers et bergères, bien mièvre il faut le reconnaître, une image idéalisée, baroque, et tout à fait irréelle de l'amour». Ces danses et chants apportent en effet un élément tout à fait fantasque à la pièce a priori très classique. Tout de blanc vêtu, les acteurs survolent la scène et entourent de légèreté le pauvre Dandin qui se saoule au rouge, à la limite de la folie, seul dans son coin. Masques, imitations de sons d'oiseaux et danses folichonnes accentuent le côté burlesque. Les divertissements tranchent encore avec la mise en scène résolument moderne. Non pas que les costumes soient contemporains, plutôt intemporels, fantaisistes par moments, mais le metteur en scène a introduit d'autres éléments, tel le décor qui se met à faire partie de la pièce. Dès le départ, le ton est donné, à la craie, façon Ben - l'artiste - les mots d'ordre et le décor manquant sont inscrits sur les planches et autre panneau. «Amour», «Ruisseau» ou encore «Georges Dandin». Autre trouvaille de la mise en scène, le jeu des portes, qui constituent à part quelques guirlandes, une table et des chaises, le seul élément réel de décor. Ces portes, fixées sur des roulettes, à la base censées indiquer le lieu de l'action, deviennent au fur et à mesure partie intégrante du jeu. Par moments irritant, par moments efficace, cet effet souligne le côté irréel du récit et la confusion montante du protagoniste, le par ailleurs excellent Paul Chariéras, qui réussit à faire passer sans mots, les émotions seulement esquissées dans le texte. Tout aussi crédible dans ses accès de folie et de mélancolie que dans les moments de colère face à ses beaux-parents, qui ne cessent de lui faire croire qu'ils vont le soutenir, sans jamais en avoir véritablement l'intention. Là aussi, Josiane Peiffer et Frédéric Bodson, convainquent dans le rôle des beaux-parents hautains et sournois. En tout et pour tout, ce Georges Dandin a le mérite d'une mise en scène intéressante et d'un jeu d'acteur au-delà de tout reproche, même si le texte a peut-être moins bien passé les siècles que d'autres pièces de Molière. On attendra avec plus d'impatience la prochaine co-production entre Luxembourg,  Nice et le Centro Andaluz de Teatro, Gurs, une tragédie européenne, pièce de Jorge Semprun, à la mi-décembre au Théâtre des Capucins. 

Georges Dandin de Molière, mis en scène par Jacques Bellay, coproduit par le Théâtre national de Nice et les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; décors : Daniel Jassogne ; musique : Christopher Murray : avec Paul Chariéras, Caty Baccega, Josiane Peiffer, Frédéric Bodson, Jean-François Wolff, Frédéric de Goldfiem, Joël Delsaut, Sarah Bensoussan, Mathieu Desfemmes, Il n'y a plus de représentation.

 

Sam Tanson
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